Ti amo Francia – Je t’aime la France, c ’est le cri d’amour lancé par un journaliste italien qui a passé plus de 35 ans en France et qu’il a mis en titre d’un livre publié en français et aussitôt traduit par lui-même et son épouse en italien. « Ti amo Francia – De Léonard de Vinci à Pierre Cardin, ces Italiens qui ont fait la France » n’est pas seulement un éloge de la fraternité franco-italienne, il est aussi une étonnante somme de connaissances et de révélations sur des Français connus dont on avait oublié qu’ils étaient restés Italiens.
Installé à Paris depuis 1986 comme correspondant de presse, auteur de plusieurs ouvrages dont en 2018 "Un vélo contre la barbarie nazie - L'incroyable destin du champion Gino Bartali", Alberto Toscano a publié ce livre en français à Paris en 2019 et en italien à Milan en 2020. Sa démonstration : la France ne serait pas la même sans ses immigrés et l’Italie ne serait pas la même sans l’histoire de ses fils qui ont dû s’en aller. Et sur les dizaines de millions d’Italiens partis en Europe et vers les Amériques, ceux qui sont partis en France, insiste-t-il, on laissé une empreinte profonde.
Partant de cinq siècles de culture commune gallo-romaine, l’auteur déroule le fil des influences croisées au fil des siècles. C’est ainsi que le Livre des Merveilles, le récit des voyages de Marco Polo, a été dicté en français à son compagnon Rusticello da Pisa. A travers les siècles, le fil des influences italiennes est fait à la fois de personnalités marquantes autant que de millions d’Italiens anonymes venus travailler en France.
Sans pouvoir citer toutes ces personnalités qui sont innombrables, la plus connue des Français est bien entendu Léonard de Vinci, qui à l’invitation de François Ier arrive à Amboise à l’automne 1516 avec plusieurs de ses œuvres dont la Joconde. Au cours des XVIe, XVII et XVIIIe siècle, on se dispute en Europe et d’abord en France les intellectuels, scientifiques et artistes italiens, un peu comme on se dispute aujourd’hui les joueurs de football, raconte-t-il.
C’est l’époque de Catherine de Médicis, épouse d’Henri II de Valois, qui impose le bon goût italien à table, la crème glacée et la fourchette. Le 14 juin 1549, elle donne à l’Hôtel de Ville de Paris un banquet resté fameux. Sa cousine Marie de Médicis, épouse d’Henri IV, va jouer un rôle politique majeur mais plus encore : on lui doit le palais du Luxembourg, « véritable palais florentin transplanté à Paris », et la fontaine de Médicis dans les jardins à droite du palais.
C’est aussi Le Procope, café-glacier ouvert en 1686 par un émigré sicilien, Francesco Procopio Cuto. C’est également le canard à l’orange, la soupe à l’oignon, l’omelette, les macarons, la frangipane, le massepain, les sculptures en sucre de Venise.
L’influence italienne arrive dans le théâtre avec le Napolitain Tiberio Fiorelli, inspirateur et ami de Molière. C’est la Commedia dell’arte. Elle sera forte aussi dans la musique, avec l’arrivée de Giovanni Battista Lulli, né à Florence en 1632, mort à Paris en 1687. Acteur, mime, magicien, c’est Roger de Lorraine, duc de Guise, qui l’emmène à Paris pour enseigner l’italien à sa nièce, la duchesse de Montpensier. Jean-Baptiste Lully, ayant francisé son nom, devient musicien de la duchesse et fait danser sur scène dans le « Ballet royal de la nuit » le jeune roi Louis XIV dans le rôle du « roi du soleil ». Il restera pour toujours le roi soleil. Louis XIV pousse Molière à travailler avec Lully, ce qui donne la comédie-ballet dont la plus connue est Le Bourgeois gentilhomme, tandis que Goldoni et Fiorelli popularisent en France Arlequin, Scaramouche et Polichinelle.
La France attire les plus grands scientifiques car Colbert veut développer les sciences pour l’industrie. Il fait ainsi venir Giandomenico Cassini, héritier de Galilée, qu’il présente au roi. C’est lui, naturalisé Français en 1673 qui va développer l’Observatoire de Paris. Son fils Jacques (1677-1756), puis César François (1714-84) dit Cassini III et son fils Jacques Dominique (Cassini IV) qui complètent les travaux de l’Observatoire. Autre grand scientifique, le Piémontais Joseph Louis Lagrange, astronome et mathématicien, entre à l’Académie des Sciences ; après 1789 il participe à la création du système métrique et sera enterré au Panthéon.
Un autre Piémontais un peu oublié, Giovanni Battista Viotti, compose en 1781 son « Thème et variations en Do majeur pour violon et orchestre » qui deviendra en 1792… la Marseillaise. Lorsqu’il compose à Strasbourg son Chant de guerre de l’Armée du Rhin, Claude-Joseph Rouget de l’Isle se souviendra de cet air sur lequel il écrit des paroles révolutionnaires, mais sans signer la partition.
