Intéressants débats mercredi 27 novembre à l’UNESCO sur « les peuples autochtones et les médias », avec des experts, journalistes et universitaires de nombreux pays venus discuter des moyens de favoriser l’accession aux outils médiatiques et aux médias des communautés indigènes souvent défavorisées par les médias « mainstream ». La séance publique a été précédée la veille par une réunion à huis clos pour un échange direct entre 43 experts de 27 pays.
Pour le détail mieux vaut se reporter au site unesco.org à la page consacrée aux langues autochtones où figurera un compte-rendu. Parmi les points les plus intéressants, l’aspiration croissante des populations dites autochtones (avec un débat sur cette notion même, a remarqué Vital Bambandze, du Burundi, membre de l’instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones) à accéder aux médias pour s’exprimer et transmettre leurs valeurs. Un expert kényan, Victor Ochieng Juma, spécialiste de la culture des Masaï, a affirmé que l’actualité de son village, la problématique du réchauffement climatique, de la désertification et de l’exode des populations n’était pas seulement d’intérêt local mais intéressait le niveau national et même international et devait êtrecrelayée dans les grands médias.
Un expert colombien, Jaime Conrado Juajibioy, coordinateur du groupe de communication du département de l'audiovisuel, du cinéma et des médias interactifs au Ministère de la culture, et premier autochtone à occuper ce poste, a souligné que ce n’était pas seulement un problème linguistique mais de « préservation de nos langues natives, 65 langues en Colombie », aussi bien que des territoires, qui sont « bio-culturels, pas seulement linguistiques », avec une relation étroite entre le spirituel, le naturel et l’humain telle qu’elle a été transmise depuis des générations. Les politiques de coresponsabilité mises en place en Colombie entre autorités politiques, administratives et communautés indigènes, sont le résultat des mouvements de résistance et de survie de toutes ces communautés, a-t-il insisté.
Passionnant, le directeur des émissions en langue Sami de la radio-télévision suédoise, Thomas Sarri, a parlé du rôle pionnier joué par ce média pour faire accéder les populations Samis aux médias grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle (https://sverigesradio.se/artikel/nu-ska-ai-lara-sig-nordsamiska-sameradion-i-nytt-projekt). Travaillant avec l’université, la TV prête ses archives d’enregistrement de Samis pour modéliser la langue en IA, y compris avec des voix de Samis qui leur permettent ensuite de se reconnaître. Un effort du reste mené en transfrontalier, les populations de Samis s’étendant en Norvège et en Finlande en suivant leurs troupeaux de rennes, ce qu’a confirmé Johan Ailo Kalstad, directeur de la division NRK Sámi de la radio norvégienne. Thomas Sarri a raconté que 30% du travail effectué par la radio consistait à traduire les contenus suédois en langue Sami. « quand l’IA aura appris les 5 langues Sami, nous pourrons produire beaucoup plus de contenus avec les mêmes ressources ». Remarque importante, ces modèles linguistiques créés par l’IA seront du domaine public, accessibles à tous en tant que mission de service public de la radio-télévision suédoise.
Plusieurs exposants d’Amérique latine ont évoqué la situation de nature coloniale que vivent certaines de ces communautés, avec une presse contrôlée par les grands groupes et les grandes familles et dans laquelle « le mode le communication hégémonique c’est l’espagnol ». Avec en plus une relative méconnaissance des journalistes eux-mêmes pour la vie de ces communautés qu’ils considèrent comme relevant du « folklore ». La Chilienne Paula Huenchumil Jerez, journaliste de la communauté mapuche et professeur de journalisme à l’Université de Santiago, a évoqué la « situation grave au Chili où les populations indigènes sont décrites comme criminelles parce qu’elles défendent leurs territoires ». D’où l’importance de développer une communication permettant de faire remonter les thèmes indigènes « y compris dans les médias non indigènes ». Il faut aider à la participation des médias autochtones en leur donnant des moyens, s'agissant d'un « droit en tant que reconnaissance d’une réparation historique ». Pour elle une action publique est nécessaire notamment parce que la presse privée a sa propre ligne éditoriale sur laquelle on a du mal à influer. Ce sont ces médias privés, a-t-elle accusé, qui ont contribué à rendre invisibles les histoires indigènes et à criminaliser les communautés. D’où l’importance d’avoir des écoles de journalisme, pour les journalistes autochtones et non autochtones, afin « de lutter contre les préjugés et de combattre le racisme », d’autant que beaucoup des journalistes qui suivent les communautés autochtones « ne vont même pas sur le terrain ».
Pour Jorge Guachamín, secrétaire exécutif de la Coordination des médias communautaires populaires et éducatifs (CORAPE) de l’Equateur, si les droits des communautés indigènes sont reconnus dans la Constitution depuis 2008, la mise en oeuvre des lois concernant l’exercice de ces droits, avec une loi de 2013 révisée en 2019 puis en 2022, se heurte au fait que la défense et valorisation des territoires se heurtent au soutien des activités d’extraction minière par le gouvernement. Et au-delà du contexte politique, tout soutien public aux médias autochtones doit être pensée sur deux dimensions : quels contenus veut-on diffuser d’une part, et quels moyens techniques pour cette diffusion. Evoquant la répartition des fréquences radio qui en attribue 34% aux médias communautaires, il a souligné la difficulté technique de transmission en zone non urbaine, sans parler du coût : entre 6.000 et15.000 dollars pour participer au concours pour la répartition des fréquences, sans compter le coût de montage et de fonctionnement d’une station radio. Mais avec le développement des accès Internet y compris en région amazonienne, la réflexion doit porter également sur la numérisation des médias autochtones.
Dans le petit groupe des participants francophones, un représentant du Maghreb a remarqué que le langue amazigh représentant 30% des langues parlées dans sa région mais « c’est l’arabe qui envahit les médias », d’où la nécessité de développer les langues autochtones dans les médias « mainstream », tout en sensibilisant le grand public à la consommation de contenus locaux.
Comme toujours dans ce genre de réunion où foisonnent les idées, impossible d’en restituer l’essentiel. Mais la plupart des intervenants ont souligné le rôle actif de l’UNESCO pour la promotion des langues minoritaires. Le directeur de la Fédération guatémaltèque des écoles de radio, Walter Cuc, a remercié l’UNESCO pour ce qui est déjà fait en faveur du Guatemala et de la langue Maya, et a souhaité une « année du journalisme autochtone » et la création d’une alliance des médias indigènes, en privilégiant la formation journalistes dans les communautés autochtones capables d’utiliser les outils des médias pour préserver et transmettre leur patrimoine.
La responsable de la Section du développement des médias et des médias en situation d'urgence de l’UNESCO, Mirta Lourenço, a rappelé enfin que l’une des priorités de l’UNESCO était de renforcer la diversité et le pluralisme des médias, et qu’elle a déjà contribué à un effort important en faveur du Bangladesh, du Guatemala, du Népal, du Kenya, de la Tanzanie et du Sud-Soudan, et que la Suède était le principal donateur.
Bien sûr beaucoup d’autres interventions ont enrichi ce débat de plus de 5 heures et demie, dont je ne donne ici qu’un très bref aperçu. Mais l’UNESCO a le mérite de lettre en ligne un lien pour revoir tout l’enregistrement de cette journée de travail avec traduction en trois langues (français, anglais, espagnol) pour en suivre la totalité. Un fameux outil de travail !
Merci Pierre pour cette synthèse !
Rédigé par : AG Bilhaut | 28 novembre 2024 à 20:57