Le titre de cette magnifique exposition au Musée des Arts premiers, Quai Branly à Paris, interroge: pourquoi “Black Indians” ? Ce n’est pas une simple fantaisie des bandes de carnaval de la Nouvelle Orléans, qui par ailleurs n’en manquent pas, c’est en réalité, à travers ces costumes qui portent le double héritage africain et indien, un hommage des "Afro-Americans" d’aujourd’hui aux tribus amérindiennes de la Louisiane qui avaient recueilli ceux des esclaves noirs qui arrivaient à s’évader.
La mise en scène des costumes contemporains, armures de perles et de plumes qui pèsent jusqu’à 40 kilos et que portent les chefs de ces bandes musicales et leurs adjoints pendant des journées entières s’accompagne d’une intéressante mise en perspective historique, très pédagogique, qui raconte cette histoire d’une musique originale née des drames de l’esclavage.
Il faut prendre son temps dans les premières salles avec leurs cartels très documentés, pour comprendre toute l’histoire. L’arrivée dès le 16e siècle des colons et des planteurs de café, de cacao et de canne à sucre, le besoin de main d’œuvre avec l’insuffisance numérique des amérindiens décimés par les épidémies importées d’Europe, le début de la traite des noirs et la montée en puissance du commerce triangulaire Europe-Afrique-Amérique, la colonisation des terres d’Amérique par les puissances européennes, et finalement l’histoire spécifique de la colonie française de Louisiane, avec la fondation de la Nouvelle Orléans en 1718.
Une histoire spécifique car en application du “Code noir” instauré par Colbert dans les colonies, qui légitimait et encadrait l’esclavage des noirs, les esclaves de ces colonies étaient baptisés et en tant que chrétiens ne pouvaient pas travailler le dimanche et bénéficiaient du congé dominical.
Pendant cette journée, ils avaient pris l’habitude à la Nouvelle Orléans de se réunir sur un terrain au nord de la ville, appelé “place des Nègres” et qui deviendra ensuite la “place Congo”. Un endroit où se retrouvaient les Africains des différents groupes ethnico-linguistiques mais aussi les esclaves amérindiens. Et c’est là qu’ils retrouvaient leurs rythmes pour chanter et danser la "bamboula", rappeler leurs croyances africaines, célébrer le vaudou, et c'est là qu’ils pouvaient librement parler entre eux – et plus exactement bavarder, en vieux français “jaser”, qui serait l’origine du mot jazz.
Musique et violence, musique comme révolte contre l’injustice et pour la survie culturelle. Après l’esclavage, la ségrégation, le racisme, le Ku Klux Klan, l’exclusion urbaine, la suite est aussi racontée dans l’exposition : création de bandes costumées suivies de fanfares, organisation de défilés pour les enterrements ou pour carnaval, rivalité entre ces bandes qui vont progressivement canaliser sans la supprimer la violence des bandes urbaines, inventivité croissante, grâce à cette rivalité, pour la préparation pendant une année entière des costumes de l’année suivante.
Ce sont les hommes qui cousent, ceux qui vont porter eux-mêmes les costumes, et c’est toute une tradition qui se construit à la fois sur la technique et les thèmes de ces costumes, l’esclavage, la vie, la mort, le succès, les dieux africains. Certains des costumes exposés montrent des scènes historiques racontées en broderies de perles : arrivée d’esclaves enchaînés sur la bateaux des négriers, vente des esclaves. D’autres sont des hommages à des personnages, comme cette robe inspirée des costumes de scène de Joséphine Baker avec ceinture de bananes.
Pour comprendre et apprécier cette histoire aujourd’hui, il faut absolument regarder la série américaine “Treme” qui raconte l’histoire des bandes musicales après l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle Orléans en août 2005. Tout y est, le lent travail de confection des costumes, la hiérarchie des groupes et le rôle du leader, le Big Chief, la rivalité entre ces groupes et surtout la musique, omniprésente d’un bout à l'autre de cette série : jazz, blues, musique cajun et musique cubaine, tout l’univers sonore de la Louisiane dont il faudrait même découvrir la richesse avant de visiter l’exposition.
Sans trop attendre quand même, car l’exposition Black Indians, ouverte en octobre dernier, ne dure que jusqu’au 15 janvier prochain. Mais c’est une excellente opportunité de visite pour les vacances, surtout pour les plus jeunes qui apprécieront l’explosion des couleurs et le débordement d’imagination de tous ces costumes.
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