Autrefois farouches guerriers de la forêt vierge, faisant partie comme les Shuar et les Shiwiar de la grande famille de ceux qui ne veulent plus qu’on les appelle les Jivaros, les Achuar règlent aujourd’hui leurs rivalités entre communautés à travers des tournois de football acharnés auxquels ils se préparent dès leur plus jeune âge. J'ai pu le constater à Napurak, dans l’Amazonie équatorienne, sur le fleuve Pastaza, grand affluent de l’Amazone.
Des tournois évidemment amicaux, puisque la plupart de leurs communautés ont des liens de parenté et que les Achuar ne sont plus obligés d’aller razzier les femmes dans les villages voisins en tuant leurs maris, puisque les mariages sont arrangés par les familles et que, depuis quelques années, les garçons rencontrent les filles dans les collèges regroupant plusieurs communautés.
Capables de former des équipes de bon niveau, les Achuar pratiquent un entraînement permanent puisque le foot est, avec le handball, l’un des principaux sports pratiqués chez eux. Et d’autant plus facilement que chaque communauté est dotée d’une piste d’atterrissage pour "avioneta" obtenue par déforestation d’une longue bande de terre constamment désherbée, un formidable terrain de jeu. Cette piste est non seulement le point d’accès des visiteurs, mais le point de sortie en cas d’évacuation sanitaire d’urgence pour les maladies graves et les accouchements.
Chaque activité collective, réunion du conseil de village, corvée collective de nettoyage ou désherbage, construction en commun d’une case ou d’une structure d’intérêt collectif, se termine par une partie de foot endiablée où on se défoule en criant et les femmes participent autant que les hommes, en short et maillot de foot, en équipes homogènes ou mixtes.
Les enfants participent aussi à ces équipes de circonstance, jouant souvent pieds nus, et font preuve d’une agilité et d’une pratique du jeu étonnantes. Bien que Napurak n’ait ni télévision ni Internet, des vidéos circulent jusqu’ici et les plus prisées sont elles des matchs internationaux, d’où leur connaissance stupéfiante non seulement des équipes mais aussi des joueurs. Un jeune avait crayonné au stylo-bille sur son avant-bras le nom de Messi, l’idole de beaucoup de jeunes.
Si pour les compétitions inter-communautés les équipes sont dotées de maillots uniformes à leurs couleurs, pour l’entraînement chacun s’habille comme il veut et certains portent des maillots récupérés en ville par leurs anciens et portant les couleurs du Barça, de Manchester United, du Real Madrid, du PSG, du Bayern ou d’Arsenal. Mais la plupart portent des T-shirts délavés qui trahissent leur utilisation intensive.
Bien entendu les jours de pluie, avec de grosses averses équatoriales qui noient le village et la piste, on sort dès qu’il a cessé de pleuvoir : le foot se pratique sur la piste détrempée et les plus jeunes courent à travers les flaques en se roulant joyeusement dans la boue à la moindre occasion, ce qui ne permet plus au spectateur de distinguer les deux équipes.
Ayant lancé un appel aux dons pour équiper les enfants du village, qui n’ont pas accès aux maillots des plus grands, j’ai été heureux de recevoir de plusieurs amis des maillots du RC Lens, de l’OM, du PSG et de plusieurs clubs parisiens en taille enfants, avec shorts et survêtements, un cadeau très apprécié !
Préférant éviter une grosse bousculade, j’ai demandé à Pedro, le chef de la communauté, de procéder à la distribution de la quarantaine de maillots, ce qu’il a fait en mettant les plus jeunes en rang d’oignons pour mieux répartir les tailles. Puis chacun est reparti avec qui son T-shirt, qui son short, qui son survêtement… et tout le monde est revenu avec les vieux maillots sales pour ne pas abimer les nouveaux.
Ici encore plus qu’ailleurs, le foot est un puissant moteur d’intégration. Le village de Napurak, qui ne compte qu’une soixantaine de personnes toutes générations confondues, se retrouve sur le terrain de foot avec des équipes "de 7 à 77 ans" et c’est là que se révèlent les tempéraments les plus vifs.
Et pour ceux des visiteurs qui ne pratiquent ni la langue des Achuar ni l’espagnol, le foot reste un langage commun qui permet d’emblée de se faire adopter par le groupe. Ce serait mieux, c’est certain, si les plus petits avaient comme les grands des chaussures de foot plutôt que de taper pieds nus dans le ballon – ce qu’ils font du reste sans hésitation. Il faudra que j’y pense si je fais un nouvel appel aux amis pour aider cette attachante communauté de Napurak !