Dans la forêt vierge épaisse, difficile de surveiller qui entre et s’installe, mais les Waorani veillent très attentivement à toute menace de progression des compagnies pétrolières sur leur territoire. Et grâce à la connexion Internet déjà évoquée hier, ils exercent cette surveillance à travers Google Earth et les photos satellitaires agrandies pour voir le détail de leur territoire, les pistes et chantiers.
Penti Baihua, principal animateur de la communauté de Bameno sur le rio Cononaco, a d’abord fait faire une carte précise de la zone, avec les limites historiques de leur territoire, les limites beaucoup plus étroites de la réserve officiellement reconnue, le parc national Yasuni (Ome Yasuni, la terre Yasuni) et la cartographie à jour des gisement pétroliers repérés, des puits déjà installés, et des routes et des localités qui ont essaimé le long de ces routes.
Sur l’ouest de la zone, en descendant de Coca, sur le rio Napo, on distingue bien la route du pétrole, bordée d’exploitations en fonctionnement, elles-mêmes entourées d’une multitude de petites localités marquées par des points noirs, où se sont installés des colons qui ont clôturé, défriché et construit sur toutes les parcelles qu’ils voulaient. Les autorités équatoriennes considèrent que cette région amazonienne est propriété de l’État, et qu’il est libre de fixer les contours des réserves indiennes, pour reprendre une expression qui rappelle l’étiolement des territoires indiens aux Etats-Unis.
« Nous, on nous conteste la propriété du sol sur notre propre territoire, mais les nouveaux arrivant se déclarent propriétaires de leurs terres, c’est une injustice grave », commente Penti. On retrouve la situation du Far-West au 19e siècle, lorsque les colons plantaient leur panneau de propriété en ceinturant de clôtures des vastes espaces considérés comme libres. Plus grave encore, on voit des gisements clairement identifiés dans des zones non encore touchées, et deux routes qui commencent à percer, au centre et à l’est du dispositif. « Si on les laisse avancer, ce sera comme la route à l’ouest, de Coca jusqu’au Shiripuno, on verra arriver les compagnies avec leur matériel, leurs équipements, leur population, les colons, et c’en sera fini de la protection de la forêt primaire, de sa flore et de sa faune ».
Il montre sur sa carte une ligne rouge qui traverse horizontalement la carte. « Nous avons subi la perte de la moitié de notre territoire, et même de la zone qui nous avait été allouée comme étant protégée. Nous disons aux autorités : voici la ligne rouge à ne pas dépasser ». Dans le passé, des compagnies qui avaient voulu pénétrer des zones non autorisées avaient fui, plusieurs de leurs employés ayant été tués par les populations indigènes.
Aujourd’hui, le recours est pour l’instant juridique, comme celui gagné en juillet dernier par les Waorani contre le gouvernement équatorien. « Mais c’est un petit compartiment à l’ouest de notre territoire, le bloc 22. Nous aujourd’hui nous surveillons surtout les blocs 16,17, 31 et 43. En particulier le bloc 31 où deux routes descendent pour desservir plusieurs puits. S’ils traversent le rio Nashiño, ensuite ils arrivent au rio Cononaco et c’en est fini de notre communauté et des communautés voisines, les Waorani seront envahis ».
Pendant que Penti signale des points sur la carte, de jeunes geeks aux cheveux longs repèrent ces points sur Google Earth et examinent s’il y a des modifications, des avancées par rapport aux observations précédentes. Si la cartographie de Google est muette dans cette région sans routes ni localités, les Waorani n’ont pas besoin de légendes pour identifier le moindre méandre de leurs rivières et repérer les éventuels chantiers ou nouvelles pistes d’atterrissage.
Tout cela est rationnel, mesuré, on ne sent pas l’ombre d’une menace, la communauté se fait appuyer par des juristes volontaires, notamment américains. Mais si les voies légales s’avèrent insuffisantes, avec la poussée croissante des compagnies pétrolières plus seulement américaines mais européennes et chinoises, ils ne resteront pas passivement à attendre, et leur maîtrise informatique leur permet déjà de se mobiliser sur Internet et d’attirer l’attention du monde : « nous nous battons pour faire reconnaître le territoire Yasuni comme patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO », sourit Penti.
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