Ce récit personnel commence avec l’assassinat de Béchir Gemayel, le 14 septembre 1982, lendemain du rembarquement du contingent de la force multinationale d’interposition à Beyrouth, qui a assuré le désarmement et le départ des milices palestiniennes. Il se termine après le retour de la 2e Force multinationale, puis le retrait israélien de la zone de Beyrouth et la formation d’un gouvernement libanais d’union nationale, début octobre 1982.
Entre ces deux dates, trois semaines intenses, affreuses, où on atteint le summum de la violence, du cynisme, de l’indifférence. Trois semaines où le métier de journaliste est le plus dur du monde, où il faut rester serein à défaut d’être totalement objectif, où il faut mettre les faits au-dessus des sentiments et travailler malgré les pressions et souvent les intimidations. Une seule conclusion, en toute modestie : quand on vit l’Histoire au jour le jour, on n’a aucune espèce idée de ce qui se passe réellement, seul le temps peut donner du recul pour juger et analyser.
L’intérêt de ce témoignage est simplement de nourrir la réflexion par quelques faits plus éclairants que d’autres, à défaut de proposer des clés de compréhension. Je quitterai le Liban à la mi-octobre, après presque trois années de séjour dans des conditions souvent dramatiques, sans aucune illusion sur ma compétence à comprendre le Liban et le Moyen-Orient. C’est bien simple, plus on est plongé dedans, moins on comprend cette région. Mais avec une certitude : le journaliste, armé seulement de son stylo et de sa patience méticuleuse, est un acteur indispensable car il reste le témoin qui aide à relativiser les faits ou, au contraire, à éclairer ce que l’on tente de dissimuler dans l’ombre ou derrière un écran de fumée verbale.
Lundi 13 septembre
Liban-interposition
Georges Lemoine remercie le contingent français
Beyrouth, 13 septembre (11h47) – Le secrétaire d’Etat à la défense, M. Georges Lemoine, a transmis lundi à Beyrouth les remerciements du gouvernement français au contingent français de la Force multinationale d’interposition (FMI) avant son départ du Liban.
Au cours d’une prise d’armes à la résidence des Pins, devant quelque 170 parachutistes, légionnaires, fusiliers-marins et marsouins, M. Lemoine leur a transmis “l’expression de la gratitude du président et du gouvernement pour la mission délicate et difficile que vous avez remplie”.
“Je suis venu passer avec vos les dernières heures du contrat qui vous lie au Liban, a-t-il ajouté. Force d’interposition, vous aviez à faire en sorte que la paix puisse revenir rapidement : vous vous êtes acquittés parfaitement de cette mission, soyez fiers de ce que vous avez fait”.
Rappelant le prix payé par la France pour cette opération, en particulier la mort du colonel Bizeul (officier de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban tué le 3 septembre dans la banlieue sud de Beyrouth), le secrétaire d’Etat a ensuite évoqué “la figure de notre ambassadeur Louis Delamarre” (assassiné à Beyrouth le 4 septembre 1981).
Puis il a remis, devant les troupes, les insignes d’officier de la Légion d’Honneur à l’ambassadeur Paul-Marc Henry et des décorations à plusieurs membres de l’ambassade.
Enfin M. Lemoine a passé en revue les détachements présents : 2 sections du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa), 2 section du 2e régiment étranger de parachutistes (REP), un peloton du régiment d’infanterie - chars de marine (RICM) avec cinq blindés AML Panhard, et une section de fusiliers-marins.
Interrogé ensuite par les journalistes sur la raison du départ du contingent français alors que tout n’était pas réglé à Beyrouth, M. Lemoine a répondu que “la FMI se retire globalement, selon le programme établi, après l’achèvement de sa mission, le contingent français faisant partie de cette FMI”.
“Ce qui a été fait au Liban a été exemplaire, a-t-il poursuivi. Le comportement des troupes françaises a été parfait dans un terrain qu’ils ne connaissaient pas, un terrain miné, au sens propre comme au sens figuré. La France, a-t-il conclu, est un pays qui prendra toujours ses responsabilités là où la paix peut être sauvée”.
