Il fallait quelqu’un d’aussi audacieux que le père de la Pyramide du Louvre pour concevoir à Doha, capitale de l’émirat du Qatar, un musée recueillant une collection d’art islamique unique mais reflétant aussi l’essence de cet art : l’architecte chinois Ieoh Ming Peï a relevé le défi en cherchant ce qui pouvait symboliser le mieux non pas la luxuriance de l’art islamique, comme à Cordoue, mais sa sobriété et sa luminosité dépouillée.
Ce symbole de pureté dépouillée, il l’a trouvé dans la mosquée d’Ibn Touloun au Caire (ci-dessous), et plus particulièrement dans la fontaine aux ablutions, petit monument placé au cœur de cette mosquée et qui, résume-t-il, est “l’expression de la progression géométrique de l’octogone au carré, et du carré au cercle ».
Pour édifier sa construction unique, Peï a exigé une surface à part, conquise sur l’eau de la baie de Doha, près du port, refusant de l’ériger sous les gratte-ciel qui s’alignent plus loin sur la corniche. Placé sur l’eau et entouré d’eau, le musée d’art islamique joue de ses reflets, sous toutes ses faces, sauf l’allée sud bordée de palmiers qui mène à l’entrée.
Curieusement, et ce n’est sans doute pas une coïncidence, la mosquée la plus proche du musée (ici à droite) reprend la silhouette du minaret d’Ibn Touloun (à gauche), avec son escalier hélicoïdal (lui-même en référence à la Ziggourat de la grande mosquée de Samarra en Irak), mais sans le dépouillement de la construction de Peï.
Le musée est un édifice qui joue avec la lumière : lumière captée, lumière tamisée, lumière apprivoisée. Alors que la Pyramide du Louvre est toute en verre transparent pour capter la faible luminosité du ciel parisien, le musée de Doha se protège d’une lumière ici trop crue et d’un soleil trop ardent en créant des jeux d’ombre qui assurent la fraîcheur tout en soulignant les formes.
En contraste avec l’austérité de l’extérieur, l’intérieur est un jeu de reflets avec une verrière de 45 m de haut, qui s’ouvre sur la baie au nord et permet un éclairage indirect donc moins fort de l’intérieur. Pour l’aménagement intérieur, Peï a fait équipe comme pour le Louvre avec Jean-Michel Delmotte, lequel a parfaitement compris et partagé son approche dépouillée de la civilisation islamique et le choix de ses références.
Et pour résumer le jeu entre formes octogonales, carré et cercle, un immense lustre circulaire en métal ajouré (ci-dessus) vient compléter un double escalier monumental qui surplombe un sol en marbre aux formes géométriques propres à l’art islamique.
La collection elle-même, constituée en une dizaine d’années par l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, est riche en qualité plus qu’en quantité et se trouve ici valorisée d’une façon unique. Ainsi des chapiteaux de colonnes d’origine syrienne sont présentés sur des colonnes alignées dans l’ombre, seuls les chapiteaux étant éclairés. Ou cette tête de princesse iranienne (à droite) du 12e/13e siècle dont on peut faire le tour pour mieux la découvrir.
Impossible de résumer la visite en se limitant même aux objets les plus marquants, car ils le sont tous, chacun ayant été choisi comme le plus représentatif de sa catégorie ou de son époque, et beaucoup proviennent de collections prestigieuses en Europe, via les hôtels de vente de Christie’s ou Sotheby.
C’est le cas de cet exceptionnel vase ayyoubide en verre bleu émaillé, qui a d’abord appartenu à un sultan mamelouk avant d’être la propriété du comte et homme politique italien Camillo Benzo di Cavour. Intact alors qu’il est de la fin du 13e siècle !
Autres objets en verre, les lampes de mosquée également présentées de façon unique, come ces lampes égyptiennes dominant un tapis octogonal mamelouk du 16e siècle (ci-contre), aussi précieux que le monumental tapis de Hyderebad, du 17e siècle, qui fait 15 m de long sur 3 m de large…
Fait assez rare pour être apprécié, ici la muséographie fait tout pour que le visiteur soit proche des objets, à la fois par la mise en scène et par la technique.
Partout, les vitrines sont en vitre anti-reflets, ce qui augmente la proximité et neutralise les reflets du jour, et l’éclairage est réalisé par une multitude de mini-projecteurs à halogène.
Objets sacrés mais aussi objets usuels, ils sont présentés comme étant dans leur cadre naturel et parlent ainsi beaucoup plus aux visiteurs arabes et musulmans car restant aussi accessibles que ceux qu’ils voient dans les mosquées : chandeliers en cuivre, tapis de prière, coussins, porcelaines, tout doit être relié à la culture et aux traditions existantes dans cette région, et transmettre leurs racines aux habitants du Qatar et aux visiteurs du Golfe auxquels est d’abord destiné ce musée.
Si le deuxième étage est ainsi consacré aux œuvres d’art les plus spectaculaires et de plus grande valeur, classées dans un ordre historico-géographique correspondant au rayonnement de la civilisation islamique (sans exclure les vecteurs militaires de ce rayonnement, avec armes et armures comme ce cavalier ottoman ci-dessous), le premier est consacré à une approche plus pédagogique, à partir de la langue arabe et du message coranique.
Le paradoxe de ce musée novateur, c’est qu’il présente les racines d’un art venu du passé tout en exprimant par l’architecture une vision très contemporaine de l’inspiration musulmane, une vision moderniste et pas du tout passéiste. Peut-être ce musée étendra-t-il un jour sa réflexion à comment l’art islamique se projette dans le futur, et présentera-t-il des artistes – et des artisans – contemporains… Pour plus de détails, voir le site officiel du MIA (Museum of Islamic Art) mais aussi les deux dossiers que lui consacre Amel Penant, également guide au MIA, sur le site "Vive au Qatar", sur l'art islamique et sur le musée lui-même.