C’est officiel, le gouvernement équatorien veut doubler sa production du cacao d’ici 2030, pour passer d’un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars en 2018 à 1,4 milliard $ en 2030. C’est le responsable du Projet Café-Cacao au ministère de l’agriculture et de l’élevage qui l’a annoncé, dans le cadre du programme « Équateur, pays du meilleur chocolat », car c’est ce pays qui a « inventé » le cacao et qui prétend en avoir toujours la meilleure qualité.
Si ce sont les civilisations mexicaines qui ont développé l’art de préparer le chocolat, il n’y a plus de doute sur l’origine botanique et la production de la fève de cacao en Équateur, plus de 3.500 ans avant JC. Un archéologue français, Francisco Valdez, a localisé cette origine dans le canton Palanda de l’actuelle région de Zamora Chinchipe, dans le sud de l’Amazonie équatorienne. Les vases qui y ont été exhumés contenaient des fèves de cacao qui ont pu dater exactement leur âge : 5.500 ans. Lire l’article du CIRAD sur ces fouilles
J’ai eu l’occasion de lire une thèse universitaire sur le « Gran Cacao », malheureusement non publiée, de Veronica Costales, en dégustant un chocolat chaud très pur à la « Republica del Cacao » du vieux Quito, un salon de chocolat (salon de thé serait inapproprié). Cette chercheuse équatorienne a étudié en détail l’histoire du cacao et la raconte avec de savoureux détails, après avoir consulté archéologues, agronomes, historiens et économistes.
Si les populations indiennes de cette partie accidentée de l’Amazonie avaient découvert les vertus énergétiques de la fève de cacao, ce sont étonnamment les singes et les écureuils, qui appréciaient la pulpe douceâtre du cacao, qui contribuèrent à l’extension géographique de cette plante dont ils emmenaient les graines. Le cacao fut ainsi progressivement cultivé dans les provinces de Macas, de Tena et jusqu’à la frontière colombienne. Les indiens d’Amazonie fournirent le cacao aux populations plus développées des Andes et on pense que le cacao commença à être cultivé au début du 12e siècle, puis commercialisé auprès des autres peuples de la région, jusqu’au Mexique.
Ce sont en fait les Mayas puis les Aztèques qui ont développé le breuvage du chocolat avec ses propriétés stimulantes, ce qui en faisait une boisson sacrée – bien avant que les Européens ne baptisent le chocolat la boisson des dieux. Les Mayas l’avaient nommée kai kale, la boisson amère, ce qui fut transformé par les Aztèques en cacahuatl ou xocoatl.
Les conquistadores espagnols découvrirent le cacaoyer au pays de l’El Dorado, l’Équateur, et constatèrent que la fève avait une certaine valeur puisque les Indiens s’en servaient comme monnaie. Lorsque Cortès conquit le Mexique, il fut reçu en 1519 par l’empereur aztèque Moctezuma II qui lui tendit une coupe en or avec du cacahuatl. Les Aztèques buvaient le chocolat froid, avec du maïs et des épices, et sans sucre donc amer. Ce sont les Maya-Quiché du Guatemala qui introduisent le cacao en Espagne en 1544. Mais pour être accepté et apprécié en Europe il fallait changer la recette, ce que firent les Espagnols en le sucrant et en le servant chaud.
Très vite le cacao va devenir une denrée recherchée, et les Espagnols commencent à l’exporter de Guayaquil vers 1593. Les bateaux transportant le cacao seront aussi convoités que ceux transportant de l’or et attaqués par les pirates et les corsaires. Mais si les Espagnols savent apprécier ce nouveau cacao, ce sont les Italiens et Néerlandais à partir de 1615, les Anglais en 1657 et les Français en 1659, qui vont en percevoir le caractère exceptionnel et développer l’industrie du chocolat.
La découverte du chocolat chaud en Europe est une révélation qui va devenir la mode des souverains et de leur cour. Charles Quint, les Médicis, et surtout Louis XIII et Anne d’Autriche puis Louis XIV et Marie-Thérèse contribuent à en imposer la mode. Versailles était devenu un palais du chocolat, que le roi offrait à la cour et à ses invités.
Détail amusant selon cette chercheuse, les Jésuites vont activement participer à développer le goût et la consommation du chocolat en Europe, un péché véniel de gourmandise, tout simplement parce qu’ils étaient eux-mêmes producteurs : en 1689 ils exploitaient 51.000 cacaoyers en Equateur…
Le cacao équatorien est dont celui produit sur le versant oriental des Andes, et appelé « cacao de arriba », le cacao d’en haut, alors que celui planté sur la côte Pacifique était le « cacao de abajo » ou « corriente », plus facile à exporter par le port de Guayaquil. Ce cacao d’en bas va se développer à la suite d’épidémies frappant les populations amazoniennes, qui entraînent un certain nombre de planteurs et d’indiens à venir s’installer sur le littoral, contribuant à un fantastique essor de Guayaquil : la région du Guayas produisait à la fin du 18e siècle plus de 1.000 tonnes de cacao sur 4.000 hectares de culture.
C’est en 1828 que le Néerlandais Coenraad Johannes Van Houten développe le processus de transformation du cacao en chocolat en poudre, c’est en 1879 qu’on invente les tablettes de chocolat au lait…
En 1922 les plantations de l’Amazonie équatorienne sont dévastées par des virus, et la chute du commerce mondial avec la crise qui culmine en 1929 va profondément déstabiliser l’économie équatorienne, avec la chute de la monnaie nationale, le sucre. Beaucoup de planteurs qui s’étaient endettés en spéculant sur leurs profits futurs font faillite, et les concurrents de l’Équateur développent leur production de cacao : Ghana, Nigeria, Côte d’Ivoire et Brésil notamment qui vont occuper une place croissante dans les décennies suivantes.
Avec une production actuelle de quelque 300.000 tonnes de fèves en 2018, l’Équateur veut consolider sa position face à ses concurrents dont la Côte d’Ivoire (1.250.000), le Ghana (900), l’Indonésie (220), le Cameroun (250), le Nigeria (245) et le Brésil (195). Les plantations de cacaoyers occupent 560.000 hectares aujourd’hui, l’objectif est de les porter à 700.000 en 2030 pour rattraper se concurrents et retrouver son rang. Mais l’objectif reste autant la qualité que la quantité, et quand on parle ici de chocolat on évite d’évoquer ces produits à base de pâte de noisette qui ont envahi le marché mondial et perverti le goût des plus jeunes (je n’ai cité aucune marque).