Quatre ministres libanais étaient venus représenter leur gouvernement à cette cérémonie d’adieux : MM. Michel Eddé (Information), René Moawad (Education), César Nasr (Environnement) et Elias Hraoui (Transports), ainsi que le comandant en chef de l’armée libanaise le général Victor Khoury et le directeur général de la sûreté l’émir Farouk Abillama.
Le frère du président-élu Béchir Gemayel, le député Amine Gemayel, était également présent. Un entretien était prévu en début d’après-midi entre MM. Lemoine et Béchir Gemayel, après une visite au premier ministre Chafic Wazzan et eu président Elias Sarkis.
Enfin du côté français, outre M. Barthélémy, directeur du cabinet de M. Lemoine, M. Bruno Delay, membre du cabinet de M. Claude Cheysson, ministre des relations extérieures, étaient présents le général Granger, commandant la 11e Division parachutiste, le général Coullomb, venu avec M. Lemoine, et le contre-amiral Klotz.
Impression étrange au soir de ce rembarquement. La guerre est-elle vraiment finie ? C’est vrai, les soldats syriens et les combattants palestiniens sont partis, mais ils n’étaient qu’une petite partie de toutes ces parties en présence, surarmées, milices libanaises de tout poil et surtout, aux portes de Beyrouth, l’armée israélienne. Les Libanais sont très partagés sur ce départ presque précipité de la Force multinationale. Franchement, ces contingents internationaux auraient pu rester un peu plus pour stabiliser la situation. Mais sans doute suis-je en train de devenir Libanais moi-même. Avec la théorie du complot, on s’apprête toujours au pire !
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Mardi 14 septembre
(Telex – ajouté à la main : Explosion à16H07 – réunion hebdo des FL – BG sorti à pied)
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LE QUARTIER EST SECOUR DE RAFALES DE MILICIENS QUI TIRENT EN L AIR POUR DEGAGER L LES RUES PLEINES DE MONDE. L IMMEUBLE A UN GRAND TROU AU PREMIER E ETAGE ET TT LE REZ DE CHAUSSE EST DEVASTE . IL SEMBLE QU IL Y AVAIT UNE REUNION DONC ENCORE DE NOMBRE DE NOMBREUSES PERSONNES DESSOUS. OK TT CA ?¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤
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Mauvaise journée que ce 14 septembre. On redoutait le pire, le pire est arrivé.
Alerté par une explosion entendue dans toute la capitale, et après quelques recoupements rapides pour savoir où ça s’est passé, je me précipite à Achrafieh dans la zone de l’Hôtel Dieu de France. Le lieu de l’explosion est facile à trouver, il suffit de suivre les ambulances dans une foule où les gens qui s’enfuient croisent les gens qui veulent voir, comme toujours dans ce cas-là. Un barrage de Forces libanaises est déjà en place autour de la Maison des phalanges, dont la façade est éventrée comme par un bombardement.
Les nouvelles fusent, se contredisent, s’entrechoquent. C’était une réunion avec Béchir, non sans lui, puis finalement oui, avec lui. Il devait recadrer les Forces libanaises avant son entrée en fonctions comme président. Ah bon ?
Et il est où ? On ne sait pas, tout le monde le cherche. Nous ne sommes encore que quelques journalistes, les premiers arrivés. Il y a un jeune de la BBC, que je ne connais pas. On essaie de voir qui est emmené en ambulance, de reconnaître ceux qui sortent debout. Impossible de dire si Béchir est vivant ou pas. Ces miliciens qui sortent de l’immeuble, tous dans le même uniforme moutarde, tous recouverts de poussière et de plâtre, ont tous la même apparence. En fait, ils ressemblent tous à Béchir, comme tous les militaires irakiens ressemblent à Saddam Hussein.
Le temps presse, il faut que j’envoie un urgent. Le type de la BBC me dit : “ça y est, il est sorti, ils l’ont emmené à l’Hôtel Dieu”. “Tu en es sûr ?” “Oui, absolument, il est vivant !”. Je cherche quelqu’un pour confirmer, personne ne veut parler. Je finis par tomber sur Pierre Yazbek, du service de presse des F.L, l’air retourné, qui me confirme gravement que Béchir a survécu.
