La prochaine entrée en fonctions du président américain Joe Biden est attendue avec impatience par les Cubains de toutes tendances, tant par les autorités du régime que par la population, et peut-être même par une partie des Cubains exilés aux Etats-Unis, avec l’espoir partagé que l’embargo qui pèse depuis soixante ans sur l’île soit enfin levé.
Côté officiel, le président Miguel Diaz-Canel a, selon l’AFP à La Havane, exprimé la disposition de Cuba à discuter « de n’importe quel sujet » avec les Etats-Unis, sauf bien entendu « la révolution, le socialisme et notre souveraineté » qui ne sont pas négociables, on s’en serait douté.
Très attendue, la visite de Barak Obama en mars 2016 avait laissé un goût d’amertume car le président américain était en fin de mandat et n’avait pas la marge de manœuvre nécessaire. Certes ce n’était pas une visite d’Etat, et Obama n’avait pas rencontré un Fidel Castro déjà affaibli, mais il avait été traité avec beaucoup d’égards par le président Raul Castro. Pourtant, interrogé lors d’une conférence de presse sur la levée de l’embargo américain contre Cuba, il avait répondu que c’était du ressort du Congrès… Et on sait ce qu’en a fait son successeur : Donald Trump a au contraire durci cet embargo dans tous les domaines, y compris en limitant davantage encore l’accès des touristes américains, les vols directs depuis le territoire américain et même les escales de bateaux de croisière, contribuant à une désertification des sites touristiques avant même la pandémie.
Côté population, et en l’absence de sources dans un pays dépourvu de la liberté de la presse, on sait seulement que l’attente est à la mesure de l’exaspération d’une population qui souffre à la fois de la pénurie économique, des contraintes sanitaires dues à la pandémie et du durcissement politique, le régime poursuivant d’une main de fer toute contestation, même artistique, comme il l’a prouvé en dispersant et arrêtant des artistes qui avaient commencé une grève de la faim pour la liberté de création en formant le collectif San Isidro.
La seule formation politique autorisée étant le parti communiste cubain (le PCC et ses organisations), aucune contestation ne peut en effet se structurer au niveau politique. En revanche, comme dans d’autres pays comme l’Allemagne de l’Est et la Pologne avant la chute des régimes communistes, les structures religieuses sont un véhicule d’expression et la fréquentation des églises a connu un regain qui n’est peut-être pas seulement religieux, depuis la visite de trois papes à La Havane.
Précisément, la participation à ces trois visites du cardinal Bergoglio, devenu le pape François pour la troisième, a grandement contribué à cette ouverture de Cuba vers le monde. Mgr Bergoglio aurait alors joué un rôle personnel dans la reprise des discussions entre le régime et l’administration américaine. Et le fait que Joe Biden soit catholique facilitera peut-être encore plus une médiation vaticane, ou en tous cas un dialogue.
Et si le Vatican se garde bien de s’ingérer dans la politique intérieure cubaine, l’église catholique cubaine assume son rôle de défense des fidèles. La conférence épiscopale a même pris position pour les artistes en grève, selon des médias d’opposition sur Internet. Et elle est sans doute obligée de le faire pour éviter des prises de position isolées et suicidaires, comme celle de ce prêtre qui, il y a quelques mois, a publié sur Internet un très long témoignage sur son horreur du régime, que l’on peut trouver sur ces mêmes sites d’opposition.
Les catholiques ne sont du reste pas seuls à exprimer, prudemment, des points de vue critiques. Les églises évangéliques aussi qui viennent de dénoncer, mais depuis Miami, le détournement présumé de 22 tonnes d’aide alimentaire par l’administration cubaine. Cette aide, réunie par les églises évangéliques auprès des Cubains exilés, était destinée à être distribuée aux plus nécessiteux par les églises évangéliques à Cuba, mais n’est jamais arrivée à destination, selon le transporteur.
Même si les organisations cubaines de Miami restent farouchement anticastristes et ont soutenu majoritairement le vote pour Donald Trump, il est vraisemblable que beaucoup d’exilés verraient d’un bon œil une levée ou même un allègement des sanctions contre Cuba : tous ont des parents ou des proches sur l’île avec lesquels les contacts sont difficiles et qu’ils voudraient pouvoir aider.
Paradoxalement, les seuls que pourrait inquiéter une levée du blocus sont plutôt les communistes irréductibles. Ils savent que le combat contre l’impérialisme américain est le seul rempart de leur légitimité, dans un monde où Cuba est un des derniers pays communistes, avec le Vietnam et la Corée du Nord. C’est la vieille garde du régime, mais on ne sait rien ou presque des nouvelles générations.
Raul Castro est aujourd’hui secrétaire général du PCC. Il aura 90 ans le 3 juin 2021. Il est presque certain qu’au 8e congrès du PCC du 16 au 19 avril, il présentera sa démission et laissera la place à un successeur pour diriger le parti. Joe Biden sera, lui, président en exercice des Etats-Unis à partir du 20 janvier. Il aura moins de trois mois pour « ouvrir la fenêtre » et laisser un peu d’air pénétrer à Cuba, en évitant peut-être un énième durcissement avec cette nouvelle garde mal connue. Les Cubains attendent…
Commentaires