Quelle étonnante expérience que ce confinement progressivement imposé à une grande partie de l’humanité ! L’isolement le plus strict est paradoxalement un facteur de rapprochement de toute cette humanité qui pour une fois partage le même destin, les mêmes angoisses, la même attente de savoir que cette pandémie est passagère et qu’on va trouver les moyens de la combattre efficacement.
L’interruption de l’activité dite normale a mis entre parenthèses l’agitation chronophage, le temps perdu en déplacements difficiles, tout ce qui occupait chacun et lui donnait l’impression d’être en règle avec la vie, avec la société, avec la morale, avec le souci de ne pas passer pour un inactif – un souci aboutissant dans les sociétés modernes à une marginalisation des inactifs, quels que soient leur âge et leur condition.
Jusqu’à présent, traîner chez soi était une chose culpabilisante, opposée à l’idée qu’on doit « rentabiliser » notre temps qui passe trop vite et ne pas le laisser s’échapper en vain. La vanité pourtant était cette illusion de se croire indispensable, irremplaçable. Une idée dont on perçoit qu’elle est une illusion le jour où l’on arrive à l’âge de la retraite et qu’on est remplacé du jour au lendemain, les choses continuant leur cours normalement.
Jusqu’ici, seuls les malades, les détenus, les personnes âgées avaient appris à apprivoiser la solitude et le temps long, une solitude subie et non voulue. La gestion du temps sans repères est un apprentissage quand on n’a pas de secrétaire, de collègues, de patron, d’employés, de rendez-vous, de réunions, d’échéances importantes et de dossiers urgents. L’urgence même devient relative, sauf évidemment pour ceux qui sont en besoin de soins.
Mais pour la grande majorité des confinés, le temps redécouvert est ce luxe qu’on avait auparavant du mal à s’offrir. Exception faite bien entendu pour ceux qui se laissent dévorer par le télétravail, on ne guérit pas instantanément quand on est « workaholic » depuis des années Le fait de se retrouver avec soi, avec ses proches quand on la chance de ne pas être seul, devient une richesse qu’on avait un peu oubliée. On revisite son passé, on recense ses envies, ses ambitions, on revoit ses projets les plus lointains, on feuillette ses agendas et on cherche à retrouver les choses vraiment importantes qu’on a faites. C’est la redécouverte des albums de photo, interrompus depuis trop longtemps, le classement des photos papier et des films vidéo. On nettoie les mémoires pour retrouver la mémoire, exercice salutaire pour prévenir Alzheimer.
L’occasion unique aussi de reprendre ses carnets d’adresse, d’éplucher ses contacts, de nettoyer ses listes d’amis ou supposés tels sur nos messageries. Et de faire de nouvelles listes : les gens à appeler car on les a perdus de vue, les amis dont on s’inquiète, les proches trop lointains, les fils à renouer pour créer ce tissu d’amis vrais qui n’est pas celui des « amis de Facebook », souvent jamais rencontrés.
Mais c’est là que l’époque a changé. Le même confinement, il y a seulement vingt ans, aurait été beaucoup plus lourd et frustrant car on n’avait pas encore un tel niveau de développement des moyens d’échanger et de se parler. Facebook bien sûr mais aussi WeChat, Skype, Whatsapp, Telegram, les applications sont innombrables qui permettent de parler aux plus lointains sans faire exploser la facture du téléphone. La pratique toute récente des « apéros Internet » ou dîners est un heureux palliatif à la frustration de ne pouvoir visiter ou recevoir ses vrais amis, ses parents.
Les plus malheureux aujourd’hui sont ceux qui ne sont pas connectés avec un réseau suffisamment puissant (je parle de qualité de connexion, le mieux étant évidemment la fibre qui n’est pas encore disponible partout).
Revanche des plus jeunes, jusqu’alors traités avec condescendance de « Geeks » par leurs aînés parce que trop absorbés par leurs tablettes et smartphones, ce sont eux qui aujourd’hui sont les formateurs des anciens et les initient aux derniers logiciels d’échange et de partage. Franchement, cette nouvelle dimension est d’une richesse incroyable et, avec l’accès gratuit à un certain nombre de prestations pour inciter les gens à rester chez eux, on peut visiter des musées, apprendre des langues étrangères, voir des films nouveaux ou revoir des films anciens, le catalogue s’enrichit tous les jours avec les initiatives généreuses d’organismes publics ou privés. A l’opposé, les plus âgés dans leurs maisons de retraite, les fameux EPHAD (Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), sont doublement handicapés de n’avoir ni l’accès facile aux facilités Internet, ni encore moins la connaissance des logiciels et clefs d’accès à tous ces services de mise en relation avec leurs proches ou leurs connaissances. Le passage par cette crise du Coronavirus, comme toutes les « guerres », sera certainement un accélérateur puissant du passage à l’informatique de communication en France et dans les pays développés.
Et justement, je suis frappé de ce que cet accès à l’Internet ne soit plus réservé aux sociétés dites évoluées. Comme le téléphone portable, l’accès par Internet aux médias sociaux est devenu le moyen de communication le plus répandu dans le monde. Comme à l’époque de la grève générale et de la révolte indigène en Équateur en octobre dernier, les consignes de confinement sanitaires en sont diffusées aussi et surtout par les médias sociaux aux communautés les plus reculées dans la forêt amazonienne. Les informations non officielles sur la pandémie venus de la Chine où la communication est strictement contrôlées ont fuité par les médias sociaux, de la même façon qu’en Iran, pays également très atteint par la pandémie. Même aux États-Unis, première puissance industrielle et technologique, les médias sociaux fournissent une puissante contre-information aux informations officielles qui avaient jusqu’ici minimisé les effets de la pandémie.
Dans le flot d’informations qui jaillit de partout, contourne la disparition momentanée des kiosques à journaux et permet de s’informer vraiment si on va au-delà des quelques chaînes dites d’information qui font plus souvent de l’éditorial et du sensationnel, beaucoup de réflexions commencent à apparaître sur comment sera « l’après ». Trop tôt évidemment pour titrer des conclusions, dont beaucoup révèlent des a-priori idéologiques. La seule certitude est que cet « après » ne sera plus comme « avant ». Avec peut-être une autre certitude, c’est que le temps est peut-être plus précieux que la course en avant. Et une envie forte, c’est que ce temps retrouvé par l’obligation du confinement nous fasse redécouvrir les valeurs et ne nous échappe pas demain sous le poids d’autres contraintes, dont beaucoup sont artificielles.
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