Coïncidence heureuse, deux expositions photo à Paris se succèdent sur un thème commun : la déforestation accélérée en Amazonie et le danger de disparition des communautés indigènes, particulièrement au Brésil. L’exposition de l’Italien Tommaso Protti se termine après deux mois à la Maison européenne de la photographie (MEP), tandis que celle de la Brésilienne Claudia Andujar vient de s’ouvrir pour quatre mois à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
Très belle scénographie de ces deux espaces très différents, mise en relief des photos par une présentation en clair-obscur, le travail de ces deux photographes engagés est militant aussi bien qu’artistique, et ce n’est pas un hasard si les deux expositions mettent en exergue des citations du président brésilien Jair Bolsonaro: “La politique environnementale est mauvaise dans notre pays. Si on veut faire une centrale hydroélectrique, c’est impossible à cause de la quantité de terres indigènes, de stations écologiques, de parcs nationaux. Il faut mettre fin à cette politique qui asphyxie le Brésil”, lit-on chez Tommaso Protti citant Bolsonaro.
Son exposition, “Amazônia: vie et mort dans la forêt tropicale brésilienne”, retrace une enquête de plus de cinq ans à travers plusieurs régions du Brésil et montre comment les crises sociales, humanitaires et environnementales se cumulent pour déstabiliser les communautés indigènes. Avec le journaliste britannique Sam Cowle, il rencontre des communautés Guajajara et Kayapo et raconte en image leur lutte contre les trafiquants de bois, les orpailleurs illégaux, les milices des narcotrafiquants.
Didactique, il montre sur des cartes les progrès inquiétants de la déforestation : près de 20% de la forêt amazonienne a disparu en 50 ans, et le phénomène s’accélère entre l’action de l’homme et le réchauffement climatique qui rend destructrice la culture traditionnelle sur brûlis. Images fortes traitées en noir et blanc, photos prises souvent de nuit ou dans l’obscurité donnent une tension dramatique.
Des indigènes parfois apeurés face aux menaces grandissantes, mais aussi d’autres qui se sont organisés, comme le groupe de défense des Gardiens de la forêt, créé en 2012 à l’initiative des indiens Guajajara indiens, avec aussi des garde forestiers qui luttent aux côtés des indigènes contre les clandestins et les narcos.
Sombre et volontairement dramatique, le reportage de Tommaso Protti est un cri d’alerte qui montre une réalité humaine sans aucun exotisme et si les figures humaines sont nombreuses, le personnage central reste la forêt et ses souffrances. Beaucoup plus resserré sur une communauté, celui de Claudia Andujar “La lutte Yanomami” donne aussi la plus grande place au noir et blanc mais se concentre davantage sur les traditions, les peintures faciales ou corporelles, les rituels de cette communauté spécifique qu’elle a bien connue depuis 1971 et pour laquelle elle s’est tout entière mobilisée. Son reportage est progressivement participatif, puisqu’elle associe les membres de cette communauté à son témoignage et a permis à des artistes Yanomami d’exposer comme Taniki, Joseca, Ehuana et Kalepi.
Profitant d’un site plus vaste et d’espaces importants, l’exposition de Claudia Andujar à la Fondation Cartier “La lutte Yanomami” offre une partie lumineuse au rez-de-jardin, avec supports vidéo y compris un film tourné par de jeunes Yanomami sur les rituels actuels maintenus fidèlement à la tradition, ainsi que de grandes photos de Claudia Andujar sur les incendies (ci-dessous à gauche) et la déforestation (à droite, photo infrarouge) .
La visite se poursuit par une partie plus sombre en sous-sol où, comme au MEP, les tirages sont mis en valeur par un éclairage direct, émergeant au milieu de l’obscurité ambiante. Scènes du choc des cultures comme cette photo d’une piste d’atterrissage gardée par des militaires dans la zone de Surucucus, dans l’extrême nord de l’Amazonie brésilienne… En 1989, le gouvernement brésilien avait lancé un projet de découpage du territoire Yanomami en micro-réserves séparées pour permettre la colonisation agricole. Cela revenait à priver cette communauté de son habitat naturel, et une campagne avait été lancée contre le “génocide des Yanomami” à laquelle la photographe avait apporté son travail de reportage. Finalement en 1992 le gouvernement brésilien avait reconnu un territoire vaste et continu pour les Yanomami.
Ailleurs ce sont des scènes plus intimistes avec des portraits de jeunes indiens portant des numéros : c’est tout simplement le système inventé pour identifier les personnes vaccinées dans le cadre d’une campagne de vaccination, en l’absence d’une identité reconnue au-delà de leurs noms indiens.
Toute une série de photos faites dans l’obscurité de la nuit et des cases retracent les rituels shamaniques dont le “reahu”, à la fois cérémonie d’alliance entre communautés et rite funéraire. Pour évoquer les transes provoquées par la danse et les substances hallucinogènes, Claudia Andujar combine des effets de pose, d’éclairage improvisés et de coups de flash pour créer des images oniriques et volontairement floues, très évocatrices.
Prolongement de ces rites qui font appel aux peintures, la photographe a lancé un projet graphique consistant à donner aux indiens Yanomami du papier et du matériel de dessin pour les aider à transcrire eux-mêmes leurs visions et décrire leurs mythes. Cela donne des dessins colorés, avec des petits personnages, des arbres et le ciel, parfois très denses, évoquant la danse des esprits et des spectres, ou simplement une famille avec parents et enfants entourés de fruits, de serpents et de lézards. Une exposition à prendre le temps de découvrir, jusqu'au 10 mai.
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