Il est hasardeux de tenter une analyse à froid sur un événement aussi dramatique que l’attaque du Hamas contre Israël, qui a suscité un débat aussi passionnel entre pro-Israéliens et pro-Palestiniens, sans que ces derniers aient aucune légitimité pour défendre une attaque terroriste visant principalement des civils.
Mais pour essayer de comprendre la suite, il faut essayer non seulement de « contextualiser » cet événement, suivant le terme d’un chercheur qui s’est fait agonir d’injures sur les réseaux, mais de faire une analyse purement et froidement géopolitique et militaire, en revenant sur le passé.
Lorsqu’en septembre 1982 Yasser Arafat a signé l’accord d’évacuation de Beyrouth de toutes les milices armées de l’OLP, il renonçait de facto à la lutte armée contre Israël, au moins depuis le Liban. Dix ans plus tard, par les accords d’Oslo, il renonçait à la lutte armée en général et reconnaissait Israël, condition pour un retour des Palestiniens de l’OLP dans les territoires occupés. Arafat lui-même et les principaux chefs des organisations membres (Fatah, FPLP, FDLP, etc.) déposaient les armes pour revenir en Cisjordanie.
S’engageait alors une politique de coexistence avec les autorités israéliennes, de « collaboration » au sens positif. Mais l’attitude des autorités israéliennes, grignotant les territoires occupés et ne laissant aucune respiration aux populations palestiniennes, a fait que, pour les nouvelles générations, le terme « collaboration » a été ressenti comme une trahison, comme ce terme est encore perçu aujourd’hui en France en souvenir de l’occupation.
L’Autorité palestinienne a connu une déliquescence progressive, entre la corruption spectaculaire des dirigeants du Fatah dont Arafat lui-même et son successeur, et les luttes internes aboutissant à un éclatement de ce qui était l’OLP (appellation caduque depuis les accords d’Oslo), les autres organisations reprochant au Fatah sa mainmise et son autoritarisme.
Le Fatah a effectivement étendu son contrôle sur la Cisjordanie, tandis que la situation lui échappait à Gaza, enclave surpeuplée et beaucoup plus isolée que la Cisjordanie, celle-ci ayant des ouvertures vers Israël et vers la Jordanie. De plus, Gaza étant voisine du Sinaï, l’influence de l’Egypte s’y est développée, en particulier avec les mouvements intégristes qui ont rapidement étendu leur emprise, les Frères musulmans étant depuis longtemps présents sur ce petit territoire.
C’est sur ce terreau qu’a prospéré le Hamas, organisation ouvertement islamiste créée en 1987 (Hamas est l’acronyme de Harakat al Muqawama al-Islamiya – mouvement de résistance islamique) alors que l’OLP était multiconfessionnelle (même si Arafat était réputé avoir été Frère Musulman, mais avec des dirigeants chrétiens dont Georges Habache).
Certains observateurs ont évoqué, sans preuves, une complicité des services israéliens favorisant le Hamas pour affaiblir le Fatah, de même que les services israéliens auraient favorisé l’émergence politique des Chiites au Liban pour contrer la présence de l’OLP, avec Amal qui est devenu la matrice du Hizbollah. Mais laissons cette matière aux séries de Netflix…
Toujours est-il que le Hamas a progressivement pris le contrôle total de Gaza, social, politique et sécuritaire, sa milice devenant la seule présente. Une dialectique a accru cette prépondérance, chaque attentat du Hamas contre les Israéliens provoquant une riposte d’ampleur, laquelle faisait apparaitre le Hamas comme seul défenseur des Gazaouis, face à la passivité de l’autorité palestinienne.
Ce long développement pour arriver au point central : le Hamas sunnite a pu se développer de façon spectaculaire non pas avec l’aide des pays arabes ni même des organisations radicales sunnites comme Al-Qaida ou l’Etat islamique, mais avec une aide croissante, financière et en armements, de l’Iran chiite. Avec un rapprochement du Hizbollah chiite libanais, courroie de transmission des Iraniens au Liban.
La marine américaine mais également au moins une fois la marine française ont intercepté et saisi des cargaisons d’armes en provenance d’Iran et destinées à Gaza. Beaucoup d’autres livraisons ont été effectuées, conférant au Hamas une capacité en missiles et roquettes considérable.
Venons-en à l’attaque du 7 octobre. Premier élément : la surprise totale chez les Israéliens. Ni leurs services, ni les services de renseignement occidentaux, n’avaient rien vu venir. Ce qui semble indiquer une chose importante : si le Hamas a lancé « après » le début de son attaque des appels à « la nation arabe et islamique » à rejoindre le combat pour libérer Al Quds (Jérusalem), ce qui est la phraséologie iranienne, aucun pays arabe n’avait été impliqué ni même informé « avant », car les services de ces différents pays auraient aussitôt communiqué l’information aux services occidentaux.
Deuxième élément : le vraisemblable lâchage du Hizbollah. La milice libanaise a attendu la soirée de samedi pour déclencher quelques premiers tirs contre le nord d’Israël et faire défiler des miliciens en armes près de la frontière israélienne. Un jeu de rôles, typiquement, où le Hizbollah gesticule et affiche sa solidarité en envoyant un signal à l’Iran, tout en ménageant Israël. Une attaque combinée dès samedi matin aurait eu des effets gravissimes pour la sécurité d’Israël avec une défense à ce moment-là passablement désorganisée.
Troisième élément : l’attaque du Hamas se rapproche plus d’une opération suicide de grande ampleur que d’une opération militaire. Comme dans l’attaque du 11 septembre, les commandos partis samedi à l’aube en territoire israélien savaient qu’ils avaient peu de chances de revenir vivants, encore moins d’y rester durablement, faute d’une véritable manœuvre militaire avec des moyens adéquats.
Alors, pourquoi cette opération ? Il apparaît de plus en plus, et le chef du Hamas devait le savoir en déclenchant l’opération, que celle-ci était un « one shot », en l’absence de profondeur stratégique, de réserves et même de capacité d’empêcher les Israéliens d’entrer à nouveau à Gaza. Au-delà de la dimension « commando suicide », l’objectif ne pouvait pas être militaire et a au contraire « renforcé » le camp israélien au moment où son gouvernement était critiqué, l’armée démotivée et la contestation populaire importante. Aujourd’hui Israël est mobilisé et fait bloc.
Il faut sans doute chercher à qui profite cette opération très dommageable pour Gaza et pour les Palestiniens en général. Et c’est le sponsor du Hamas, le régime iranien, qui en est le principal bénéficiaire. Outre le fait que l’émotion suscitée dans l’opinion internationale détourne l’attention de la répression interne en Iran, c’est surtout le rapprochement entre Israël et les pays du Golfe qui est durablement compromis. Un rapprochement qui inquiétait l’Iran au moment où certains pays du Golfe semblaient modérer leur hostilité envers lui.
Et la riposte israélienne, annoncée comme devant être d’ampleur, suscitera une émotion comparable à celle de samedi, mais symétriquement inverse, dans les opinions arabes, aboutissant à l’effet recherché par l’Iran. Encore une fois, à Gaza comme au Liban et en Syrie, les vrais coupables du terrorisme sont les Iraniens. Tant que durera le régime des mollahs, il n’y aura aucune paix durable au proche et au moyen orient.