Diffusé lundi soir sur Arte et encore disponible en replay (à voir vite !!), le film de la réalisatrice espagnole Icíar Bollaín Yuli est tiré de l’autobiographie de ce danseur cubain exceptionnel, “Sin mira atras – No way home” sur un scénario du Britannique Paul Laverty. C’est une histoire émouvante et un « biopic » original puisque le danseur y joue son rôle aux côtés de jeunes et très jeunes danseurs le représentant dans ses différents âges.
Né dans une famille très modeste, ce jeune noir est poussé malgré lui par un père chauffeur de camion qui croit en son talent et veut lui transmettre la force et la ténacité de ses ancêtres esclaves. Il le pousse à l’école de danse, au pensionnat, puis à ses premiers contrats à l’étranger quand le jeune danseur émerge. « Pars, oublie-nous, oublie Cuba. Tu dois réussir tout seul, tu dois réussir à danser Roméo et Juliette, et tu seras le premier Roméo noir, imagine le symbole ! » lui dit son père. Un trajet difficile mais une trajectoire qui le propulse au firmament, tout en lui imposant solitude et éloignement car il ne peut oublier ni son île, ni encore moins sa famille.
La bonne nouvelle c’est que Carlos Acorta, acquérant une réputation mondiale à Londres, Houston et dans les grandes capitales, devenu danseur étoile du Royal Ballet de Londres, est finalement retourné à Cuba pour à son tour promouvoir les jeunes talents en créant une école de danse à son nom en 2016, la Academia de Baile Carlos Acosta.
Mieux encore, il a obtenu du gouvernement cubain de participer à la réhabilitation d’un ensemble architectural unique, voulu par Fidel Castro, le complexe des écoles d’art de La Havane, lancé en 1961 par les architectes Ricardo Porro, Vittorio Garatti et Robert Gattardi, pour y installer sa nouvelle école de danse.
Un ensemble de bâtiments ouverts et lumineux, aux formes rondes et harmonieuses, utilisant des matériaux « non capitalistes » comme la brique et la tuile en argile, avec le recours à la voûte catalane comme on en réalisait depuis des siècles en Catalogne avec des briques plates.
J’avais eu le plaisir de le visiter en 1968 alors qu’y fonctionnait déjà l’école de danse. Dans le film, un guide fait visiter ce complexe abandonné en commentant : « malheureusement, les Russes ont jugé que cet ensemble n’était pas rentable et il a été abandonné ». C’était l’après-1968, la disparition de Che Guevara qui en avait été le promoteur et la reprise en main par l’URSS brejnévienne, la fin du romantisme de la révolution et l'instauration d’une rationalité caricaturale qui allait aboutir au désastre économique des années 1980 et 1990 – un désastre évoqué par le film quand il montre ces années catastrophiques où tout le monde voulait fuir, et ce sera le cas d’une partie de la famille de Yuli.
Pour autant la réalisatrice ne tombe pas dans le cliché et Carlos Acorta se voit lui-même bousculé par ses amis proches qui lui expliquent que s'il a, lui, le luxe de voyager, eux voudraient plutôt s’exiler, faute d’espoir. Et si le film présente une séquence d’un ballet conçu par Yuli où il dénonce un général américain vendu aux grades banques et fomentant des coups d’Etat, il montre les amis du danseur l’interpellant « c’est quoi, ton truc, tu fais de la propagande ? ». Ce qui est une façon pour la réalisatrice de garder le recul nécessaire, un exercice toujours difficile quand on aborde le sujet de Cuba, entre pro et anti régime...
Le film se termine de façon subliminale sur le retour de Yuli à Cuba où le film sera présenté en 2018 au 40e Festival international du film de La Havane, devant 5.000 personnes émues et enthousiastes. Le retour du fils prodigue, titreront les médias pro-régime. Ou tout simplement la seconde carrière d’un danseur étoile arrivé à 47 ans au faîte de sa carrière et voulant transmettre le témoin aux jeunes Cubains, en hommage à son père et à ses professeurs de danse de La Havane. Seul regret, c’est que le film ne cite pas dans les débuts du jeune Yuli la présence à l’époque de la grande Alicia Alonso, danseuse puis chorégraphe mondialement reconnue, qui a fondé le Ballet national de Cuba en 1948, a suscité des milliers de vocations sur des générations et en est restée l’autorité de référence jusqu’à son décès en 2019. A l’évidence, Carlos Acorta a repris le flambeau de parrain de la danse à Cuba.
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