Ceci est le premier volet du journal personnel, revu et élagué, d’un journaliste couvrant la guerre du Golfe entre le 5 janvier et le 5 mars 1991. Non pas une analyse, beaucoup ont été publiées depuis, avec des ouvrages très pertinents. Ce n’est qu’un simple album de photos souvenirs, avec un témoignage totalement subjectif qui est aussi un hommage à ceux qui ont alors fait l’Histoire au jour le jour, sans savoir comment elle se terminerait.
Le deuxième volet était un hommage aux combattants de l’armée de Terre, à travers le 1er Spahis ; ce premier volet est un hommage à tous ceux qui ont préparé l’engagement, aux aviateurs engagés dans l’offensive aérienne à partir du 17 janvier, mais aussi à tous les journalistes qui ont courageusement vécu une double épreuve : à l’incertitude collective sur la guerre se sont ajoutées les frustrations quotidiennes d’une règle du jeu souvent injuste et jamais figée, les incompréhensions, les pressions politiques auprès des rédactions. La guerre du Golfe, sur ce plan, nous aura beaucoup appris.
5 janvier
Arrivée à Riyad. Ville moderne, à l’américaine, avec de grandes artères à angle droit qui s’appellent toute King Fayçal ou quelque chose comme ça. Même les taxis s’y perdent, normal puisque les chauffeurs sont en majorité pakistanais ! Les journalistes français sont installés à l’hôtel Novotel, moins chic et plus excentré que le Hyatt où sont les Américains et la plupart des autres étrangers. En fait, le principal centre de presse est à Dahran, où se trouve le commandement américain, mais les Français n’y ont pas leur place, pas plus qu’ils ne sont prévus pour les « combat pools », me dit-on. A vérifier. On se fait briefer par les journalistes déjà là depuis plus longtemps, mais beaucoup d’équipes ont été renouvelées depuis septembre. Dur de couvrir une guerre aussi immobile…
6 janvier
A 450 km du front, Riyad est tranquille, à part le survol de quelques gros appareils militaires décollant de la base militaire King Abdel-Aziz, non loin du Novotel qu’ils survolent en grondant. Les masques à gaz sont en vente libre, au prix fixe et subventionné de 150 Rials (250 FF ou 42 USD). Titre du Saudi Gazette : « le rêve devient réalité pour 18 marins américains musulmans », autorisés à effectuer le pèlerinage à la Mecque, à l’invitation de la Ligue islamique mondiale…
9 janvier
Premier déplacement sur le terrain, escorté par le SIRPA. L’équipe est dirigée par le colonel Coste (à gauche), son adjoint est le commandant Petitpretz (à droite). Visite au contingent français, déployé près de la Cité militaire du roi Khaled (KKMC).
Avec les derniers renforts débarqués par bateau à Yanbu sur la Mer rouge et arrivés par air, la France compte plus de 120 hélicoptères dont la moitié équipés de missiles antichar Hot. 9.800 soldats de l’armée de Terre, plus des dispositifs navals et aériens (4 Mirage F1CR, 24 Jaguar, 12 Mirage 2000 DA, un C-160 Gabriel), soit 16.500 militaires français en comptant les forces navales et celles stationnées à Djibouti.
Pour occuper les rédactions, on fait beaucoup de papiers techniques en tenant à jour la comptabilité de cette montée en puissance, ça servira le jour où…
Visite au 4e Dragons et au 3e RIMa, les dernières unités arrivées. Véhicules camouflés, combattants enterrés, ambiance opérationnelle. Mesures anti armes chimiques. Les Irakiens feraient des essais de missiles sol-sol. Je suis accompagné de Michel Gangné, de l’AFP Photo.
Les photographes sont précieux car ils fonctionnent en réseau entre eux, et voient tout. Leur efficacité compense largement la susceptibilité d’artistes de certains, il faut s’en faire des alliés car ils sont incontournables.
10 janvier
Première alerte chimique à l’hôtel Novotel de Ryad. Les haut-parleurs crient dans tous les couloirs : « air raid, air raid, air raid ! ». Heureusement, une note diffusée par la direction en avait indiqué l’heure pour permettre aux journalistes de débrancher leur ordinateur et de sauver leurs données. Personne ne prend ça au sérieux.
11 janvier
Un mauvais canard circule : les forces françaises pourraient être utilisées comme force d’interposition en cas de compromis de dernière minute sur l’évacuation du Koweït. Une utopie véhiculée par des politiques réticents à l’intervention de la France dans ce conflit ? En tous cas les militaires français grincent des dents quand on la leur rapporte. Côté presse anglo-saxonne, c’est un nouveau motif pour plaisanter sur la valeur militaire des Français, avec ce joke entendu à Dahran : « passe-moi un drapeau français, ça peut servir si les Irakiens attaquent… »
A Riyad, le porte-parole militaire français estime que les Irakiens font de la gesticulation, et qu’ils n’ont pas cessé de se renforcer.
Il dément en tous cas que les soldats français aient des états d’âme : « si l’un d’entre vous trouve ici un seul militaire français qui préférerait être dans un camp en Champagne, en garnison à Metz ou en Allemagne, il fera un scoop ».
Ajoutant : « bien sûr, vous trouverez toujours des soldats pour trouver que la soupe n’est pas bonne, qu’il est difficile ici de téléphoner à sa fiancée ou que le système des loisirs n’est pas celui des Américains ; mais s’ils ne le faisaient pas, ils ne seraient pas des soldats français ».
12 janvier
Dernier départ prévu pour les civils français résidant en Arabie saoudite, qui partent « avec des pieds de plomb ». Certains expliquant qu’ils sont poussés à partir par les autorités françaises : « on nous a forcés à partir, l’ambassade a voulu se débarrasser de nous ». Business is business et ce départ contraint est pénalisant pour beaucoup d’entreprises.
Premier bilan des pertes alliées dans ce conflit après la mort d’un soldat américain décédé d’une crise cardiaque : 101 militaires américains sont morts dans l’opération Desert Shield dont 60 dans la zone du Golfe et 41, tous accidentels, hors de cette zone. Sur les 60 morts sur le théâtre d’opérations, 49 sont des morts accidentelles, 2 des suicides et 7 des morts naturelles.
