Une clé pour comprendre la Syrie d’aujourd’hui. Publié en 2014, « Les couleurs du Sultan » d'Isabelle Hausser est un roman qui décrit l’accession au pouvoir du fils d’un dictateur, dans un lointain pays imaginaire, qui peu à peu devient lui-même un despote sanguinaire et entraîne son pays dans la guerre civile, massacre après massacre.
Tout est imaginaire sauf que tout est vrai : c’est l’ascension de Bachar el-Assad qui confisque la totalité du pouvoir en Syrie et met le pays en coupe réglée, jusqu’à l’explosion populaire qu’il tente de réprimer en enchaînant les violences. Si le narrateur, un militaire sunnite proche de Bachar – au moins au début - est peut-être imaginé, tous les autres personnages, les villes, les situations, sont décrits avec une précision clinique et les connaisseurs de la région peuvent trouver du plaisir à identifier les personnages réels derrière les pseudonymes.
Mais surtout, d’où l’importance actuelle de ce livre, il analyse les atouts du régime : la passivité des Occidentaux et des pays arabes, le soutien des Russes et de l’Iran. Et ses faiblesses, l’imprévisibilité et le manque de stratégie de Bachar qui se laisse entraîner aux pires excès par son entourage familial, notamment au Liban que les Syriens seront obligés d’évacuer après une longue occupation. Mais le contexte international est en train de changer et le président syrien a tellement fait le vide autour de lui, c’est très bien raconté dans ce roman de fiction, qu’il ne s’appuie plus que sur un clan très réduit dont il n’est même plus sûr.
Et le soutien iranien indispose tellement Israël, les monarchies arabes et même apparemment la Turquie, qu’il risque de se transformer aujourd’hui en faiblesse majeure. D’autant que le Hezbollah, milice chiite libanaise armée par l’Iran et qui a beaucoup contribué à combattre les mouvements d’opposition armée en Syrie, est aujourd’hui en grande difficulté et pourrait faire défaut au pouvoir alaouite.
La crédibilité de ce livre ne tient pas seulement au talent de la romancière, un écrivain connu, mais au fait qu’elle a choisi la diplomatie en sortant de l’ENA, donc elle sait de quoi elle parle, et surtout qu’elle a vécu l'évolution dramatique de la Syrie avec son mari Michel Duclos qui a été ambassadeur à Damas de 2006 à 2009, au cœur du sujet. Et qui a lui-même publié en 2019 un remarquable témoignage sur « La longue nuit syrienne – Dix années de diplomatie impuissante ».
Les couleurs du Sultan, Isabelle Hausser, Buchet Chastel 2014, 400 pages.
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