Je finis par donner mon urgent, après avoir trouvé un téléphone. Puis retourne sur les lieux, pour glaner quelques éléments supplémentaires, mais le service d’ordre éloigne désormais la foule du lieu de l’explosion.
Je repars pour le bureau, pour découvrir une demi-heure plus tard la catastrophe. La concurrence a annoncé la mort de Béchir ! Je proteste de ma bonne foi et explique mes sources, mais Xavier se contente de me demander : « mais tu l’as vu, toi-même ? ». Trop tard, trop bête, un communiqué des Forces libanaises va bientôt confirmer la mort de Béchir Gemayel, assassiné dans un attentat qui a coûté la vie à des dizaines de responsables de la milice chrétienne. Je me sens plus furieux que honteux, furieux contre moi-même, contre le jeune type de la BBC, contre le porte-parole des F.L… Quel gâchis ! Comme journaliste, je suis nul.
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Mercredi 15 septembre
Pour me donner une chance, Xavier me laisse partir le lendemain pour Bikfaya où se déroulent les obsèques du futur président. C’est loin, compliqué d’accès, aucune possibilité de téléphoner depuis Bikfaya, encore une sacrée galère en perspective…
Cette fois je pars avec Christian, qui passe plus facilement en tant que chrétien et connaît bien la zone. Nous passons par le port, sans problème, et remontons Achrafiyeh. Nous croisons une colonne de camions qui me fait peur : cinq ou six camions pleins de miliciens des Forces libanaises en tenue de commando, avec les cordes d’assaut roulées dans le dos. Armés jusqu’aux dents, silencieux, et avec un regard absent, vague et dur. Un regard de drogués, d’hallucinés ? Ils partent à l’évidence en mission, et je frémis en pensant aux gens qu’ils trouveront sur leur passage.
C’est ça, ils ont un regard de mort, pas la colère ou la vengeance, juste le regard de la mort, froid et déterminé. Je garderai toujours ce regard à l’esprit.
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Liban
Stupeur et consternation dans toute la capitale
Beyrouth, 15 septembre – Pour la première fois depuis longtemps, la même atmosphère régnait mercredi matin dans les deux secteurs de Beyrouth où les visages reflétaient tous la stupeur et la consternation après l’assassinat de Béchir Gemayel.
A Beyrouth-ouest, aucune rafale, aucune explosion de joie n’est venue accueillir la mort de celui qui n’était déjà plus l’adversaire de la guerre civile et le chef des milices chrétiennes mais un président élu éventuellement capable de rétablir une légalité souhaitée partout.
Aucun slogan sur les murs, aucun drapeau, aucun milicien des organisations hostiles à Béchir Gemayel n’était visible dans cette partie de la capitale. Boulevard Mazraa, les gens étaient rassemblés autour des kiosques à journaux, commentant avec angoisse les derniers événements.
“Ce sont eux”, affirmait un homme âgé en montrant du doigt les Israéliens qui, en tirant des coups de canon toutes les cinq minutes, étaient en train d’opérer une avancée dans le secteur de la Cité sportive, parfaitement visibles à travers l’autoroute qui enjambe le rond-point Cola.
Dans ce secteur de Beyrouth, non encore occupé par les Israéliens, beaucoup de passants interrogés répondaient librement mercredi matin que les Israéliens étaient les principaux bénéficiaires de la disparition de celui qui avait exigé le départ de “toutes les forces étrangères du Liban” y compris l’armée israélienne comme préalable à tout traité d’amitié avec Israël.
En plus du bruit de la canonnade, qu’on avait essayé d’oublier à Beyrouth depuis quinze jours, l’angoisse des civils était renforcée par les survols devenus incessants, et à basse altitude, des avions israéliens.
Au Musée, on ne passe plus : toute circulation est interdite, les deux M113 israéliens postés en contrebas sont seuls face à l’avenue déserte, seuils quelques soldats libanais sans blindés sont encore présents entre eux et Beyrouth ouest.
