Venisio Pagani est menuisier, le dernier de Cortona où la plupart des artisans traditionnels ont disparu. Mais il est surtout un passionné de mécanique, et son atelier renferme des trésors incroyables, dont deux motos de guerre allemandes en parfait état.
C’est par hasard que j’ai découvert cette caverne d’Ali Baba. Venisio était dehors, dans la petite rue en pente qui monte vers le centre de la vieille ville. Il bricolait un vieux véhicule tout-terrain de l’armée de terre italienne visiblement en parfait état de restauration. Par curiosité, j’ai passé la tête dans sa cave-garage sombre et ai vu une vieille voiture d’avant-guerre, sur laquelle j’ai commencé à lui poser des questions.
Le regard brillant il a lâché ses outils pour venir allumer sa cave, et découvrir un atelier de mécanicien parfaitement outillé avec des pièces détachées partout, un triporteur marqué « Gelati » et cette voiture ancienne. Quand je lui ai demandé s’il s’intéressait aussi à la mécanique moto, son visage s’est illuminé d’un large sourire et il m’a emmené au fond, dans une deuxième salle, pour découvrir un véritable trésor de guerre : une Zundapp 750 de la Wehrmacht (Heer) et une Puch 250 de la Luftwaffe, toutes les deux des années 1940.
L’histoire de la Zundapp est une saga : abandonnée par l’armée allemande à Monte Cassino, elle a été embarquée par un ferrailleur qui l’a remisée dans un « mur de motos » entassées à Foligno, en Ombrie, où Venisio l’a choisie parmi d’autres. Malgré un trou de balle de gros calibre sur l’arrière du cadre, celle-ci était sans doute en moins mauvais état que les autres.
Venisio l’a transportée chez lui, démontée pièce par pièce, recomplétée avec ses graisseurs additionnels, sa mitrailleuse Maschinengewehr 42 et son masque à gaz en étui cylindrique, un travail de plusieurs années qui lui a demandé patience et expertise. Il montre la double commande de levier de vitesse, à la main et au pied pour permettre au pilote d’avoir la main libre en cas de nécessité. Également la transmission depuis la roue arrière vers la roue motrice du side-car, placée légèrement en avant pour des raisons d’équilibre du side.
Au lieu d’un tringle en diagonale avec des cardans, les ingénieurs de Zundapp avaient mis au point un système de renvois à angle droit avec axes et pignons, plus lourd mais certainement incassable.
Le side Zundapp avec sa plaque de la Wehrmacht est en parfait état de marche, il a servi pour plusieurs films dont « La vie est belle » de Roberto Benigni, mais Venisio le déplace sur une remorque notamment à cause de son poids. Il faut arriver à freiner et à l’arrêter ce qui n’est pas évident sur les routes en lacets des collines toscanes
Plus légère est la 250 cc Puch, une moto de la Luftwaffe qui avait la particularité d’avoir un embrayage dans le moyeu arrière, ce qui permettait un différentiel très important donc plus de puissance à bas régime. Tout était surdimensionné, d’une solidité sans faille, explique-t-il. Avec un défaut majeur : la rigidité, gage de solidité, était aussi un facteur d’usure et de fatigue du conducteur, notamment par les chocs et vibrations transmis à la colonne vertébrale.
« A l’époque, seules les motos italiennes avaient été pensées aussi en termes d’ergonomie, avec des suspensions, ressorts et amortisseurs partout ». Il mentionne les Bersaglieri italiens sur leurs Guzzi, mieux amorties et qui passaient mieux en tout-terrain notamment en Libye ». Une discussion que je préfère laisser aux experts, car ayant été utilisateur de bicylindres BMW (des années 1970) et Guzzi (plus récentes), je n’ai jamais eu à me plaindre de mal au dos – mais je n’ai pas piloté de Zundapp !
La passion pour la mécanique de ce menuisier de profession lui a été transmise par son père, mécano à Nice où il avait acheté un cabriolet Peugeot type Spider de 1929, qu’il avait vendue en quittant Nice pour retourner en Italie – comme beaucoup d’exilés de l’entre-deux guerres – en 1946. Venisio et ses frètes avaient une nostalgie de cette voiture et, un jour, il tombe sur un véhicule semblable à restaurer dans une foire de voitures de collection à Imola. « J’ai appelé mes frères, ont s’est mis d’accord pour l’acheter et la restaurer ».
En démontant, nettoyant et restaurant la voiture pièce par pièce, ils s’aperçoivent que le moteur avait subi de petites modifications qui leur rappelaient les améliorations apportées par leur père. Puis, en retrouvant sous la rouille la plaque du cadre, ils ont retrouvé le numéro de série. « J’avais conservé la carte grise de mon père et nous avons été émus et stupéfaits de voit que c’était bien la voiture de mon père ! » Et comme il ajoute avec philosophie, il n’y a pas de coïncidence, soixante-dix ans après la voiture de famille leur était revenue…
Venisio Pagani travaille dur mais il prend toujours le temps de bavarder avec son visiteur. La gentillesse même, comme la plupart des habitants de Cortona. Il est facile à trouver, en descendant la Via Ghibellina vers les murs d’enceinte, une visite à ne pas manquer !