Comme toutes les expositions à La Villette, celle consacrée à Napoléon – jusqu’au 19 décembre – est destinée au grand public et non aux spécialistes, qui trouveront toujours quelque chose à critiquer : ici c’est un cheminement de la vie entière de Napoléon Bonaparte, avec forcément des manques ou des raccourcis mais toujours le souci de la compréhension de tous y compris des plus jeunes : priorité à la scénographie, cartes très pédagogiques, vidéos tout le long du parcours et, bien entendu, un audioguide très complet pour accompagner le visiteur qui le souhaite.
Dès l’accueil, une série de bustes d’Eugène Guillaume présente Napoléon à tous les âges (ici : 11 ans, 18 ans, 32 ans, 51 ans), de l’enfance à la vieillesse prématurée dans son exil de Sainte-Hélène, l’évolution physique d’un homme petit qui deviendra un grand homme.
Juste après l’entrée, le visiteur voit en perspective le jeune élève de l’Ecole de Brienne, par Louis Rochet, le Premier consul franchissant le Grand Saint-Bernard le 20 mai 1800, tableau de Jacques-Louis David, et Napoléon Empereur, au faite de sa gloire : un résumé de sa trajectoire météorique dans la phase ascendante.
Juste après sa première campagne victorieuse en Italie, c'est la campagne d’Egypte où le jeune général Bonaparte s’embarque avec une armée d’artistes, de géographes, de peintres, pour une conquête scientifique autant que militaire. La réussite en est illustrée par “La bataille des Pyramides”, bataille du 21 juillet 1798, grand tableau par Louis-François Lejeune.
A côté d’un portrait du général Antoine Desaix, qui s’illustre dans cette campagne d’Egypte avant de mourir à 32 ans à la bataille de Marengo en Italie, une vitrine évoque les chameliers de Bonaparte, ancêtres des compagnies méharistes.
L’influence de cette campagne d’Egypte sera considérable dans la France de cette époque, avec une véritable “égyptomania” dans le style, l’architecture, les meubles et les décors, y compris dans les armes inspirées de celles des Mameluks comme ce sabre courbe, à côté d’un service de porcelaine de Sèvres illustré avec les monuments antiques égyptiens, comme le temple d’Horus à Edfou.
Le sacre de l’Empereur en 1804 est l’aboutissement du “style Empire” voulu par Napoléon lui-même qui met en scène les cérémonies et commande aux meilleurs peintres et dessinateurs les costumes d’apparat et les uniformes de ses armées (voir aussi l’exposition “Dessiner pour Napoléon: trésors de la secrétairerie d’Etat impériale” aux Archives nationales). S’il commande à David le grand tableau sur le sacre (où il fait rajouter sa mère, absente de la cérémonie comme son frère Lucien), c’est à François Gérard qu’il commande son portrait en Empereur et celui de Joséphine en Impératrice.
L’exposition présente une très riche sélection de meubles et d’objets représentatifs du faste de la cour impériale et du rayonnement de la France, avec notamment un salon du château de la Malmaison ouvrant sur une porte-fenêtre derrière laquelle évolue un paysage animé des parcs et annexes du château.
Plus intime, mais tout aussi politique, l’évocation de la descendance de Napoléon, condition de la succession et de la pérennité de son pouvoir, raison pour laquelle il abandonna Joséphine qui ne pouvait pas lui donner d’enfant. Grâce encore au peintre Gérard, on voit à peu de distance l’une de l’autre la comtesse polonaise Marie Walewska, qui la première lui donnera un fils, Alexandre, né le 4 mai 1810, puis Marie-Louise, mère du roi de Rome Napoléon François Charles Joseph, né le 20 mars 1811. Le second mourra de maladie à 21 ans, le premier aura un beau destin puisque, adopté par un prince Colonna dont il portera le nom, il deviendra ministre de Napoléon III.
Une place importante est accordée à Napoléon chef de guerre, entre les tableaux représentant les grandes batailles, les uniformes de plusieurs de ses maréchaux (reconstitués ici avec des pièces appartenant à des collections différentes) et des objets emblématiques, comme un lit pliant de campagne de l’Empereur et une carte d’état-major avec des épingles figurant les unités qu’il déplaçait sur le terrain.