Après les victorieuses campagnes d’Italie, Napoléon comptera plus de 50.000 soldats italiens dans la Grande armée, commandés par le général Domenico Pino, volontaire, qui s’illustre aux batailles de la Moskova et de Maloïaroslavets en octobre 1812. Parmi les musiciens qu’il attire à lui, Napoléon apprécie Giovanni Paisiello, qui mettra le couronnement en musique, et Gaspare Spontini. Puis sous la Restauration arrive Gioacchino Rossini, en 1824.
Les régimes passent mais les Italiens continuent à développer leurs talents en France. Sous Napoléon III, le banquier Enrico Cernuschi fonde en 1869 la Banque de Paris qui fusionne trois ans plus tard avec la Banque de crédit et de dépôt des Pays Bas, le futur Paribas.
En 1870 Giuseppe Garibaldi, héros de l’unité italienne, est à la tête de l’armée des Vosges pour résister à l’offensive prussienne, puis est élu en 1871 à l’assemblée nationale. Mais jalousé pour ses batailles, il quitte la France. Léon Gambetta, père de la IIIe République, s’illustre en s’échappant de Paris en montgolfière. Sous la IIIe République, l’explorateur Pietro Savorgnan de Brazza, s’illustre en explorant le Congo et fonde Brazzaville, puis meurt à Dakar en 1905. Emile Zola, écrivain français d’origine italienne, joue un rôle majeur dans la réouverture du procès Dreyfus. Avec lui, le lieutenant-colonel Alessandro Panizzardi, attaché militaire italien à Paris et ami de l’attaché militaire allemand Maximilian von Schwartzkoppen, envoie des rapports à Rome pour démentir la culpabilité de Dreyfus, sans être entendu.
Célébré en 2008 comme dernier poilu français encore en vie à 110 ans, Lazzaro Ponticelli s’était engagé en 1914 pour défendre la France et avait été intégré au 4e régiment de marche de la Légion étrangère, commandé par Peppino Garibaldi, le neveu de Giuseppe. Mais quand l’Italie entre en guerre en 1915 ce régiment est dissous et Ponticelli est comme ses camarades escorté par les gendarmes jusqu’à la frontière pour faire la guerre avec les Italiens, ce qu’il fera dans les Alpini. Cela lui vaudra les plus hautes décorations italiennes qu’il portait toujours avec sa Légion d’Honneur.
On retrouve dans la Résistance française un autre Garibaldi, Sante Garibaldi, petit-fils de Giuseppe, président de la Fédération française des volontaires Garibaldiens de l’Argonne (1914-15). Résistant, arrêté par la Gestapo en 1943, il sera déporté en 1944 à Dachau. Dans les Alpes et sur la Côte d’Azur, les militaires italiens s’opposent aux mesures anti-juives de Vichy et interdisent qu’ils soient livrés aux Allemands.
Le général Maurizio Castiglioni, commandant la 4e Division des Alpini, écrit au préfet de l’Isère, sous les ordres de Vichy, pour lui interdire d’arrêter les juifs et de les livrer aux Allemands. Après le 8 sept 1943, date de la chute du fascisme, les Allemands arrêtent et fusillent nombre de militaires italiens , d’autres s’échapperont par les Alpes, d’autres encore rejoindront les rangs de la Résistance. Toscano cite les témoignages de Robert Badinter, réfugié avec sa mère et son frère à Chambéry sous la protection des troupes italiennes, et de Serge Klarsfeld sur le rôle des militaires italiens. Dans l’arrière-pays niçois, à Saint Martin Vésubie, un monument rappelle qu’un millier de juifs y ont été préservés et aidés à s’enfuir vers la frontière pour échapper aux Allemands.
« L’histoire de l’occupation italienne, insiste Toscano, a été une belle page de l’histoire des relations franco-italiennes alors qu’elle aurait pu être une page tragique et on le doit non pas au régime fasciste mais aux militaires italiens dont certains, après l’occupation allemande qui a suivi la chute du fascisme, ont rejoint la Résistance française »,
Dans les époques plus récentes, les Italiens qui ont contribué au patrimoine français sont légion. Claudia Cardinale, Iolanda Gigliotti (Dalida), Marcel Azzola (le « chauffe Marcel » de Brel), Ivo Livi (Yves Montand), Serge Reggiani, Lino Ventura qui a toujours gardé son passeport italien et n’a jamais demandé la nationalité française, Michel Colucci sont les plus connus. Il cite aussi parmi d’autres Renzo Piano, Gae Aulenti, Pierre Cardin qui était toujours fier d’être Vénitien, Jeannie Longo, Michel Platini...
Pourtant pour lui « les vrais Italiens qui ont ‘fait la France’ sont ces millions d’hommes et de femmes qui ont toujours pensé d’abord au travail ». Et sa conclusion, ainsi que le fait qu’il ait traduit et publié son livre en italien, est également adressée à ses compatriotes, qui ont découvert plus tard que d’autres les problèmes de l’immigration. Pour leur rappeler que les Italiens eux aussi ont souffert d’émigrer et d’être souvent mal accueillis dans leur pays d’accueil.
« Ti amo Francia – De Léonard de Vinci à Pierre Cardin, ces Italiens qui ont fait la France », Alberto Toscano, 288 pages. Armand Colin.
Entretien d'Alberto Toscano avec Paolo Levi de l'agence Ansa à propos de son livre : https://youtu.be/bOQhx_PWtzA