A Beyrouth est, tout est fermé et les drapeaux sont en berne. Sur les visages, la même stupeur inquiète. Des groupes de miliciens des Forces libanaises se promènent sans armes – c’est la consigne – avec une expression d’écœurement : eux non plus ne comprennent pas. Hier soir déjà, au cours des opérations de déblaiement de la maison des Kataeb, rue Sassine, des incidents ont été évités de justesse entre eux et le service d’ordre israélien venu en force. Que va-t-il se passer désormais, dans ce vide où la seule présence est celle, écrasante, de l’armée israélienne…
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Liban
Mouvement de troupes israéliens dans la périphérie nord de Beyrouth
Beyrouth, 15 septembre (11h35) – Une importante colonne de blindés israéliens a pris position mercredi à la sortie nord de Beyrouth est, sur la route du bord de mer, ont constaté les journalistes.
Neuf chars israéliens M60 et dix transports de troupes blindés M113 se sont mis en position entre Dora et Nahr el-Mout, face à Beyrouth.
La colonne semble prête à bouger, ont précisé ces journalistes qui ajoutent que les canons et les mitrailleuses sont en bâche.
Par ailleurs, dans Achrafiyeh en deuil, des patrouilles des Forces libanaises à pied et en camion sillonnent les rues.
Enfin de longues colonnes de voitures, dont certaines portant un drapeau noir, quittent Beyrouth en direction de la localité de Bikfaya où doivent avoir lieu mercredi à 16h00 (14h00 GMT) les obsèques du président-élu Béchir Gemayel, tué mardi au cors d’une explosion dans la Maison des phalanges à Beyrouth est.
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Liban-Gemayel
Avant les funérailles officielles, l’adieu des familles
Bikfaya (montagne libanaise), 15 septembre (15h40) – Depuis l’aube de mercredi, de longues colonnes de voitures ornées de drapeaux noirs arrivent à Bikfaya, dans la montagne libanaise, pour un dernier adieu à Béchir Gemayel, le président-élu assassiné mardi après-midi à Beyrouth-est.
Toute la montagne chrétienne a pris le deuil. Partout les portraits posés le 23 août, jour de son élection, ont été décorés de crêpe noir.
Entre la maison familiale des Gemayel où son père, Pierre, et son frère, Amine, reçoivent les condoléances, et la petite église à deux-cents mètres en contrebas, la foule des personnalités, des amis et des simples sympathisants forme un cortège ininterrompu.
Tandis que l’armée libanaise prépare les cérémonies officielles qui auront lieu sur la place de Bikfaya, le service d’ordre autour de la maison est assuré par des miliciens des Forces libanaises (milices chrétiennes unifiées) dont Béchir Gemayel fut le chef. Certains de ces miliciens, guerriers endurcis par des années de combat, ne se cachent pas pour pleurer.
Dans l’église, l’émotion est à son comble. Le cercueil, simple et de bois massif, est orné d’une photo du disparu, quatre officiers de l’armée libanaise, sabre au clair, forment un piquet d’honneur devant le cercueil, entourés par les gardes personnels de Béchir Gemayel et des membres de la police militaire des Forces libanaises.
“Béchir lève-toi !” hurle une femme désespérée, tandis qu’un des gardes du corps sanglote, penché sur le cercueil. Tout autour, les gens prient ou pleurent silencieusement. A l’entrée de l’église, parmi les gerbes qui s’accumulent, deux grandes couronnes : celles du président de la république libanaise et de l’ambassadeur de France à Beyrouth, Paul-Marc Henry.
Seule fausse note dans cette atmosphère de deuil et de recueillement : la visite surprise d’Ariel Sharon, ministre israélien de la défense, qui arrive chemise ouverte et avec ses gardes du corps pour présenter ses condoléances à la famille Gemayel.
Traversant la foule, au milieu d’une indifférence générale, le ministre israélien est entouré de la plus grande discrétion – interdiction de filmer ou de photographier. Un milicien phalangiste explique : “nous ne l’avions pas invité”.