Le chef d’état-major des armées françaises, le général d’armée Maurice Schmitt, vient inspecter les troupes françaises redéployées avec l’arrivée des nouveaux renforts. Son porte-parole, le général Germanos, précise qu’il y a encore 380 appelés parmi les 2.500 embarqués sur des unités, dont la moitié sont des volontaires service long (VSL), mais que d’ici le 15 janvier, « il n’y aura plus aucun appelé dans la zone à risque ». Le député de la Sarthe, François Fillon, explique à Paris qu’il faudra certainement revoir le service militaire en France, qui semble dépassé.
13 janvier
Premier exercice d’alerte chimique annoncé en vraie grandeur à Riyad et dans les localités voisines de Kharj et al-Dalam. La presse et la radio indiquent les horaires précis, ainsi que les signaux : une sonnerie continue marque le début d’alerte, une sonnerie intermittente marque la fin. La capitale saoudienne vit désormais à l’heure de la guerre, avec le vacarme du pont aérien qui part et arrive sur la base militaire située presque au centre de Riyad.
A l’heure dite les rues sont vides : la population a précédé les sirènes à cause d’une pluie battante. A l’aéroport international, le Terminal 4 abrite l’hôpital militaire chirurgical de transport aérien installé par la France, essentiellement destiné à conditionner les blessés pouvant être évacués vers la France. Le trafic aérien intérieur est fortement perturbé, les contrôleurs aériens donnant la priorité aux mouvements aériens militaires, de plus en plus importants.
14 janvier
Un sergent-chef du 9e RCS est retrouvé mort dans lit, terrassé par une crise cardiaque. Le stress ? C’est le troisième décès français, après la mort d’un pilote dans la chute d’un Mirage et le décès d’un militaire de l’armée de Terre dans un accident de circulation.
La tension est perceptible, ce sont près d’un million de combattants qui sont massés face à face dans le Golfe, sur terre et sur mer, à la veille de l’ultimatum fixé au 15 janvier par le Conseil de sécurité pour que l’Irak évacue le Koweït, dont 450.000 Irakiens.
Côté coalition, ce sont 370.000 Américains, 35.000 Britanniques, 11.000 Français, 67.000 Saoudiens, 35.000 Egyptiens, 20.000 Syriens, 10.000 soldats des autres émirats du Golfe, 4.000 Koweitiens, 1.200 Marocains (et 5.000 autres à Abou Dhabi), 10.000 Pakistanais, 2.500 Bangladeshis, 2.000 Canadiens, 1.000 Italiens, 900 Argentins, 600 Australiens, 500 Espagnols, 500 Sénégalais, 500 Nigériens, 400 Belges, 400 Néerlandais, 250 Sierra-Léonais, 200 Grecs, 170 Tchécoslovaques et 130 Polonais.
L’ambiance est lourde. Le parlement irakien n’a laissé aucune chance au compromis. La presse saoudienne menace de mort tout « fauteur de trouble ». Un officier français nous conseille : « même dans la capitale, ne vous déplacez plus sans votre masque à gaz ».
Tout en estimant que le chimique « est une menace réelle mais qu’il ne faut exagérer», les officiers du SIRPA organisent des séances d’explication sur le port du masque et de la combinaison.
A Dahran, les journalistes américains, suréquipés et avec déjà une semaine d’entraînement intensif, attendent le départ des premier « combat pools ». Côté français, il n’en est pas question. Le ministre est réticent à valoriser l’engagement de la France dans ce conflit, et le général Mouscardès, commandant la division Daguet, veut tenir les journalistes à l’écart après un ou deux reportages qui lui ont déplu.
15 janvier
Visite au 3e régiment d’infanterie de Marine (3e RIMa), à quelques dizaines de km de la ligne de front irakienne. Le colonel Bernard Thorette, rejoint dans son PC formé de trois VAB recouverts de filets de camouflage, dit ses hommes « graves mais sereins ».
Il explique : ce sont des combattants professionnels, la plupart ont déjà servi au Liban et au Tchad, où ils se trouvaient encore il y a six mois.
Ce régiment fait partie des derniers renforts arrivés sur le théâtre, avec le 4e régiment de Dragons et le 1er régiment d’artillerie de marine (1er RAMa). Le 3e RIMa se trouve en manœuvres avec tous ses engins, AMX 10RC et VAB.
Le colonel Bourret, qui commande le 4e Dragons équipé de 40 AMX 30B2, plaisante : « on n’a pas été trop dépaysés, sous la pluie ça ressemble à Mourmelon ».
Le désert jaune, détrempé par plusieurs jours de pluies torrentielles, est parsemé de grandes flaques bleues et de pistes boueuses couleur terre. Les blindés surgissent par surprise des mouvements de terrain, ne soulevant aucun nuage de poussière dans ce désert étrangement humide.
16 janvier
L’ultimatum fixé par le Conseil de sécurité a expiré hier à minuit heure de New-York – ce matin heure de Ryad – mais aucune activité particulière n’est signalée. La presse saoudienne affiche des titres pessimistes : « tout espoir de compromis est perdu, il ne reste que la guerre ». Aucune déclaration, aucun commentaire ni dans l’état-major américain, ni chez les Français. Puis le briefing américain de l’après-midi précise qu’un deuxième porte-avions américain est entré dans le Golfe, et que les forces américains déployées sur le théâtre « sont prêtes à exécuter tout ordre qui leur sera donné par le président américain », après que le Conseil de sécurité a autorisé le recours à la force pour libérer le Koweït.
En fin de soirée, une intense activité règne soudain sur la base militaire et à l’aéroport international de Riyad. Depuis les fenêtres du Novotel, situé par chance beaucoup plus près de la base militaire que le Hyatt où sont logés nos confrères américains, nous voyons décoller 4 à 5 avions radar AWACS, 7 ravitailleurs KC-135 et plusieurs C130 Hercules.
