C’est un endroit perdu dans les collines toscanes entre Lucques et Pistoia, assez difficile à trouver. L’adresse est à Pescia, mais il faut en fait sortir de cette petite ville très ancienne, renommée pour ses pépiniéristes et autrefois pour ses usines à papier, et remonter plein nord le Val di Torbola par une route qui serpente sous les arbres pour arriver jusqu’au pied du village de San Quirico. Pas de numéro de rue ni d’enseigne sur cette petite enfilade d’ateliers à flanc de colline, juste une vieille camionnette jaune qui sert de repère.
La coopérative « Valle del Sapere », pour vallée du savoir, est le précieux réceptacle d’un savoir très ancien qui faisait autrefois la richesse de la région et qui a pratiquement disparu, du fait de l’exode rural et des productions industrielles de masse privilégiant les casseroles bon marché, légères et peu durables.
Jimmy, qui dirige la coopérative, met son énergie à sauvegarder cet artisanat de l’étamage et du rétamage menacé de disparition. L’ouvrier le plus ancien, Mauro, son beau père, a connu l’époque où les artisans étameurs étaient ici plusieurs centaines, quelque 800 en tout. Il ne reste aujourd’hui que deux ateliers, celui de la coopérative qui fait travailler une dizaine de personnes dont quelques jeunes, et un autre avec un seul ouvrier.
« Il n y a pas si longtemps, on ne réparait plus, on jetait, commente-t-il. Mais les prix ont explosé : un métal qui autrefois coutait 4,50 euros le kilo peut valoir aujourd’hui 10 fois plus. Alors les gens viennent faire réparer leurs ustensiles, comme les grands moules plats qui servent à faire de la galette toscane de ceci, les pois chiches… »
Il soupèse les vieilles casseroles en cuivre qu’on lui apporte. « Regardez cet objet, comme il est lourd, c’est du métal massif, on voit qu’il a été entièrement fait à la main, même les clous, c’est du travail italien ou français ». Il tambourine sur le fond de la casserole pour la faire tinter, et compare avec une poêle récente, plutôt légère, dont il ne sort qu’on son étouffé. « Voilà, celle-là ça ne vaut pas la peine de la rétamer ».
Le rétamage d’un ustensile ancien est aussi complexe que l’étamage à neuf. C’est un travail qui se fait à la main, avec méthode et beaucoup de temps. « Le temps on en a, ce qui manque c’est le métal ». Etain, cuivre, fer, la coopérative commande les métaux par quintaux mais les livraisons sont lentes et tardives, ce qui aujourd’hui paralyse l’atelier. Un atelier rempli de toutes sortes de métaux, cuivre, laiton, fer et bien sûr étain, sous toutes les formes et dans des fûts ou des caisses.
D’énormes machines-outils voisinent avec les établis où s’entassent les outils traditionnels, qui restent la base du travail ici. Les machines-outils sont bardées de grilles, comme encagées. « Ce sont des règlements qui nous imposent ces protections supplémentaires, les normes et les règlements sont ce qui nous handicape le plus car on ne peut pratiquement plus rien faire sans autorisation explicite ». Mauro a fabriqué lui-même une machine pour faciliter la manipulation de certaines pièces : « ça peut paraître bizarre, mais les pièces plus petites et plus profondes demandent plus de travail que les grandes, à cause de la profondeur : il faut pouvoir atteindre le fond ».
De fait, l’atelier est pratiquement vide aujourd’hui, faute de travail. « Mais nous avons des jeunes, et je suis heureux de les former pour leur transmettre mon savoir », se réjouit Mauro. Apporté deux semaines plus tôt, un grand plat rond libanais en cuivre rouge, avec son couvercle assorti, a été rétamé à l’intérieur et poli à l’extérieur. Il est rutilant. « Ce n’est pas un travail italien, dit-il avec une pointe de condescendance, mais c’est un très bel objet quand même, avec ça vous pouvez repartir pour quarante ans ». Quarante ans, c’est justement l’âge de ce cadeau de mariage qui a survécu aux guerres et aux déménagements, et va pouvoir accueillir d’autres poulets à l’ail et au citron façon libanaise…
Et c’est bien la qualité du travail de réparation et de restauration qui fait que cet endroit in accessible reste aujourd’hui recherché : on se passe l’adresse de bouche à oreille, entre connaisseurs, c’est le rétameur qu’on vient voir depuis Pise et Florence, et de plus loin encore, car c’est l’un des derniers rétameurs.
Et pour en voir un peu plus, une petite visite en vidéo :