Programmée depuis longtemps, ma visite en Equateur début octobre devait me permettre de découvrir deux communautés indigènes que je ne connaissais pas, une Waorani et une autre Shuar, et de retrouver une communauté Achuar que j’avais déjà rencontrée deux fois. Du nord au sud de l’Amazonie équatorienne, de la province de Napo à celle de Pastaza et à celle de Morona Santiago, un long périple prévu sur quatre semaines, le temps nécessaire à parcourir de grandes distances en forêt, par petit avion, voiture tout-terrain ou en pirogue.
Et puis l’imprévu qui a failli tout faire capoter : je suis arrivé à Quito le 1er octobre, veille de l’annonce du plan d’austérité drastique qui a suscité en réaction une grève générale, prolongée en un soulèvement de l’ensemble des populations indigènes.
Les premières manifestations dans la capitale ont été immédiatement suivies par le blocage des accès à Quito puis de tous les axes routiers du pays. Départ compliqué pour moi mais j’ai réussi à quitter la capitale assiégée, gagner la ville de Coca en avion en sautant par-dessus les routes coupées, et, à travers les premiers barrages sur le pont du fleuve Napo, à rejoindre une pirogue qui, en onze heures de navigation, m’a permis d’atteindre la communauté Waorani de Bameno.
Première découverte, premier choc : me croyant isolé au fin fond de la forêt vierge, j’ai constaté que la population de ce village vivait en direct et temps réel les événements en cours grâce à une connexion satellitaire Internet.
Bien plus, ces chasseurs à la sarbacane, fiers de leurs traditions, ont appris à surveiller sur Google Earth, en « Googlant » comme ils disent, les photos satellitaires leur permettant de déceler des incursions des compagnies pétrolières sur leurs territoires.
Revenu après une semaine et quelques péripéties de transport jusqu’à la ville de Coca, j’ai vécu comme tous les Équatoriens, par la télévision et les médias sociaux, la soirée où le président Moreno a cédé face aux pressions des communautés indigènes coalisées, retirant son décret 883.
Et dès le lendemain j’ai pu constater, en prenant les premiers cars qui parcouraient sur la trans-amazonienne l’axe Coca-Tena-Puyo à peine rouvert, que le mot d’ordre du grand nettoyage était appliqué partout, les barrages routiers étant progressivement démontés et la chaussée nettoyée.
Quatre jours à découvrir la communauté Shuar de Consuelo, à l’entrée du pont stratégique qui traverse le Pastaza entre Puyo et Macas, m’ont permis de recueillir le témoignage de ceux des manifestants qui revenaient tout juste de Quito, épuisés et affamés, et de ceux, ou plutôt celles, qui étaient restés sur place pour défendre deux barrages, avant de les faire disparaître jusqu’au dernier caillou, jusqu'à la dernière branche.
Puis une semaine dans la communauté Achuar de Napurak, sur le fleuve Pastaza très en aval de Consuelo, là où le fleuve très large est navigable, m’ont révélé qu’au-delà des traditions ancestrales suivies avec rigueur – le lever chaque matin à quatre heures pour boire de l’infusion de wayusa puis aller vomir est particulièrement contraignant – et du développement d’une pratique concrète de l’écologie responsable, les habitants de cette communauté avaient également participé aux événements en envoyant certains des leurs à Taisha et à Macas, tandis que de nombreux autres Achuar s’étaient également rendus à Quito.
Leur cohésion nouvelle, leur unité dépassant les particularismes ethno linguistiques et les barrières culturelles, ont été quelque chose de nouveau pour eux et le thème de la défense de l’environnement et de la protection de la forêt suffisamment concret pour susciter une mobilisation massive.
Ces quelques témoignages recueillis au cours d’un parcours sportif et plein d’incertitudes, j’ai souhaité les partager pour faire entendre non pas mon commentaires et mes analyses, mais toutes ces voix venues du fin fond de l’Amazonie et qui révèlent une détermination qui n’est pas près de retomber.
Pour mieux les rendre audibles, j’ai demandé l’aide d’un vrai professionnel de l’audiovisuel et j’ai eu la chance de trouver Pascal Dupont, spécialiste des situations de crise et connaisseur de la forêt équatoriale, plutôt en Afrique, également passionné des problématiques de l'environnement. Virtuose du montage et surtout très sensible aux images au point de toujours repérer les plans les plus significatifs, Pascal m’a aidé à faire vivre ces témoins qui, dépassant leur environnement naturel, ont acquis à travers cette crise une dimension stratégique régionale.
Il nous a fallu des journées et des heures de dérushage, de montage, de discussions, de relectures, de recherches iconographiques… Un travail stimulé par la force de conviction des personnages rencontrés derrière lesquels nous nous sommes effacés.
Et nous avons pu nous appuyer, en guise de fil conducteur, sur le récit et le commentaire original d’Etsa Franklin Sharupi, de la communauté Shuar de Consuelo, lui-même très impliqué non seulement dans les derniers événements mais dans la montée en puissance des revendications indigènes puisqu’il est l’un des porte-parole de la coordination des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) et l’un des « lanciers numériques » qui mènent leur combat à travers les médias sociaux dont ils maîtrisent désormais les techniques.
Cette vidéo co-réalisée avec Pascal Dupont est accessible sur son compte YouTube,
- en version originale espagnole : https://youtu.be/1AAnV-5CKx4
- mais également en version sous-titrée en français : https://youtu.be/yzubFqyXDmk