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Impression étouffante que cette ville de Bikfaya où s’est concentré tout le Liban chrétien pour les obsèques de Béchir. Regard sombre et crispation, une personne sur deux est en uniforme, je ne croise que des regards sombres que je pense – stupidement – hostiles. En réalité personne ne s’intéresse aux quelques journalistes, sauf nos interlocuteurs habituels du service de presse des F.L. qui nous repèrent et se précipitent : “venez, on va vous faire visiter la ville”. Je n’ai aucune envie de visiter quoi que ce soit, pas envie, c’est tout. Je veux voir ce qui se passe autour de la maison de la famille Gemayel, c’est quand même l’épicentre du cataclysme qui vient de se produire.
Leur invitation se fait pressante, ce n’est plus de la sollicitude bienveillante, c’est carrément une pression pour nous emmener ailleurs. Cette insistance me déplaît et m’intrigue, et je dis à Christian que nous restons sur place. Notre curiosité est vite récompensée : en arrivant devant la maison des Gemayel, nous voyons deux voitures sombres avec des plaques jaunes. Ici ? Des plaques israéliennes ? Notre curiosité déplaît visiblement et nous faisons semblant d’aller plus loin.
Mais nous n’avons pas besoin d’attendre, l’événement se précipite lorsque la porte de la maison s’ouvre et que je vois sortir un civil corpulent reconnaissable entre tous : Ariel Sharon ! Il est suivi de Pierre Gemayel, blême, et d’Amine, le visage congestionné, ainsi que d’une nuée de gardes du corps.
Nos accompagnateurs se font dissuasifs : “ce n’est pas la peine de mentionner ceci, bien entendu”. Et en libanais, à l’adresse de Christian : “si vous racontez ça, on vous retrouvera !”
La scène est insolite dans le langage du corps : ce n’est pas la visite déférente d’un officiel venant présenter ses condoléances. C’est l’irruption d’un allié encombrant venu troubler la cérémonie pour arracher un accord, ou en tous cas quelque chose qui a bouleversé le clan Gemayel. Mais quoi ? Le ministre de la défense n’est pas le représentant de la diplomatie, mais le chef de Tsahal, c’est visible…
Liban-Gemayel
Les obsèques d’un président
Bikfaya (montage libanaise), 15 septembre (19h13) – Ce sont des obsèques nationales, celles du président de la république qu’il allait être dans huit jours, qui ont été faites mercredi à Bikfaya à Béchir Gemayel, assassiné mardi.
La président Elias Sarkis, le premier ministre Chafic Wazzan, le gouvernement au complet, tous les corps constitués et le corps diplomatique étaient venus jusqu’au village natal de Béchir, fief des Gemayel.
Tous les députés, même les députés musulmans qui avaient boycotté son élection, étaient venus aussi. Le chef du Mouvement national Walid Joumblatt, lui-même actuellement à l’étranger, avait envoyé une grande couronne de fleurs.
Lorsque le cercueil a quitté la petite église de Mar Abda, posé sur un canon de campagne tracté par un camion et recouvert d’un drapeau libanais, un impressionnant service d’ordre était déjà en place : quelque 25 cadets de l’armée libanaise pour présenter les armes, la police militaire au coude à coude avec des centaines de miliciens des Forces libanaises pour la sécurité.
Ouvert par la fanfare de la garde républicaine, l’interminable cortège a tourné devant la maison des Gemayel, passant une dernière fois devant les pancartes “résidence du président” à peine posées.
Des miliciens et des militants phalangistes, garçons et filles, chantaient et dansaient avec les fleurs et les couronnes, couvrant de leurs cris la musique militaire.
Au moment de l’arrivée du corps sur la Grand-Place, deux F16 israéliens ont entamé un bruyant carrousel au-dessus de la petite ville, lâchant des leurres et suscitant quelques regards inquiets de MM. Sarkis et Wazzan.
Au son de l’hymne national, le cercueil a été posé sur un catafalque et le cortège des parents, mené par Amine Gemayel, le frère de Béchir, a pris place autour du chef de famille Pierre Gemayel, très éprouvé et déjà installé dans la tribune face aux autorités libanaises.
Chantées par le patriarche et les prêtres maronites, entourés des représentants de toutes les communautés chrétiennes du Liban, les prières des morts ont alors commencé. Elles ont été suivies par une allocution émue du président Sarkis dont la voix lui manquait par moments.
