Ehsan, auxiliaire interprète des armées françaises en Afghanistan pendant plusieurs années, a raté la dernière opération mise en place en 2018 (la première était en 2012) pour accueillir ses collègues en France où il est arrivé un an plus tard, et se retrouve aujourd’hui dans une situation de précarité absolue, aggravée par le confinement.
Il ne s’appelle pas Ehsan mais pourrait s’appeler Issam, Abdul, Ahmad, Saïd, et comme ancien “tarjuman” (interprète) il reste discret sur son identité car il redoute, comme tout Afghan ayant aidé les armées françaises, l’hostilité de groupes d’islamistes radicalisés ou soutenant les Talibans, sans parler de représailles contre les familles restées à Kaboul. Tous demandent une reconnaissance de ce qu’ils ont fait pour la France, et la possibilité de gagner eux-mêmes leur vie (ci-dessous manifestation d’auxiliaires afghans demandant leur régularisation – photo Ph.Lopez AFP).
Ces menaces ne sont pas toujours prises au sérieux par les autorités françaises, mais Ehsan peut témoigner qu’après le départ des forces françaises entre 2012 et 2014, lui-même et sa famille ont reçu des menaces des talibans de son village. Son père est décédé pour des raisons non élucidées et son frère a été blessé d’une balle au ventre, la famille a donc fini par se réfugier dans la capitale afghane, Kaboul.
Pour des raisons familiales, sa mère étant gravement malade, et de formation professionnelle car il terminait un Master, il n’a pu se joindre au dernier groupe des interprètes afghans de l’armée française partis en 2018 d’Afghanistan, accueillis par l’association France Horizons et aujourd’hui installés à Strasbourg.
Ceux-ci ont reçu un permis de séjour de dix ans mais ils ont bénéficié en plus des aides prévues au budget des armée, avec un logement, le RSA, la carte Vitale, une attestation de permis de conduire et un permis de travail. Selon L’Express, l'armée française a utilisé quelque 800 collaborateurs en Afghanistan, recrutés entre 2002 et 2014. À ce jour, écrit l’hebdomadaire, seuls 260 en tout ont été "rapatriés", afin d'échapper aux représailles des talibans. Une centaine d'autres continuent de réclamer ce droit par l'intermédiaire de l'Association des anciens interprètes et auxiliaires afghans (AAIA).
Depuis son arrivée en novembre 2019, avec un simple visa mais sans ressources et ayant très vite épuisé ses maigres économies, il a été accueilli ici ou là par des compatriotes, puis a cherché refuge dans des gares, avant de partager aujourd’hui avec un compatriote qui l’a secouru un studio de 8 mètres carrés dans la banlieue sud de Paris (ci-contre) où il dort sur un tapis et dont il ne sort pas en raison du confinement.
A ce jour, toutes ses démarches sont restées sans effet, tant auprès des autorités administratives que du Pôle accueil social de la défense (PASD) ou de différentes organisations caritatives et d’entraide, malgré les témoignages de soutien apportés par plusieurs responsables diplomatiques et militaires qui ont apprécié son dévouement sur le théâtre afghan.
Pendant plus de quatre ans il a aidé le contingent français, comme interprète au centre de recrutement du camp de Nijrab (province du Nord-Est) ainsi que pour le bataillon CIMIC (actions civilo-militaires) du camp de Tora (Est), participé à des dizaines d’opérations en Kapisa et a mené des missions dangereuses en accompagnant des patrouilles en opération ainsi que des journalistes en zones de combat.
Les photos qu’il montre discrètement parlent d’elles-mêmes : on le voit avec l’ambassadeur de France de l’époque, David Martinon, avec le président afghan d'alors, Hamid Karzai, ou en battle-dress avec le bataillon CIMIC de la FOB Tora, ainsi qu’avec un détachement multinational de gendarmerie coopérant avec l’armée afghane.
Ce jeune interprète a reçu une aide de quelques bénévoles mais qui était ponctuelle, et n’a plus aucune ressource en cette période de paralysie générale. Tout ce qu’il souhaite en fait, comme ses camarades non encore régularisés, c’est une régularisation de sa situation avec permis de séjour et permis de travail qui lui permette de s’établir et travailler en France pour subvenir lui-même à ses besoins. Le sentiment d'avoir été abandonné par un pays pour lequel il a risqué sa vie ajoute à sa détresse, et le cas de tous ces laissés pour compte a été raconté dans le livre de Brice Andlauer et Quentin Müller "Tarjuman, une trahison française".
Dans une interview au journaliste Luc Mathieu du quotidien Libération, cet interprète raconte qu’il appelle tous les deux jours sa famille à Kaboul, où sa mère et ses deux sœurs vivent elles-aussi confinées et restées sans travail. Elles vivent pour l’instant sur ce que leur avait laissé Ehsan, mais avec une réelle incertitude sur leur avenir ce qui l’inquiète beaucoup.
Diplômé en interprétariat et traduction de l’université centrale d’Afghanistan en Dari et Pachtoune vers le Français et l’Anglais, il a également achevé en 2019 un Master I et un Master II à l’université des relations internationales et des sciences politiques Azicina de Kaboul. Son niveau acquis comme traducteur, expert, enseignant et cadre d’entreprise, attesté par un long CV, et son expérience opérationnelle le rendent disponible pour nombre d’activités, pour peu qu’on veuille bien reconnaître son passé et ses compétences au service de la France.
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