Mes fenêtres donnant du mauvais côté, je rejoins mon camarade de l’AFP Ricardo Ustarroz dans sa chambre et nous nous mettons sur son balcon pour compter les décollages. D’abord hésitants, compte tenu du caractère militaire et sensible de l’information, nous nous décidons au 14e décollage à lancer un urgent sur le début d’une opération aérienne de vaste ampleur lancée par la coalition. Difficile de toutes façons de garder secrète une opération qui survole la capitale à basse altitude dans un grondement de réacteurs sans précédent.
17 janvier
Première alerte réelle : les sirènes nous réveillent à 3h55. Des officiers du SIRPA tambourinent sur les portes, pour ceux qui n’ont pas entendu. Cette fois c’est sérieux, on se précipite dans les escaliers pour se regrouper dans le hall avant de gagner le sous-sol. Un début de panique s’empare du personnel composé d’immigrés philippins, indiens et pakistanais tous dépourvus de masques, qui s’asphyxient en se mettant des sacs en plastique sur la tête. On nous confirme que l’attaque coalisée a été lancée à une heure du matin. On attend en vain le signal de fin d’alerte, oubli ou signal inaudible depuis le chahut de l’hôtel, et nous remontons nous coucher pour finir la nuit, après quelques fous rires à nous voir tous en combinaison dans les escaliers. Difficile de trouver le sommeil, entre l’excitation et l’appréhension : ça y est, nous y sommes !
Premier briefing opérationnel français : aucune force terrestre n’a été engagée, mais les forces aériennes françaises l’ont été dans le dispositif d’attaque de la coalition, avec douze Jaguar « qui sont revenus après avoir accompli leur mission », même si quatre d’entre eux ont été endommagés par les défenses irakiennes, indique le général Le Pichon.
On apprend aussi que les Irakiens ont tiré quatre missiles dans la nuit, mais aucun n’a atteint la capitale. Il n’empêche, on attend les suivants avec inquiétude et beaucoup de Saoudiens ont déserté Riyad.
Le général saoudien Fahd al-Jarbour, porte-parole adjoint de la coalition, indique que certaines forces terrestres ont dû opérer un « repli tactique » dans le secteur de Khafji, sur lequel les Irakiens avaient déclenché un tir de barrage d’artillerie après le début de l’offensive aérienne. Une version un peu simple, pour masquer ce qui a sans doute été un repli précipité de certaines unités arabes de la coalition, face à une incursion de blindés. La résistance irakienne s’avère sérieuse : les Américains ont eu un appareil abattu, les Britanniques ont un Tornado disparu et les Français quatre appareils endommagés.
Au coucher de soleil, à 17h20 locales, une nouvelle vague de ravitailleurs décolle de la base militaire. De nouveaux bombardements sont en cours, à l’évidence.
18 janvier
Visite vendredi à la base d’el-Hasa, entre Riyad et Dahran, où sont stationnés quarante appareils français. Par décision politique, les Français ont été déployés à l’écart de la grande base coalisée de Dahran. Du facial, puisque dès qu’ils décollent, les appareils français font partie du dispositif de la coalition.
Nous arrivons à temps pour voir décoller douze Jaguar pour leur deuxième mission, dans la brume matinale, armés chacun de quatre bombes de 250 kg. Nous serons encore là pour les voir revenir, une heure et demie plus tard, toujours escortés des Mirage 2000 DA.
Un pilote de Jaguar nous décrit sa première découverte de la guerre : « on n’a pas le temps d’être surpris ou d’avoir peur, car on se raccroche totalement à la mission ; mais je peux vous dire que j’étais cramponné aux commandes ».
Hier, un des pilotes a été légèrement blessé à la tête, des éclats ayant percuté la verrière et fait éclater son casque.
La DCA, pour eux, « c’est comme dans les mauvais films de guerre : ça vous monte dessus, on voit des panaches de fumée, comme des flocons, qui explosent autour ».
Retour à Riyad, pour la conférence de presse du général Norman Schwarzkopf, commandant en chef de la coalition. Compte-rendu clinique et froid : l’offensive aérienne se déroule come prévu, 2.000 sorties aériennes ont été effectuées depuis le début dont 80% ont atteint leur objectif, et les forces terrestres sont « en cours de redéploiement ».
Le dispositif aérien allié fonctionne parfaitement, avec une coopération étroite entre les détachements.
A gauche un Tornado de la RAF, à droite au-dessous, un Mirage 2000 DA de l'armée de l'air française.
Quant aux Irakiens, ils essaient de frapper là où ils peuvent : le tir de sept missiles Scud contre Israël est qualifié « d’insignifiant » par Schwarzkopf, tandis qu’un huitième tiré sur Dahran a été intercepté pas un missile Patriot. « L’offensive des Scud a été pour l’instant inefficace », conclut-il. Le « pour l’instant » n’est qu’à moitié rassurant…
Premier exercice médiatique aussi pour le général Roquejeoffre, commandant la division française Daguet. Un grand sourire mais une belle langue de bois. Interrogé sur l’éventualité d’un engagement terrestre pour compléter les frappes aériennes, il répond simplement : « les forces terrestres s’engageront le jour où elles s’engageront, si elles doivent s’engager ».
19 janvier
Une alerte chimique accueille samedi la visite de Jean-Pierre Chevènement à la base d’el-Hasa, contraignant le ministre à se réfugier dans un abri avec masque à gaz et combinaison.
L’alerte ne durera que huit minutes, puis le ministre pourra s’entretenir avec les pilotes de Jaguar, retour de leur troisième mission sur le Koweït, et les féliciter pour leur courage et leur efficacité : « les Français sont avec vous de tout cœur car ils connaissent vos risques. La guerre ce n’est pas du western c’est une réalité cruelle. Il y a des gens qui la vivent devant la télévision, vous vous courez des risques certains ».
En attendant, après les risques rencontrés par la première vague d’assaut volant à basse altitude, les raids suivants ont été effectués à 15.000 pieds, « au-dessus de la ferraille des petits calibres ».
Interrogé sur ses états d’âme au sujet de cette guerre, le ministre, auquel on prête des projets de démission, répond simplement : « j’ai fait mon devoir comme tout le monde ».