Après qu’il eut déposé sur le cercueil le grand cordon du mérite libanais, le président Sarkis s’est entendu répondre par Amine Gemayel : “cette décoration que vous avez remise à Béchir Gemayel, vous la méritez aussi”.
Puis le député du Haut-Metn a prononcé un discours enflammé à la mémoire de son frère, souvent ponctué par les applaudissements de la foule, affirmant que “tout complot (contre le Liban) se brisera contre la volonté de libération et d’unité”.
A l’issue de la cérémonie officielle, la foule jusqu’alors contenue a laissé libre cours à son émotion et le cortège discipliné qui se formait pour gagner le cimetière s’est vite transformée en marée humaine, malgré le service d’ordre, les miliciens eux-mêmes manifestant leur douleur.
Il a fallu plus d’une heure pour que le cercueil arrive au cimetière, la foule n’arrivant pas à entrer dans les ruelles étroites empruntées par le cortège. Les secouristes ont dû évacuer un certain nombre de femmes en pleurs, ainsi que de jeunes pris de malaise après avoir passé l’après-midi à danser en plein soleil, tournoyant sans cesse en brandissant le portrait de Béchir Gemayel.
Tous, même ceux qui cachaient leur émotion, avaient une expression d’angoisse et d’incertitude : angoisse d’avoir perdu un chef, incertitude sur les responsabilités de sa mort, le seul sujet dont personne n’osait parler, mercredi à Bikfaya.
Retour dans les embouteillages, nous arrivons tard à Beyrouth. Comment regagner l’ouest ? J’ai une sourde inquiétude, avec les mouvements de troupes qui s’engageaient ce matin. Nous nous faisons déposer près du Musée pour passer à pied, mais c’est bloqué par l’armée israélienne, déployée en force sur l’avenue.
Christian connaît le quartier et nous longeons l’avenue du Musée par une petite rue parallèle qui rejoint aussi le centre. Nous marchons vite et en silence, dans un quartier complètement désert. Christian me demande si on ne pourrait pas passer la nuit chez ses parents à Achrafiyeh. Je lui explique que Marie-Hélène est à l’ouest, et que je ne veux pas la laisser seule, dans l’incertitude de la situation qui règne aujourd’hui à Beyrouth avec ces nouveaux mouvements de troupes.
A un carrefour que nous traversons dans l’ombre d’un immeuble, j’aperçois à deux cents mètres, progressant en parallèle sur l’avenue du Musée, des soldats israéliens. “Ca y est, ils sont rentrés à Beyrouth ouest !”. Nous accélérons pour nous précipiter au bureau, rue de Rome, où nous racontons l’entrée de l’armée israélienne à Beyrouth ouest. Pas la peine de se précipiter à écrire cette fois, nous nous sentons tous prudents.
Mais il se passe évidemment quelque chose, avec des bruits de tir au canon et à la mitrailleuse. Une dernière dépêche pour raconter un tir sur l’ambassade de France que le colonel Jean-Louis Dufour, attaché défense, nous raconte par téléphone, puis je pars avec Marie-Hélène pour passer la nuit dans l’appartement d’Anne-Marie.
Liban-offensive
La chancellerie de l’ambassade de France touchée par deux obus
Beyrouth, 15 septembre (19h45) – La chancellerie de l’ambassade de France au Liban, située rue Clémenceau à Beyrouth ouest, a reçu deux obus tirés depuis la mer peu après 19 heures (17 h GMT) sans faire de victimes, apprends-on à l’ambassade.
Selon le conseiller de presse de l’ambassade, M. André Janier, un obus au phosphore est tombé dans la cour arrière où il continuait à brûler une demi-heure plus tard, ayant mis le feu à un arbre.
Un autre obus a touché le mur d’enceinte extérieur, sans blesser personne.
Tout le personnel présent dans la chancellerie s’est réfugié dans les abris. Il s’agit du premier conseiller M. Daniel Husson, de plusieurs conseillers et secrétaires, et d’une dizaine de gardiens et de parachutistes affectés à la garde de l’enceinte diplomatique. La chancellerie avait déjà reçu plusieurs obus le 4 août dernier, qui avaient dévasté les locaux du rez-de-chaussée.
