Revenir à Beyrouth c'est toujours un peu magique, on a l'impression de revenir chez soi. Ou plutôt l’illusion, car tout y est à la fois si proche et si différent. N’ayant pas la profondeur stratégique du général De Gaulle qui « vers l’orient compliqué (volait) avec des idées simples », je suis retourné à Beyrouth en préférant la sagesse d’Henry Laurens : « si vous avez compris quelque chose au Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué ». Mes précédents séjours m’ont appris qu’au Liban l’histoire se répète depuis des siècles, peut-être même des millénaires, et qu’avec une belle régularité les Libanais reviennent toujours à la case départ avec le même enthousiasme pour répéter les mêmes erreurs. Mais surtout, il faut l’admettre, ils y sont puissamment encouragés par toutes les puissances du monde et du moment qui ont choisi ce malheureux pays bien doté par la nature comme leur terrain de jeu et d’affrontement favori. Il n’empêche, j’ai senti que le moment était propice car le Liban a fait un grand pas en avant avec un nouveau président qui préside effectivement, un nouveau premier ministre qui conjugue intégrité et autorité et un nouveau gouvernement qui a obtenu la confiance des principales formations politiques, même le Hezbollah.
En prenant l’avion il me manquait juste le « résumé des épisodes précédents » pour me remettre en mémoire les principaux événements depuis le début de la guerre civile en 1975, et resituer le contexte alors que le Liban s’apprête à écrire cette nouvelle page de son Histoire. Ce résumé, ce sont les deux volumes de l’auteur de romans policiers Frédéric Paulin, qui réinscrit dans une trame romancée les « événements » depuis la guerre civile de 1975 jusqu’à l’attentat du Drakkar en 1983 dans un premier volume « Nul ennemi comme un frère », et prolonge jusqu’au printemps 1985 avec la guerre des camps, les affrontements entre Amal et les Palestiniens et la montée en puissance du Hezbollah dans le second « Rares ceux qui échappèrent à la guerre ». Quatre heures de vol entre Paris et Beyrouth permettent d’en avaler la moitié et c’est une excellente mise en situation. Et bonne nouvelle, Frédéric Paulin m’a annoncé la parution d’un troisième volume en septembre. Et ce qui est intéressant dans ses descriptions minutieuses, au-delà des personnages romancés, c’est l’exactitude des faits et le rôle des politiques et des services à Paris, dont la plupart des acteurs sont désignés par leur vrai nom.
Après cette mise en ambiance, on n’est pas surpris d’être accueillis dès la route de l'aéroport et jusqu'au centre de Beyrouth par des grands posters des leaders chiites et des "martyrs". La banlieue chiite a visiblement progressé jusqu’au cœur de Beyrouth, Manara, Hamra et Aïn Mraïsseh sont visiblement repeints aux couleurs chiites, entre bannières et banderoles, et de petites guérites sur la rue Hamra, tous les 50 mètres, sont autant de « centres d’information sur la religion » avec des portraits des dignitaires chiites et des volontaires assis à l’intérieur qui ont l’air de passablement s’ennuyer, à moins que ce soit la fatigue du jeûne du Ramadan. Et je constate que Hamra a perdu de son chic et que la mode fait la part belle au voile et aux décors islamiques.
Mais surtout, pour qui a connu la prospérité de ces quartiers, on sent le poids de la crise, beaucoup de magasins sont fermés et nombre de personnes de tout âge demandent l’aumône, sans que je puisse distinguer s’il s’agit de réfugiés chiites du sud-Liban, palestiniens ou syriens car il y en a beaucoup. Et si de grandes bannières jaunes, couleur du Hezbollah, sont déployées sur la corniche, la haute sculpture de Gamal Abdel Nasser veille toujours à l'entrée d'Aïn Mraisseh, souvenir d’une époque complètement révolue ici.
La corniche est toujours l'un des plus beaux bords de mer avec la Promenade des Anglais et le Malecón, et les Libanaises sont toujours aussi ensoleillées. Le street Art égaie les rues du quartier de Hamra, où la circulation des deux-roues est aussi dense que celles des voitures embouteillées, avec une particularité : personne ne porte de casque, ici un risque en plus ou en moins ça ne compte pas !
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