Avec Paul-Marie de la Gorce, nous spéculons sur sa durée de vie. Nous ne le savons pas encore, mais il démissionnera dix jours plus tard, le 29 janvier… Au cours d’une conférence de presse, de retour à Riyad, Chevènement fait entendre sa musique discordante en mettant en garde contre « l’euphorie technologique et le triomphalisme prématuré » qui entourent la guerre du Golfe. Ceux qui y cèdent « manquent d’intelligence, de culture et de cœur ». Et il insiste : « j’ai toujours dit que cette guerre serait à la fois une guerre du missile et une guerre du couteau, une guerre très sophistiquée et aussi très archaïque ».
20 janvier
Temps pourri. Nuages bas et pluie. Les seize Jaguar partis pour une quatrième mission française font demi-tour en raison des orages sur toute la zone. En fin d’après-midi, l’artillerie irakienne tire trois missiles « Frog » en territoire saoudien, en plein désert et sans causer de dégâts.
Le mauvais temps cause la perte d’un Tornado britannique, le pilote réussit à s’éjecter. Mauvaise journée. On arrive à 11 appareils perdus pour quand même 5.000 sorties effectuées. Paul-Marie de la Gorce m’explique que l’offensive aérienne ne suffira pas à faire plier les Irakiens : « jamais dans l’Histoire, la supériorité aérienne n’a permis de faire l’économie d’une bataille terrestre ».
21 janvier
Réveil en fanfare lundi à une heure du matin : trente-six missiles Patriot sont tirés par la défense saoudienne pour intercepter quatre à six Scud irakiens. Un immeuble est à moitié détruit en bordure de la base aérienne. Pas impossible qu’il ait été touché par un Patriot tiré depuis la base… La police saoudienne écarte rapidement les curieux. Les Saoudiens annoncent qu’au même moment, Dahran a été visé aussi par deux salves de trois Scud : cinq ont été détruits par des Patriot, le sixième est tombé dans la mer. Commentaire des journalistes locaux : Saddam Hussein a montré qu’il était capable de bombarder une ville arabe.
Riyad a lundi l’aspect d’une ville morte, tous les magasins fermés, les gens terrés chez eux. L’essentiel de la circulation, ce sont des camionnettes de la police militaire, un servant de mitrailleuse en position sur la plate-forme.
22 janvier
Nouveau bombardement : cette fois c’est un gros ! Un missile al-Hussein (Scud allongé) tombe un peu avant quatre heures du matin en plein milieu de Riyad, pas loin du Novotel, faisant étrangement un gigantesque bruit de poubelle : ayant brûlé sa charge propulsive, il ne reste qu’un énorme tube métallique vide de 7,50 m pour 80 cm de diamètre.
Le al-Hussein est bricolé en collant bout à bout un Scud entier et un demi-Scud, pour allonger la portée. Nous le découvrons après une course en voiture pour arriver avant les barrages de la police militaire saoudienne.
Un expert nous explique qu’il a été intercepté en arrivant sur la capitale, ce qui expliquerait pourquoi il n’a plus sa tête militaire.
Les pompiers se précipitent, un artificier se penche sur le tube encore fumant, il est le seul à porter un masque à gaz ! Spectacle surréaliste, certains se bouchent le nez avec les doigts, au cas où les gaz sentiraient mauvais…
Deuxième alerte aux missiles à 7h20 : les Irakiens veulent nous empêcher de dormir ! L’alerte ne dure que dix minutes, sans aucun missile signalé cette fois.
Nouveau déplacement à la base aérienne el-Hasa, pour parler avec les pilotes de Mirage 2000 DA, les « gardiens du ciel ».
Ils décollent deux par deux, en se séparant à angle droit lorsqu’ils quittent le sol : « c’est pour éviter un missile terroriste en bout de piste », explique un officier de la base.
Contrairement aux Jaguar qui ne peuvent opérer que de jour, les Mirage 2000 DA peuvent voler de nuit et participent à la couverture de l’ensemble des appareils de la coalition. Et contrairement aux pilotes de Jaguar, qui ont besoin de presque une journée pour préparer une mission de bombardement, les pilotes de Mirage peuvent prendre l’air en quelques minutes, à la moindre alerte.
Les Jaguar effectuent une quatrième mission, cette fois le temps leur permet d’aller jusque sur l’objectif. Nous ne saurons rien de plus, sinon qu’il s’agit d’une base navale au sud de Koweït City.
23 janvier
« Cette guerre est prévue pour durer longtemps, il faut garder les pieds sur terre ». C’est le général Roquejeoffre qui le dit en faisant visiter mercredi le PC de Daguet, abrité derrière de gros blocs de béton : « nous avons appris à mieux nous protéger, depuis Drakkar ». L’offensive aérienne risque de durer plusieurs semaines, notamment à cause de la météo.
Les Jaguar effectuent une cinquième mission opérationnelle, mais on ne donne plus d’indication sur le nombre des avions engagés. En revanche, le scoop c’est que pour la première fois les appareils français ont frappé une cible en territoire irakien, et non plus seulement au Koweït, des unités mécanisées de la Garde républicaine irakienne.
24 janvier
Deux Mirage F1 irakiens sont abattus jeudi par l’aviation saoudienne, une première. Nos Mirage F1-CR sont pour l’instant interdits de vol, par décision du commandement de la coalition, justement pour éviter qu’ils ne se fassent prendre pour des appareils irakiens.
Les Irakiens, mécontents, vont lâcher une nouvelle salve de Scud dans la nuit : cinq en tout, dont deux sur Riyad. De nouveau une course folle pour localiser la chute de l’engin. Un missile est tombé en plein milieu de la base aérienne militaire.
25 janvier
Ras le bol ! A force de ne pas avoir d’informations du commandement français, et alors que nos camarades américains sont trimballés un peu partout par leurs forces, nous lançons des opérations isolées. A quatre journalistes dans la superbe Audi rouge vif que j’ai louée, nous dépassons Hafar el-Batin et remontons jusqu’à la zone frontalière, où sont massées les forces terrestres. Dans un désert détrempé et parsemé de plaques d’heure et de flaques d’eau, des centaines et des centaines de véhicules se croient sur les routes pour aller occuper leurs nouvelles positions. Incontestablement, le gros du trafic se fait en direction de l’ouest.
