La pratique du tea time est ancestrale chez les Achuar, sauf qu’au lieu du five o’clock tea ils font ça à 4 heures du matin avec une infusion de feuilles de wayusa (ilex guayusa), d’où le nom de la cérémonie. Plus qu’un rite purificateur, c’est une occasion d’échange familial et avec l’invité de passage, le rare moment où on parle longuement de tout sans se presser.
La feuille de wayusa est une sorte de thé mais avec des qualités stimulantes plus proches du café puisqu’elle contient de la caféine. Les feuilles coupées la veille, ou séchées auparavant, sont mises à bouillir puis restent dans l’eau à infuser au moins une heure et souvent beaucoup plus, ce qui peut faire varier la couleur de l’infusion. Et lorsque l’épouse se réveille la première elle ranime les braises pour réchauffer l’infusion, qui se boit tiède. Le père de famille, ceux des membres de la famille qui participent, tout enfant d’au moins huit ans mais plus souvent on les laisse dormir, ou l’invité extérieur prennent un siège dans la pénombre et on s’assied autour du feu rougeoyant qui bientôt éclaire un peu la scène.
L’épouse distribue des demi-calebasses ovales pleines d’eau et chacun commence par se rincer la bouche plusieurs fois en crachant l’eau par terre. Puis chacun plonge ce bol ovale dans la marmite pour commencer à boire, en laissant les feuilles. On boit lentement, en se réveillant, en échangeant quelques propos, mais la vraie conversation viendra après. Car il y a un avant, puis un après.
L’avant, c’est de boire pendant une demi-heure ou plus, bol après bol, jusqu’à un litre de cette infusion tiède, jusqu’à en éprouver l’écœurement. C’est précisément le but. Et chacun se lève discrètement, sort de la cas et dans les fourrés ou le sous-bois autour de la cas pour vomir, quitte à provoquer le vomissement s’il tarde. Puis on va satisfaire d’autres besoins, et on descend jusqu’à la rivière pour finir de se purifier. Quand la crue et le courant le permettent, bien entendu.
L’après, c’est quand chacun revient s’asseoir autour du feu désormais bien réveillé lui aussi, et que la mère de famille distribue des bols, ronds et cette fois en argile cuite, peinte et décorée de motifs géométriques, avec de la chicha, la bière de manioc mâché et fermenté, le nijiamanch.
C’est une des rares occasions où hommes et femmes se mélangent dans la partie normalement réservée aux hommes, sauf s’il y a un seul feu allumé dans la partie des femmes. Là aussi, on peut passer une demi-heure, une heure, le temps que le jour se lève et il le fait plus tardivement en hiver.
On parle du passé, des grands-pères, des traditions, mais aussi des études de l’aîné qui va partir à la ville, des projets pour la famille, du programme des jours à venir. C’est le moment le plus passionnant dans les échanges avec le village car on prend son temps, le père de famille parle librement dans cette atmosphère de presque intimité.
Et selon la saison, les parents sortent très tôt et profitent des heures fraîches pour aller travailler, car l’été tout s’arrête en milieu de journée quand la chaleur devient insupportable. Quant à l’hôte de passage, rassasié par sa dose de chicha, il part quand même à la recherche du bistrot du coin pour un petit café-crème avec croissant au beurre. Puis se rend compte qu’il a abusé de la wayusa.
Et si le rite purificateur surprend la première fois, on ne s’y habitue pas complètement mais on éprouve un certain plaisir à venir partager ce moment privilégié de l’intimité de chaque famille, ce qu’offre cette communauté de Napurak sans aucune réticence.
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