L’histoire est connue mais mérite d’être revisitée à l'heure de la défense de la forêt amazonienne : celle d’une jeune Allemande de dix-sept ans tombée de deux mille mètres d’un avion touché par la foudre au-dessus de la forêt amazonienne et qui, malgré ses blessures et seule survivante du crash sur les 93 occupants de l’avion, parcourt pendant onze jours et sans rien à manger une vingtaine de kilomètres à travers forêt et rivières jusqu’à trouver du secours.
L’histoire de Juliane Koepcke a été racontée une première fois en 1999 par le réalisateur Werner Herzog, qui a convaincu la jeune femme de sortir du silence dans lequel elle s’était enfermée pendant douze ans, jamais remise de cette catastrophe où elle avait perdu sa mère. Le film s'appelle « Les ailes de l’espoir” mais le titre est trompeur: ce n'est pas une histoire d'accident aéronautique mais une histoire de forêt profonde...
Ce film est un documentaire sobre où Herzog se met en scène en train d’interviewer la jeune femme, presque vingt ans après le drame, mais en réalité il la laisse se raconter et se livrer à cette plongée dans ses douloureux souvenirs en l’amenant pour la première fois sur les lieux mêmes du crash. Un narratif à peine romancé, quelques flash-backs, une émotion parfois suscitée comme dans l’avion où on lui redonne la même place que pour le crash…
Rien à voir avec la violence de “Aguirre, la colère de Dieu” réalisé par Herzog en 1972 avec le tonitruant Klaus Kinski, récit épique tout en démesure dans cette même forêt amazonienne qui n'est qu'un luxuriant décor. Mais la sobriété est la condition posée par Juliane Koepcke elle-même, échaudée et murée dans son silence à cause de toutes les productions écrites et audiovisuelles ayant fantasmé sur “la jeune blonde à moitié nue au milieu des jaguars et des serpents…" (comme ci-contre).
C’est donc à partir de sa propre interview sur les lieux de la catastrophe où Herzog l’avait ramenée et en parcourant à pied une partie du trajet de son "évasion" que Juliane va se libérer complètement en écrivant ensuite son propre récit, “Tombée du ciel” (1).
L’actualité de ce récit est très forte car à travers sa longue histoire, elle révèle ce qui a fait son destin : ce sont ses années d’enfance et d’adolescence avec ses parents, scientifiques installés dans la forêt péruvienne pour leurs travaux d’étude des oiseaux des insectes et de la flore de cette partie de forêt préservée, qui lui ont « enseigné » la forêt et permis au moment du crash de retrouver la porte de sortie.
J’adore les histoires, exceptionnelles et rares, de pilotes ou de passagers tombés du ciel sans parachute et retrouvés vivants car amortis par la neige. Ici, bien que la catastrophe ait eu lieu sur les contreforts des Andes sur un versant élevé de la forêt amazonienne, il n’y avait pas de neige. Au-delà d’hypothèses sans doute fantaisistes sur le fait que la rangée de sièges sur laquelle elle était restée seule attachée aurait pu la faire “planer”, en réalité c’est la forêt qui l’a sauvée en amortissant sa chute à travers l'épaisse couverture des arbres.
La canopée a peut-être amorti la chute d’autres passagers, mais cela n’a pas suffi pour les sauver. La forêt profonde ayant littéralement englouti les débris de l’appareil, les nombreux survols n’ont rien donné et les recherches ont été abandonnées après plusieurs jours. Lorsque la jeune Juliane est finalement sortie de la forêt et a pu indiquer son trajet de onze jours, permettant de localiser le lieu du crash, les recherches ont repris et les sauveteurs ont constaté, mais trop tard, que plusieurs victimes avaient pu survivre quelques jours à leur chute de 2.000 m. avant de succomber à leurs blessures.
C’est donc sa connaissance intime de la forêt qui lui a permis, comme le lui avait enseigné son père, de trouver le fil d’Ariane pour retrouver le chemin de la sortie, vers les premiers secours : le bruit imperceptible d’un écoulement d’eau, puis un ruisseau, puis une rivière, jusqu’au fleuve, marchant et nageant malgré ses blessures sans être agressée par les dangers de la forêt. Et c’est cette forêt salvatrice à laquelle elle va finalement consacrer le reste de sa vie, en faisant aboutir le projet de ses parents de faire classer « zone protégée » la réserve délimitée où ils ont vécu tant d’années, en recueillant des fonds pour racheter des terres à préserver et en convaincant jusqu’aux indigènes de la zone d’en respecter et préserver intégralement la faune et la flore.
Cette forêt aurait pu rester le lieu haï de son cauchemar, notamment à cause de la perte de sa mère. Mais précisément et par fidélité à sa mère, Juliane a choisi de lui consacrer tous ses efforts et d’y envoyer ses propres étudiants et chercheurs qu’elle continue à encadrer en Allemagne. Après ses parents qui s'étaient consacrés aux oiseaux, aux coléoptères et lépidoptères, elle-même sur le conseil de son père s'est spécialisée dans l'étude des chauve-souris de la région,dont elle a fait son sujet de thèse. Un très beau témoignage de défense de l’environnement amazonien, à découvrir dans le film de Werner Herzog et surtout dans l’autobiographie de Juliane Koepcke.
(1) “When I fell from the sky – The True Story of One Woman’s Miraculous Survival », publié en allemand puis en 2011 en traduction anglaise. Titletown Publishing, LLC
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