Une très belle scène d’après-bataille est la reddition de la ville d’Ulm, le 20 octobre 1805, avec au centre Napoléon recevant la capitulation du général Mack, et sur le côté les bataillons prussiens défilant en bon ordre et s’inclinant pour déposer, rangée après rangée, les armes en tas sur le sol, une peinture de Charles Thévenin.
Hommage discret mais remarquable de La Villette à un redoutable adversaire de Napoléon, l’amiral anglais Horatio Nelson, vainqueur d’Aboukir et de Trafalgar. A droite c’est un mannequin à cheval, en taille réelle, d’un hussard pendant la campagne de Russie et, derrière lui sur un grand écran, la scène impressionnante du film “Le colonel Chabert” avec la charge des cuirassiers à cheval sur un champ de bataille enneigé.
Défait par la coalition des monarchies européennes menées par les Britanniques, Napoléon se résout à abdiquer en obtenant de l’Empereur de Russie d’être exilé comme souverain de l’île d’Elbe avec le titre d’Empereur. Les adieux de Fontainebleau, le 20 avril 1814, sont illustrés ici par Antoine-Alphonse Monfort, d’après Horace Vernet, une scène devenue mythique et reproduite d’innombrables fois sur toile, en gravure, sur porcelaine et sur les supports les plus divers. Discrétion totale, en revanche, de cette belle exposition, sur l’épisode de l’Elbe où Napoléon a quand même séjourné neuf mois en refaisant les routes, les cultures, le cadastre, plusieurs monuments, la production minière et la culture de la vigne, notamment. Et c'est là qu'il fera la connaissance de son fils Alexandre, que Marie Walewska vient lui présenter au cours d'une brève et très discrète visite au sanctuaire de Madonna del Monte.
L’exposition présente en revanche un tableau symbolique de l’évasion de Napoléon quittant l’Elbe sur une petite flottille en déjouant la surveillance des Britanniques. On voit le brick le Zéphyr à gauche qui croise le brick L’Inconstant, peinture d’Ambroise-Louis Garneray. Le lendemain de son départ de Portoferraio, le 27 à 18 heures, au large du cap Corse, ayant évité plus tôt des bateaux anglais, le capitaine Taillade, second du commandant de L’Inconstant, reconnaît le commandant du Zéphyr, Andrieux, qui arbore le pavillon du gouvernement royaliste. “Nous allons à Livourne, et vous ?”, demande Andrieux. “Et nous, nous allons à Gênes” répond Taillade. “Comment va l’Empereur ?”, demande Andrieux. Napoléon, jusqu’alors caché derrière le pavois, prend le porte-voix et répond “à merveille !”. Le peintre le représente debout à l’arrière du navire, mais Andrieux ne l’a pas vu ou a fait semblant et continue sa route, tandis que l’Inconstant vire plein ouest vers Golfe Juan …
la suite est connue, c'est la remontée surprise par la route de Grenoble qui lui est acquise contrairement à la Provence hostile, le retour triomphal à Paris, le rétablissement de l’Empire et la reprise des hostilités contre les coalisés. L’aventure dure cent jours et se termine à la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815. Un tableau de Clément Auguste Andrieux aide à comprendre la violence et la confusion des combats dans cette dernière bataille perdue.
C’est la fuite à la Malmaison, le projet d’embarquement pour l’Amérique, la Rochelle bloquée par la flotte anglaise, Napoléon qui demande à embarquer sur une de leurs frégates qui, après escale en Angleterre pour demander les ordres, part vers l’Atlantique et met le cap sur Sainte-Hélène. Nouvel exil sans illusion, Napoléon dicte ses mémoires au général Gourgaud : lithographie de Zéphirin Belliard d’après le tableau de Charles Steuben. Dernier objet, le masque mortuaire réalisé par son médecin le docteur François Antonmarchi, qui en fera ensuite des copies, dont celui-ci conservé à la Malmaison, un autre à Londres et un troisième au musée Napoléon de La Havane où s’installe Antonmarchi – avant de lancer une série de moulages en plâtre offerts en souscription commerciale. Très belle image finale de l’exposition, Napoléon malade sur son fauteuil à Sainte-Hélène, sur fond de mer embrumée, une sculpture en marbre de Vincenzo Vela dont le reflet est répété à l’infini part un jeu de miroirs…