Rouler au milieu des convois militaires est hasardeux, surtout qu’il s’agit de colonnes de chars : blindés américains M1 Abrams, Bradley, M113, blindés à roues de fabrication russe BTR-60, chars français AMX 30, c’est un arsenal spectaculaire et surtout une circulation dangereuse… Mais cela nous permet de traverser sans encombre les barrages de la police saoudienne. Avec nos combinaisons NBC et nos badges tricolores, nous passons presque pour des militaires, et personne ne nous inquiètera. On triche, mais notre traitement est injuste par rapport à celui des journalistes américains.
En plus nous sommes loyaux : l’ensemble des journalistes français a découvert le redéploiement du dispositif loin vers l’ouest, ce qui est une manœuvre stratégique, mais le secret sera gardé. Seuls deux médias français publieront un schéma expliquant ce redéploiement, ce qui aurait pu être catastrophique si Saddam Hussein avait lu ces journaux français – mais il se contente de regarder CNN ! Les deux correspondants de ces médias auront leur accréditation retirée, et repartiront discrètement en France.
Chez les aviateurs, deux nouvelles missions portent à 150 le nombre d’objectifs traités par l’armée de l’air française.
26 janvier
Nouveaux tirs de missiles Scud sur Riyad. Les sirènes se déclenchent samedi vers 22h30, suivies du bruit des explosions des missiles Patriot. Un bâtiment administratif est touché, l’explosion fait un mort et plusieurs blessés, mais la police boucle le quartier : impossible cette fois d’approcher. Le SIRPA, qui au début essayait de nous empêcher de quitter l’hôtel, a compris que c’était inutile. Pris au jeu, certains officiers nous accompagnent dans ce jeu de la « chasse au Scud tombé » où il faut arriver les premiers.
Deuxième alerte vers trois heures et demie dimanche matin. Des explosions sourdes, sans doute les missiles Patriot. L’incertitude est lourde, pas seulement celle du danger mais celle de ne pas savoir ce qui se passe, c’est bien pire.
Un porte-parole américain explique dans la journée que les Irakiens ont déjà tiré 45 de leurs missiles stratégiques, dont 20 contre Israël et 25 contre l’Arabie saoudite.
Autre nouveauté, des Mirage F1-CR français ont été autorisés pour la première fois à intervenir avec des Jaguar dans des missions de combat contre les forces irakiennes. « Les Mirage F1-CR avaient été maintenus à l’écart pour éviter des méprises, les Irakiens ayant les mêmes, mais comme le ciel est désormais à nous, le risque de méprise est désormais limité », explique le colonel Régnault. L’autre nouvelle, c’est que le temps s’arrange et la météo promet du grand beau pour les jours suivants.
27 janvier
Déjà deux cents de missions de combat sans pertes pour l’aviation française. Le général Roquejeoffre explique aussi que désormais, les appareils français opèrent non plus seulement au Koweït mais en territoire irakien : « on a levé une ambigüité ». Commentaire plus surprenant, le même général explique aux télévisions française que Saddam Hussein est « un bon chef de guerre », parce qu’il a pour l’instant économisé ses moyens face à l’offensive de la coalition…
28 janvier
A portée des missiles tactiques de l’artillerie irakienne, la base logistique avancée des troupes françaises ou ZAL (zone d’appui logistique) est désormais en place, des dépôts d’essence et de munitions à proximité immédiate des unités de combat.
« Ne donnez pas d’indications précises d’où nous sommes », demande le colonel Le Guen, commandant les 2.000 hommes du Groupement de soutien logistique.
Colonnes de camions citernes, réservoirs d’essence souples pour ravitailler véhicules et hélicos, tout est dispersé sur un très vaste périmètre.
La mise en place se fait de nuit, sans lumière, on mesure les distances entre le plateaux et les îlots en comptant ses pas. Tout ce dispositif logistique est impressionnant.
On nous fait une démonstration du camion autoporteur, le VTLR (véhicule de transport logistique avec remorque) de Renault, qui décharge seul ses containers.
29 janvier
La nouvelle résonne comme un coup de tonnerre : Chevènement a démissionné ! Derrière le silence officiel, quelques officiers lâchent, consternés : « on ne se dérobe pas ainsi quelque dix jours avant l’engagement de ses troupes ». « Il aurait pu le faire avant, maintenant c’est trop tard », commente l’un. Un autre se souvient de l’avoir connu à Belfort « lorsqu’il menait des manifestations pacifistes, en 1976, contre la transformation d’un régiment d’artillerie classique en régiment d’artillerie nucléaire ».
Avec l’idée partagée par plusieurs qu’on « ne change pas de cheval au milieu du gué, au risque de démotiver nos hommes en première ligne », c’est pourtant la même conclusion : « l’important n’est pas le ministre, c’est la chaîne de commandement qui relie l’état-major à la présidence. Pour nous, rien n’a changé ! »
30 janvier
A Paris, Pierre Joxe a succédé à Chevènement. Le général Maurice Schmitt, chef d’état-major des armées, arrivera à Riyad jeudi après-midi après avoir rencontré le nouveau ministre. Tout le monde observe la France et les Français. Pas évident…
En attendant, on s’occupe : soirée sur le toit du Hyatt, au 12e étage, avec les « traqueurs de Scud » (Scud Hunters), des photographes installés avec leurs appareils en batterie, montés sur trépied. Ces nouveaux chercheurs d’or veulent faire aussi bien que le photographe canadien dont la photo d’un tir de Patriot sur un Scud a fait le tour du monde.
Emmitouflés dans des sacs de couchage, ils attendent l’alerte pour prendre « la » photo du Scud qui fera le tour des rédactions. La nuit sera longue, jusqu’à cinq d’heures du matin pour les plus courageux, mais la presse écrite est couchée depuis longtemps…
31 janvier
Après deux jours d’incertitude et les déclarations rassurantes du général Schwarzkopf, les autorités saoudiennes peuvent enfin annoncer que la petite offensive irakienne contre la ville saoudienne de Khafji, à 12 km de la frontière koweïtienne, s’est soldée par un échec cuisant avec plusieurs dizaines de chars détruits et 160 prisonniers.
