Quoi de mieux qu’une écrasante canicule pour sensibiliser jeunes et moins jeunes aux dangers de la déforestation, en organisant une exposition de photos sur un village équatorien qui se bat avec ténacité contre les menaces qui pèsent sur la forêt amazonienne ?
Grâce à la complicité et au soutien du maire de Piombino, Francesco Ferrari, j’ai pu pendant quatre chaudes journées présenter une quarantaine de photos de mon village Achuar préféré, Napurak, petite communauté de vingt ans à peine, installée sur les rives du grand fleuve Pastaza, dans la province de Morona-Santiago en Equateur.
La décision du président brésilien Lula d’arrêter la déforestation a été une excellente nouvelle pour l’Amazonie tout entière, bien au-delà du Brésil, mais il faudra du temps avant qu’elle soit appliquée et que la forêt primaire soit réellement préservée : dans tous les pays du bassin amazonien, la forêt est l’objet des convoitises des compagnies forestières à la recherche de bois et d’essences rares, des industriels du soja et de l’huile de palme, et des compagnies minières et pétrolières impatientes d’exploiter le sous-sol sans limiter les effets destructeurs du sol.
Ayant effectué quatre visites depuis 2017 en Amazonie équatorienne, j’ai pu y mesurer non seulement la richesse du monde amazonien mais aussi la vulnérabilité des communautés indigènes et leur soif de soutien moral autant que matériel. Les habitants de Napurak, que j’ai pris le temps d’apprivoiser au fil de mes visites, m’ont accordé leur confiance en se prêtant au jeu des photos et des vidéos, fiers de présenter leur patrimoine et l’action de défense de leur environnement et désireux qu’on les connaisse et reconnaisse comme défenseurs de la forêt.
Ce sont les photos des peintures faciales que se font quotidiennement les hommes adultes, et les jours de fête pour les enfants, qui ont le plus intrigué les jeunes visiteurs de l’expo, présentée dans le cadre exceptionnel du palais Appiani, un palais du 14e siècle qui donne sur la mer, face à l’île d’Elbe. J’ai pu expliquer que chaque famille avait son motif, relié symboliquement à l’un des totems que sont le jaguar, l’aigle, le serpent, le sanglier, le tapir et tous les animaux qui font partie du cadre naturel de Napurak et qui figurent dans leur panthéon sous l’autorité de la déesse mère de la terre, Pachamama.
Eclairées sur le fond blanc de deux grandes salles, expliquées par des légendes et quelques cartels, les photos ont attiré un public très varié, depuis les enfants de ce port toscan en vacances jusqu’aux touristes de tous les coins de l’Italie, mais venus également de France, de Pologne, d’Allemagne, d’Australie, et même du Pérou. Deux couples connaissaient déjà l’Amazonie, dans des régions différentes, et témoignaient eux aussi de l’urgence d’aller rendre visite à ces communautés en danger ou dont au minimum les traditions risquent d’être effacées par l’arrivée de la route et de la « civilisation urbaine ».
Napurak vient de refuser un nouvelle fois cette année d’être reliée au réseau routier, qui leur apporterait pourtant des avantages matériels. Un refus qui étonne certains visiteurs. La réponse est simple : les habitants de cette communauté savent qu’avec la route arriveraient des camions et des coupeurs d’arbre, première étape du défrichement. Or les Achuar, qui font partie de l’ancien groupe ethnolinguistique des Jivaros (nom qu’ils rejettent car donné par les colons espagnols et les désignant comme des sauvages) sont d’anciens groupes de chasseurs nomades. Et s’ils sont aujourd’hui sédentarisés dans leurs petits villages, ils continuent à chasser et ont besoin que leur forêt reste préservée de toute présence humaine qui ferait fuir le gibier.
Chasseurs expérimentés, ils chassent encore le petit gibier (oiseaux, singes) à la sarbacane, avec des flèches trempées dans le curare, et le gros gibier (sangliers, tapirs) avec des lances ou à la carabine. Mais ils s’autolimitent en fixant un nombre maximum de bêtes abattues par famille, pour préserver la faune. Les Achuar de Napurak ne se considèrent pas extérieurs à la nature mais appartenant à la forêt à égalité avec les animaux et les plantes. Certaines photos montrent de petits animaux jouant avec les enfants, comme des singes, perroquets ou ratons laveurs, apprivoisés mais jamais capturés car libres de repartir, ce qu’ils font en grandissant.
A la question qui revenait souvent, “mais comment y arrive-t-on s’il n’y a pas de route ?” j’ai pu répondre que Napurak n’existe pas sur les cartes, créée par un groupe de familles sorties de la communauté de Wampuik devenue trop nombreuse par rapport aux ressources environnantes en poisson et gibier. J’ai eu la chance d’en découvrir l’existence à travers la belle BD de Sandro Pignocchi, anthropologue et excellent dessinateur, disciple de Philippe Descola, spécialiste des Achuar et lui-même disciple de Claude Lévi-Strauss. C’est lui qui m’a donné les clés de ce coin de paradis, auquel on accède en louant un petit monomoteur depuis la ville de Macas, à l’orée de la forêt, à deux heures de vol de Napurak.
A Napurak, on est fier de sa forêt et de son patrimoine, et les enfants étudient dans leur petite école – en espagnol et en Achuar – pour développer leur connaissance du monde. Flavio, Kleber, Marlon, Jorge, Pedro, Hernan, Santiago, Yuri, tous n’ont qu’un souhait, apprendre et transmettre. Leur ambition est de développer un tourisme “écoresponsable” pour faire connaitre leurs techniques de chasse et de pêche, leur incroyable connaissance des plantes médicinales, le raffinement de leur artisanat ancestral. Ils n’attendent qu’une chose, avoir davantage de visiteurs, à condition qu’on vienne les voir sans esprit de domination. Un message très bien passé chez les jeunes visiteurs qui ont apprécié cette exposition pédagogique, même les plus jeunes qui ont dessiné leurs commentaires, Diego, Atena, Dylan et Martynka.
Et pour ceux qui, à la fin de la visite, voulaient en savoir encore plus, je leur ai donné le lien vers une des vidéos faites dans le village : https://youtu.be/dhtll8SCG0g
La communauté dispose également d’un site Internet, pour se présenter et attirer les touristes mais aussi les volontaires enseignants : https://comunidad-napurak.webnode.ec/