A la veille du déconfinement en France, après presque deux mois de réclusion imposée, je me sens comme le commandant du sous-marin qui doit faire surface dans une mer incertaine et se demande ce qu’il va trouver en ouvrant la trappe du kiosque, une mer apaisée sous un ciel serein ou au contraire une tempête dont les vagues le repousseront trempé dans son kiosque.
Je ne suis pas sous-marinier mais une brève expérience d’immersion m’a permis d’apprécier la stabilité du bateau immergé en profondeur, et son instabilité totale, avec un profil rond et sans quille, quand il se retrouve au ras de la houle. Quel paysage allons-nous retrouver en sortant ?
Les prévisions les plus contradictoires se multiplient, entre le super-expert allemand qui prédit une deuxième vague du Covid-19 plus redoutable l’hiver prochain après un été tranquille, et ceux qui voient le virus mourir de sa belle mort au bout de 70 jours. Or on ne peut même plus distinguer les vrais des faux experts puisque le corps médical participe à la cacophonie, je ne parle bien entendu que de ceux qui ont du temps à perdre sur les plateaux de télévision, alors que la grande majorité des autres joue sa vie et sa santé dans les hôpitaux.
La solution la plus courageuse mais aussi la plus raisonnable me semble être de suivre les consignes des autorités, qui ont la modestie d’expliquer qu’il n’y a pas de solution miracle et qu’on va y aller progressivement. Précision utile et responsable, quand on voit que dans les pays qui ont déjà commencé leur déconfinement, beaucoup de gens ont interprété cette nouvelle posture comme une “fin d’alerte”, renonçant à toute précaution comme si on était totalement passé à “l’après pandémie”.
Franchement j’ai détesté devoir, depuis le 17 mars, passer ma journée à me laver les mains et mettre un masque à chaque sortie. Cela excluant tout jogging car on ne peut pas, j’ai essayé, courir avec un masque sur la figure. Mais je m’y étais presque habitué, désormais équipé de gants et de masque puisque l’approvisionnement a fini par se faire. En fait, étant par chance bricoleur, j’avais déjà gants et masque (vous avez déjà poncé du bois sans masque ?) et j’ai eu aussi la chance d’échanger avec les éboueurs de mon quartier, avec qui je bavarde quand je peux, un masque et des gants de travail contre un casque de tankiste français modèle 1936 dont je n’avais plus vraiment l’utilité.
Ces éboueurs et conducteurs d’engins de nettoyage, on ne leur a peut-être pas assez rendu hommage : dehors tous les jours en combinaison orange, masqués et gantés, ils ont été l’honneur du service public et des services de voirie et je n’ai jamais vu passer aussi souvent les camions-citerne pour arroser les trottoirs et lessiver la chaussée.
Mais comme tout le monde, j’ai été pris de court sur un équipement dont je n’avais pas fait provision : les cartouches d’encre pour l’imprimante, indispensables pour imprimer l’attestation dérogatoire m’autorisant à sortir… Une recherche sur Internet puis l’exploration d’une grande surface pas trop loin, un Auchan que je cite pour les remercier (leur concurrent le plus proche n’en avait plus) m’a permis d’en stocker plusieurs, avec une ramette de papier. Pour la prochaine fois, je saurai !
Et puisqu’on en est à l’approvisionnement, il n’a jamais fait défaut, il faut le dire ! Après deux ou trois jours suivant le 17 mars où les gens paniqués remplissaient leurs caddies pour trois mois, on n’a jamais manqué de rien ni en vivres frais ni en conserves, Paris et sa banlieue ont été ravitaillés sans interruption, et j’ai plus que jamais apprécié la baguette fraîche et les croissants chauds des boulangers restés ouverts et où on faisait la file à l’extérieur, comme lors de chaque guerre…
Ai-je souffert du manque de tests ? Pas vraiment, dans la mesure où je n’ai pas été malade et je ne voyais personne, même si j’avais été positif je n’aurais donc contaminé personne. En famille nous avons été plusieurs à traverser un gros rhume avec un peu de migraine, mais avec un Doliprane et beaucoup de sommeil c’est passé tout seul. Peut-être avons-nous été des centaines de milliers à être atteints par une forme bénigne, difficile de savoir qui était ou non “porteur asymptomatique”. On verra par la suite si les tests seront généralisés, je ne m’inquiète pas pour l’instant…
Ce qui me fait peur en revanche c’est le sentiment qu’ont certains de leur invulnérabilité, parce qu’ils sont jeunes ou qu’ils sont plus malins que les autres. Ou parce qu’ils sont libertaires, et parce qu’en France on doit absolument prouver à chaque instant qu’on ne fait pas “le jeu du pouvoir”. Entre “jeunisme” et giletjaunisme” il n’y a pas grande différence, les deux dérives sont également irresponsables. Devrons-nous payer d’une nouvelle dose de confinement les excès provocateurs annoncés dès le 11 mai ? Le vrai démocrate que je suis n’a pas de complexe à réclamer de la fermeté contre ceux qui jouent avec la santé des autres, il suffit de faire respecter la loi.
Pour autant, et en bon citoyen qui applique les consignes de confinement, je n’ai aucune envie de voir celui-ci prolongé si d’autres pays estiment possible d’en sortir, et vais tout faire à mon niveau pour que la démarche pragmatique et progressive annoncée soit un succès. En particulier, je suis infiniment frustré d’avoir appris ces derniers jours que la navigation de plaisance serait autorisée, mais réservée pour l’instant à ceux qui habitent à moins de cent kilomètres du littoral. Et je n’ai qu’une envie, c’est de voir les frontières rouvertes et l’Europe redevenir un tout cohérent et solidaire, ce qu’elle a très inégalement pratiqué ces derniers temps.
Alors prêts pour le déconfinement, mais tous ensemble et en bon ordre : ce n’est pas un sprint risqué, c'est une course de fond collective. A vos masques, prêts, partez !