1er février
Le général Schmitt, CEMA français, affirme que la poussée irakienne sur la frontière koweïtienne « dénote l’impatience, voir une certaine anxiété, du commandement irakien ». Peut-être Saddam tente-t-il quelque chose avant que ses forces terrestres n’aient subi des pertes trop importantes, commente-t-il dans le Transall qui l’amène dans le nord du territoire saoudien et où nous l’accompagnons pour voir les troupes françaises.
De toutes façons, pour lui les Irakiens ont perdu même en terrestre car la coalition dispose de la suprématie aérienne et toute action terrestre est donc vouée à l’échec.
Nous sommes plusieurs à le bousculer sur l’interdiction faite aux journalistes de voir le dispositif français : il répond « nous sommes un peu dans la situation d’avant le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie : il ne faut pas qu’on sache ni où ni quand vont être lancées les opérations ». Et se permet même une petite leçon aux spécialistes que nous sommes : « ceux qui suivent l’armée savent bien que la guerre est faite d’attentes. Seuls ceux qui ne sont pas au courant sont arrivés ici en croyant qu’il se passerait quelque chose tous les jours. Comme on n’avait rien à leur montrer, il ont pensé qu’on leur cachait quelque chose ». Pas fair-play, puisque nous connaissons les secrets du déploiement réel.
Visite le même jour du pool de presse français aux Légionnaires, pour qui « la guerre a déjà commencé ».
Eugenio et Francisco, dans leur nid de mitrailleuse, protègent le PC du 1er REC et nous expliquent : « pour nous la guerre a commencé le 17 janvier ; physiquement on n’est pas engagés mais moralement on est déjà en guerre ».
Sous les ordres du colonel Ivanoff, le 1er REC aligne 700 hommes et 48 blindés dont dix AMX 10RC.
Ils sont en guerre mais pas stressés, commente le médecin du régiment : « il n’y pas de stressés ni d’excités ; pas de pathologies particulières sauf quelques cas de dysenterie liés à l’acclimatation ».
A l’est du dispositif, les deux armées sont très proches, et une unité de Marines américain est bombardée par erreur à la frontière koweitienne, vendredi matin lors d’un raid aérien contre une colonne irakienne. Pas de victimes mais une certaine émotion. Dans une interview à Dahran, le général Walt Boomer déclare que les attaques irakiennes n’ont « aucun effet » sur la planification alliée : la coalition frappera quand elle le décidera, pas quand Saddam le voudra. Pour les soldats irakiens, « le pire est à venir », même si la coalition pense que « every iraqi upthere is going to fight like hell – if that turns out not to be true, then great, but we’ve planned for it ».
2 février
Quatre Jaguar français (et deux autres en renfort), escortés par des Mirage F1-CR, ont attaqué samedi matin un dépôt de munitions irakien au Koweït avec des missiles guidés laser. Le soir même, le commandement français nous a projeté la compilation des vidéos tournées par les chasseurs-bombardiers, montrant l’explosion des hangars visés par ces armes. En fait, trois raids ont été effectués simultanément par les appareils français, ce qui est aussi un fait nouveau. De leur côté, 12 Mirage 2000 DA ont continué à participer à la couverture général du dispositif aérien de la coalition.
Le SIRPA nous présente quelques-unes des centaines de lettres de soutien, cartes postales et paquets-cadeaux envoyés non seulement de France mais d’autres pays y compris des Etats-Unis, pour les soldats français engagés dans le Golfe : « bonjour à tous les bidasses du désert », écrit un lycéen. Et d’autres : « on pense à toi soldat couleur du désert. » - « je voulais venir vous aider mais je ne peux pas car je suis trop petit ».
3 février
Visite du pool au 1er régiment d’hélicoptères de combat à Fennec-City, « quelque part au nord du désert saoudien » comme on nous oblige à écrire désormais. Le colonel Hottier, qui commande le 1er RHC, explique le « blitzkrieg 2000 : une couche d’hélicoptères antichar entre les chars au sol et les avions d’appui tactique en l’air ».
Par escadrilles de sept, les Gazelle-Hot et les Gazelle-canon effectuent des missions de reconnaissance malgré le vent de sable qui limite la visibilité verticale. Ils naviguent à vue les uns des autres, en raison du silence radio sur la zone du front. Chaque escadrille est complétée par un Puma SAR (Search and Rescue) pour récupérer un équipage en difficulté. Beaucoup des pilotes ont déjà l’expérience du survol du désert à Djibouti ou au Tchad.
4 février
Aucun avion français perdu après 35 raids de bombardement et des missions de chasse quotidiennes depuis le 17 janvier.
A el-Hasa, le colonel Amberg détaille un dispositif qui est monté en puissance avec une efficacité exemplaire.
Jaguar, Mirage F1-CR et Mirage 2000 DA font de véritables norias en enchaînant les missions d’attaque, de reconnaissance et de protection.
Arrivée à Riyad de Pierre Joxe, nouveau ministre de la Défense, accompagné du général Forray, chef d’état-major de l’armée de Terre.
5 février
Le général Roquejeoffre estime que le moral est en baisse chez les Irakiens. Il cite le témoignage des prisonniers capturés, qui se plaignent du stress des bombardements mais plus encore « de l’absence de ravitaillement ».
Nouvelle virée au nord, visite au 5e Régiment d’artillerie de marine (5e RAMa) de la Lande d’Ouée. Le colonel Novacq, montre la nouvelle arme secrète : le système ATILA (automatisation des tirs et liaisons d’artillerie) qui permet d’intégrer ne réseau toutes les données fournies et le tir des 18 canons de 155 mm et des missiles anti-aériens de courte portée Mistral. La mise en place des batteries sur les positions programmées par ce système est d’une rapidité spectaculaire.
Retour à Riyad pour la conférence de presse du ministre, le temps de taper sa dépêche dans l’avion. Le rythme est soutenu, avec en moyenne cinq cents km de déplacements par jour en avion, hélico, camionnettes et véhicules tout-terrain.
