Le premier tour des présidentielles en Equateur a surpris la plupart des analystes, concentrés sur un duel traditionnel entre le candidat de la droite libérale Guillermo Lasso et le candidat socialiste Andrés Arauz, soutenu par l’ancien président en exil Rafael Correa. Ils n’avaient pas vu venir le candidat Yaku Perez, soutenu par le mouvement Pachakutik sans appartenir lui-même à une des communautés indigènes, arrivé en deuxième position selon les résultats du conseil national électoral, alors que 3% seulement des suffrages restaient à décompter.
Cette absence de prévision reflète à la fois le prisme politique équatorien, avec un parlement où les communautés indigènes étaient jusqu’à présent sous-représentées, également le fait que la presse nationale équatorienne est concentrée à Quito et Guayaquil, et le fait aussi que les avatars du « corréisme » faussent la perspective en continuant à susciter autant de passions dans ce pays que le péronisme en Argentine, avec la même équivoque sur le fait que ces mouvements seraient « de gauche ».
Un symbole étonnant, le fait que le quotidien communiste français L’Humanité ait publié une interview de Correa à la veille du scrutin présidentiel, intervenant pour condamner le président sortant Lenin Moreno comme « traître » et appelant à soutenir le candidat progressiste Arauz. Un soutien qui a peut-être profité à la campagne d’Arauz mais ne le lie pas pour demain. Correa aurait dû apprendre de son expérience avec Lenin Moreno que le candidat qu’il soutenait ne lui était pas forcément fidèle une fois élu, et ne l’avait pas défendu dans ses démêlés avec la justice, on aura l’occasion de le vérifier avec Arauz.
L’élément nouveau n’est au fond pas si nouveau que ça : le soulèvement d’octobre 2019, qui n’était pas le premier organisé par les communautés indigènes, avait cependant marqué l’émergence d’une opposition cohérente, structurée derrière le chef de la CONAIE (Confédération des nations indigènes de l’Équateur) et capable de faire plier le président en lui faisant retirer purement et simplement le plan d’austérité décidé sous la pression du FMI.
Cette mobilisation qui avait alors pris de court les politiques traditionnels s’était faite notamment parce que les communautés indigènes, trop souvent ignorées par la presse, avaient commencé à s’organiser à travers les médias sociaux en créant leurs propres réseaux et en étant capables de diffuser des mots d’ordre avec exécution immédiate depuis les coins les plus reculés de la forêt et des Andes. C’est le travail des « Lanceros digitales », les lanciers numériques devenus des acteurs essentiels de ce « printemps équatorien ».
Exactement de la même façon, la campagne électorale pour ces présidentielles s’est déroulée à deux niveaux : les quotidiens et les télévisions équatoriens, repris par les médias étrangers, ont surtout mis le projecteur sur les deux candidats « classiques », Lasso et Arauz, tandis que la campagne de Pachakutik s’est beaucoup faite sur les réseaux sociaux, passant ainsi relativement inaperçue.
Le résultat est étonnant sur la répartition géographique des voix de ce premier tour : Lasso domine dans le Pichincha, la province de la capitale, et dans l’archipel un peu marginal des Galapagos. Son rival Arauz domine dans le reste du pays « développé », essentiellement le versant Pacifique du pays. Quant à Perez, il est largement dominant dans toutes les provinces amazoniennes et dans une partie des provinces andines.
Difficile pour un non-spécialiste de deviner les stratégies du second tour, entre les jeux d’alliances et les trahisons possibles. Si Lasso était arrivé en deuxième position, on aurait pu imaginer que Perez appelle à voter pour Arauz contre le candidat de droite. Mais si un duel Arauz-Perez se précise, l’affrontement pourrait être frontal et les partisans de Lasso seront dispersés, quels que soient les mots d’ordre.
Une chose est certaine, et on verra aussi le poids de ces forces politiques recomposées au sein du nouveau parlement également élu dans ce scrutin, c’est que le nouveau président aura à faire à une nouvelle opposition très active, on l'a vu au cours du vote comme on l'a vu au cours des derniers mois dans la mobilisation anto-Covid. Et si l’on présente Perez lui-même comme « écolo-indigéniste », sa base sera vraisemblablement structurée autour de la CONAIE et des différentes organisations indigènes régionales déjà mobilisées autour d’une défense active de leur environnement naturel. Un combat contre la déforestation, l’exploitation minière, la prospection et l’extraction du pétrole, avec toutes les pollutions qu’elles génèrent et qui ne sont pas des nuisances mais une destruction véritable de la forêt amazonienne.