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Jeudi 16 septembre
Nuit courte, nous sommes inquiets. Nous filons au bureau avant huit heures, pour savoir ce qui se passe. A peine arrivés, l’immeuble Najjar est pris sous le feu d’armes automatiques. Pas le temps de regarder par le balcon, nous nous précipitons tous dans la cave, avec les autres occupants de l’immeuble déjà arrivés, ainsi que le gardien et sa famille.
Le gardien, Ahmed, est un chiite barbu, militant d’Amal, armé d’une Kalachnikov. Les Israéliens peuvent arriver, il les attend de pied ferme !
Dans la rue, le bruit des tirs, puis le silence. Un hurlement sans fin. Quelqu’un se hasarde dans le hall, et voit de loin que c’est le conducteur d’une voiture arrêtée par les tirs, certainement blessé. Apparemment il y a un char en contrebas, du côté de Clémenceau. Il ouvre le feu par rafales, puis s’arrête, et reprend quelques instants plus tard. Impossible d’aller chercher le blessé, il en plein centre des tirs. On va l’entendre appeler pendant une heure, puis plus faiblement, puis plus rien. On le retrouvera plus tard mort sur son siège, vidé de son sang.
Pour l’instant nous sommes terrés au fond de la cave, avec un bruit très inquiétant en plus des tirs : les douilles qui tombent par terre avec un bruit métallique. Le char – ou les tireurs – s’est rapproché, pas possible d’aller voir. La cave n’est pas un abri fortifié, c’est juste un sous-sol, avec derrière un rideau, des bonbonnes de trichloréthylène… Une folie !
Le bruit cesse enfin, deux heures plus tard. On va essayer de monter. Quelqu’un entend des conversations radio, il doit y avoir des Israéliens abrités dans le hall. Ahmad, moins fier que tout à l’heure, me confie gravement sa kalachnikov parce qu’il a quelque chose d’urgent à faire : il se met dans un coin, rase sa barbe et sa moustache. Puis il prépare du thé, fait un plateau avec des verres, et va apporter le tout aux soldats israéliens. C’est la vie !
Pas rassurés, nous montons finalement. Sales et crevés, les soldats israéliens nous demandent de ne pas rester là, mais ne nous accordent aucune importance.
Nous montons au 3e, pour essayer de voir ce qui se passe. C’est encore un peu tôt, ça tire dans la rue de Rome, impossible de voir qui et vers où. Un fil électrique se balade devant notre balcon. C’est ce fou de Loiseau, de France Inter, qui s’est couché sur le balcon de son bureau au 5e étage, et fait pendre un micro jusqu’en bas pour enregistrer la patrouille israélienne et les bruits des combats. Un fou intégral !
Nous commençons à reprendre contact avec la redchef à Paris, à envoyer de premières dépêches sur Beyrouth ouest aux mains de Tsahal. En milieu d’après-midi nous pourrons commencer à circuler, dans le quartier Clémenceau, mais pas au-delà.
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Liban-offensive
L’ambassade d’Italie touchée de plein fouet
Beyrouth, 16 septembre (..) – L’ambassade d’Italie à Beyrouth, située près de la rue Hamra, a été touchée de plein fouet par un obus de char israélien pendant l’offensive israélienne de jeudi matin, mais il n’a fait aucune victime.
L’ambassadeur, M. Franco Lucioli Ottieri, a déclaré à l’AFP que le personnel de la chancellerie avait été regroupé dans une pièce éloignée de la façade au moment de l’attaque dans ce secteur. La façade porte à la hauteur du rez-de-chaussée un trou d’un mètre et demi de diamètre.
Tout ce secteur, entre l’ambassade de France rue Clémenceau et la rue Hamra, a été sévèrement touché par les combats et les tirs de chars.