La France continue à faire entendre sa différence : « la France n’est en guerre contre personne, elle participe à la mise en œuvre d’une décision du Conseil de sécurité ». Quant à l’Irak, « à tout moment il peut choisir de restaurer la paix ». Pour autant le ministre n’a pas d’états d’âme et déclare sa fierté des soldats français qu’il a vus sur le terrain, leur moral et leur niveau de préparation opérationnelle.
Surtout, il dit vouloir « dissiper le malentendu avec la presse » française : « je ne suis pas sourd ni aveugle, j’ai entendu, vu, j’ai lu qu’il y avait un problème d’organisation en ce qui concerne la presse français en particulier ». Pour commencer, un point de presse quotidien sera donné à Riyad avant celui du centre Kléber à Paris, et le chef du SIRPA va rester quelques jours à Riyad pour discuter avec les journalistes et trouver des solutions.
Le SIRPA en tous cas est mobilisé, avec des moyens de transport aériens (avions, hélicos) et de transmission satellitaire (stations Inmarsat) pour permettre aux journalistes français de travailler sur le terrain à égalité avec leurs confrères américains.
6 février
Au briefing de mercredi, le général Roquejeoffre remarque que les forces de la division Daguet, pour l’instant « dans une position défensive pas très confortable », étaient prêtes « à partir, à gicler, à se mettre en quelques instants en posture offensive ». Mais sans avoir de certitude scientifique, la coalition estime que la Garde républicaine irakienne est diminuée de 20 à 30% : « il faut donc attendre encore un peu » en poursuivant les bombardements aériens.
Sur le terrain, les journalistes constatent que la mise en place des positions de pré-engagement est pratiquement terminée, grâce notamment à l’entraide entre contingents pour l’utilisation des portes-chars. L’imbrication franco-américaine est tangible au niveau des unités.
Intox ou réalité ? Un de nos photographes a vu des soldats égyptiens fraterniser avec des militaires irakiens qui avaient traversé les lignes pour se rendre. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont morts de faim, se plaignant de n’avoir plus que trois cuillérées de riz par jour. Plus de la moitié des 850 prisonniers de guerre se sont rendus d’eux-mêmes, les autres ont été capturés, notamment à Khafji. Les déserteurs son les plus épuisés, ayant dû traverser à pied et sans eau le désert frontalier.
Chez les Américains, une unité spéciale de « graves’ identification » (identification des sépultures) est prévue pour l’identification et le rapatriement de tous les morts américains : il n’y aura pas de « soldat inconnu » dans ce conflit, explique le patron de l’unité, le LCL Cassidy.
7 février
Visite aux « navigateurs solitaires du désert », les chars AMX 30 B2 du 4e Dragons. Comme les navigateurs solitaires de la transatlantique, ils expérimentent un GPS pour se déplacer sans se perdre à travers les dunes.
Dans ce désert assez plat, dès que le soleil disparaît il est impossible de savoir où on est ni où on va. Un jour, m’explique un commandant, tout sera intégré et relié dans un même système, grâce aux satellites. Pour l’instant, on en est à l’expérimentation…
Nous tombons sur les officiers de liaison américains, très amicaux.
On nous annonce que le chef de la division Daguet, le général Mouscardès, quitte son commandement pour « raisons médicales graves » et sera rapatrié en France pour être hospitalisé. Ce Marsouin valeureux souffre depuis 1957 des séquelles d’une grave blessure reçue en Algérie, et s’est totalement investi dans la mise en place et la montée en puissance de la division Daguet en Arabie saoudite, depuis octobre 1990. Son successeur est un Légionnaire, le général Janvier, ancien patron du 2e REP de Calvi, qui a notamment combattu au Tchad et au Liban, avant de devenir l’adjoint de Mouscardès à la 6e Division légère blindée…
9 février
Tel une hirondelle, un général français anglophone, le général Gazeau, a illustré le réchauffement des relations franco-américaines, en donnant samedi le premier briefing en anglais à la presse internationale, à l’hôtel Hyatt. Avec une voix et un accent à la Maurice Chevallier qui le fout tut de suite adopter par la presse. Jusqu’alors, les briefings des responsables étaient uniquement en français et pour la presse française, à, l’hôtel Novotel, autant dire en petit comité. Désormais, la France a rejoint le concert de la coalition.
10 février
A Dahran, les pilotes de Tornado britanniques se disent confiants dans la supériorité aérienne alliée.
Mais, très fair play, ils reconnaissent le courage des Irakiens : « même sous nos bombardements, ils restent toujours là à nous tirer dessus, c’est en tous cas la preuve d’un certain courage ».
Intéressant, les Britanniques nous confirment aussi que, s’ils font bande à part en restant stationnés tout seuls à el-Hasa, les pilotes français sont étroitement imbriqués dans le dispositif allié dès qu’ils prennent l’air.
Un pilote nous explique : « avec les Français on se retrouve sous les ravitailleurs, on partage les mêmes patrouilles, nous les relevons ou bien ils viennent prendre notre relève ».
Memona Hinterman, de France 3, monte à l’assaut d’un Tornado pour interviewer le pilote dans son cockpit, qui a l’air ravi....
11 février
Les débris d’un Scud intercepté par un Patriot s’écrasent sur l’université islamique de Riyad. Vérifiée deux fois auprès de témoins, cette information est « balancée » par l’AFP. Nous sommes convoqués à deux, dans les heures qui suivent, par le ministre de l’information lui-même, un militaire, qui menace de nous expulser : notre dépêche, qui donne l’impact à 800 mètres près, est une information précieuse pour les Irakiens, qui leur permettra de régler les tirs suivants.
N’étant pas l’auteur de la dépêche, j’en assume la responsabilité pour essayer de calmer le jeu. L’engueulade est longue, dure, mais nous nous écrasons au maximum en reconnaissant que la précision du lieu n’était pas indispensable. Personne ne sera expulsé cette fois. On a eu chaud !
12 février
Brève visite à Doha, pour aller voir les appareils français stationnés au Qatar. On nous révèle un secret : pendant que les Mirage F1-CR stationnés à el-Hasa étaient restés au sol jusqu’à l’engagement aérien du 17 janvier, pour éviter toute méprise avec les Mirage F1-EQ, les huit F1-C ont été utilisés de façon intensive pour entraîner les autres appareils de la coalition à combattre les Mirage F1.
« Les pilotes irakiens, on les connaît bien, c’est nous qui les avons formés », explique le chef du détachement. Mais il ajoute : « on ne s’est pas contentés de jouer le plastron, on a amélioré nos propres tactiques, c’était aussi stimulant pour nous que pour nos alliés ». En revanche , les Mirage français se sont aussi entraînés aux côtés des Mirage F1-Q des forces du Qatar, réalisant une parfaite intégration dans la préparation des missions.
13 février
Menace de grève des journalistes français : fureur des envoyés spéciaux à Riyad en apprenant qu’ils ne pourront pas accompagner le premier ministre Michel Rocard, attendu le lendemain. Déjà la semaine dernière, ils n’avaient pu que suivre à distance le ministre Pierre Joxe, sans pouvoir l’accompagner auprès des unités. Cette fois c’en est trop et les journalistes annoncent au SIRPA qu’ils risquent boycotter la visite de Rocard… Emotion au SIRPA, où l’on tente de convaincre le ministère que l’affaire est sérieuse. Je fais une note à la rédaction en chef, comme tous mes confrères.
Dans l’après-midi, visite au millier de combattants du groupement d’infanterie de Marine de la Division. Les blindés sont camouflés, des abris sont creusés dans le sable pour permettre de scruter la frontière. Le spectacle est surtout la nuit, avec le bombardement incessant des positons irakiennes : « qu’est-ce qu’ils prennent ! Cette nuit ça donnait bien, le sol vibrait sans arrêt »… Pour l’instant ils sont spectateurs, en lisière des combats, mais ils savent que bientôt il seront eux-mêmes immergés dans ce paysage de violence.
14 février
Cette fois plus d’hésitation, ni d’états d’âme. Le message de Rocard est au contraire un encouragement avant l’éventuelle offensive terrestre, de plus en plus inéluctable : « tenez bon ! ». Le premier ministre est accompagné de Pierre Joxe, du général Schmitt, des généraux Roquejeoffre et Janvier.
Arrivé à Riyad à l’aube, il a été amené dans le nord du territoire saoudien par Transall puis par hélicoptère jusque dans ce cirque naturel où été assemblés les principaux matériels déployés, Un peloton du 4e Dragons AMX 30B2 avec caméra Castor, fumigènes améliorés et leurres infrarouge , et des détachements de toutes les unités : « du beau matériel ! », a-t-il commenté.
Il paraît un peu décalé en costume et chaussures de ville, dans le froid et la poussière du désert.
Joxe, déjà venu la semaine dernière donc plus aguerri, a prudemment enfilé une grosse parka.
« Nous avons un moral d’enfer », répondent au premier ministre les représentants des sous-officiers rassemblés là.
Le général Janvier lui présente les chefs de corps : col Novack (11e RAMa), col Michel Bourret 4e Dragons, col Derville 3e REI, col Rocosz, cdt la brigade de la 82e Airborne, col Ivanoff 1er REC, col Michel Barro 1er RS, col Bernard Thorette 3e RIMa.
Retour à Riyad, pour une conférence de presse. Intéressante leçon d’histoire : le monde arabe ressent une « certaine humiliation » et n’a pas encore su « surmonter les séquelles de la décolonisation ». Rocard rappelle qu’il s’est « engagé politiquement aux côtés du peuple algérien pour son indépendance, et je ne suis pas le seul ici ». Il se tourne vers Joxe, qui est blême en pensant à la perception des militaires français.
Rocard continue : le désir de revanche a conduit certain à voir en Saddam Hussein « un porte-parole, un héros reconnaissable ». Mais en fait d’humiliation, il y a eu « l’occupation et l’humiliation d’un pays arabe par un autre » avec l’invasion du Koweït.
Pour la France, et les Américains le savent bien, il n’y a place pour aucune hésitation, « face à un dictateur prédateur ». « je hais la guerre, nous n’avons pas voulu celle-là mais nous avons dû nous y résigner ». Quant aux opérations militaires, qui visent la libération du Koweït, « plus vite ça se fera, plus efficaces seront les opérations militaires, moins il y aura de victimes civiles ».
16 février
Le pool de presse français, enfin consolidé dans son principe, a trouvé sa vitesse de croisière.
Nous nous succédons par petits groupes, pour éviter l’effet de répétition. Par exemple une personne de l’AFP, un quotidien (ici Christian Chardon, Le Parisien), un photographe (Thierry Orban, Sygma), un hebdo ou magazine, parfois une radio (Daniel Desesquelle, de RFI).
Avec le SIRPA, le colonel Coste et toute son équipe, on est passés de l’hostilité et de la méfiance à une coopération proche de la connivence.
Et pour nous transporter, un régime spécial : nous avons notre propre avion, réservé à la presse, un vieux Nord 262 baptisé « La chose ». Le copilote a 23 ans, c’est Anne, certifiée commandant de bord.
L’oreille sur la radio, on écoute les manœuvres diplomatiques entre l’Irak et les pays de la coalition. Plus personne ne croit que Saddam va céder. L’aviation américaine a commencé à détruire les champs de mines irakiens avec des bombes à effet de souffle, qui fon exploser les mines : les préparatifs d’offensive se précisent…
17 février
Les Saoudiens édictent de nouvelles règles plus contraignantes pour les correspondants de guerre : l’expulsion sera automatique pour tous les journalistes s’étant rendus dans la zone frontalière sans escorte militaire.
Les AWACS de la coalition ont repéré plusieurs équipes de journalistes anglo-saxons « planquées » à proximité de la zone d’engagement, et émettant par stations satellitaires.
Ces équipes une fois localisées, la police militaire saoudienne a été les cueillir pour les expulser aussi sec. L’utilisation du téléphone satellitaire est désormais interdite. De même, le port de tenues anti-chimiques ou de vêtements militaires est interdit aux journalistes, sauf s’ils se déplacent sous escorte militaire, ou pendant une alerte.
18 février
Immersion au 1er Spahis (voir seconde partie de ce journal).