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Liban-offensive
Une attaque qui a surpris tous les Libanais
Beyrouth, 16 septembre (..) – Dans Beyrouth ouest “libérée” jeudi par l’armée israélienne, le population a été totalement prise de surprise : depuis plus de deux semaines, le déploiement de l’armée libanaise et l’application du plan Habib semblaient avoir écarté le spectre de la guerre.
En sortant des abris après une nouvelle et inutile journée de terreur, la population de Beyrouth ouest n’a pas fraternisé avec les soldats israéliens, eux-mêmes sales et peu affables après 36 heures de combat.
Depuis déjà dix jours, les civils revenus en masse à Beyrouth ouest, confiants dans l’engagement de toutes les parties concernées par le plan Habib, avaient entrepris de grands travaux de reconstruction : vitrines neuves, vitres remplacées, les rues déblayées et nettoyées, la vie avait repris pratiquement son cours normal. Les “éléments armés” invoqués par Israël pour justifier cette nouvelle intervention avaient eux-mêmes, après quelques heurts et des réticences, remis à l’armée libanaise nombre de leurs positions et s’étaient mis à l’écart de la vie quotidienne des Beyrouthins.
La menace de guerre civile, évoquée par les dirigeants israéliens pour “préserver” Beyrouth ouest des désordres, n’existait même pas dans l’esprit des Beyrouthins.
Depuis l’assassinat mardi après-midi du président-élu Béchir Gemayel, l’atmosphère n’était pas plus enjouée à l’ouest qu’à l’est de la capitale. Tous les mouvements de la gauche libanaise, toutes les organisations musulmanes, avaient adressé à la famille de Béchir Gemayel des messages dont le ton révélait pour la première fois une véritable unité nationale et beaucoup de chefs musulmans assistaient aux obsèques.
A l’est, simultanément, nombreux étaient ceux qui exprimaient ouvertement mercredi leurs soupçons d’une responsabilité d’Israël même indirecte, dans la disparition du chef des Forces libanaises. La visite d’Ariel Sharon, mercredi matin à la famille du défunt dans son village natal de Bikfaya, a été accueillie avec une grande froideur, ont remarqué les observateurs.
Ainsi, à l’issue de l’opération surprise de jeudi, consistant à prendre d’assaut une ville préalablement désarmée avec la garantie des Américains aux parties concernées, les Israéliens ont rapproché un peu plus les habitants des deux secteurs de la capitale : physiquement, en les plaçant sous la même occupation militaire, avec des blindés à chaque carrefour important. Politiquement, en ayant mis fin à tous leurs espoirs, non seulement dans un pouvoir fort, mais aussi dans une armée qui avait commencé à jouer un rôle d’interposition et de pacification, rôle qu’Israël vient de lui arracher.
Le soir nous nous retrouvons sur le balcon du bureau, avec un vrai feu d’artifice : des fusées éclairantes se succèdent sans discontinuer, créant une lumière artificielle permanente. Difficile de localiser les combats, mais on se doute que c’est vers Mazraa et au-delà, vers les camps palestiniens. Les habitants de ces quartiers, s’il en reste, doivent passer un sale moment !
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Vendredi 17 septembre
Nous recommençons à circuler entre Hamra et Clémenceau, mais sans pouvoir atteindre la Corniche Mazraa. Il doit y avoir des combats ou un nettoyage de quartier, bloc par bloc, en tous cas les Israéliens empêchent de passer. Je me retiens de ramasser, comme souvenir, les uniformes bariolés et disparates abandonnés sur le bord du trottoir par les milices du quartier : Mourabitoune (nassériens), PNSS, PSP… Nombre de miliciens se sont rhabillés en civil pour se fondre dans la nature et éviter les rafles. D’autres jouent encore à la résistance, mais personne n’est dupe. Le rapport de forces est trop disproportionné !
Liban-offensive
Avec les derniers résistants en armes
Beyrouth, 17 septembre (12h20) – Dans les ruelles des quartiers populaires où les Israéliens ne sont pas encore entrés, les combattants de la « Résistance populaire » s’activaient jeudi matin à se réorganiser.
Ici, au-dessus de la télévision libanaise, des Mourabitoune (Nassériens) commençaient à ramasser les armes. Là-bas, à deux cents mètres à peine, d’autres tiraient encore à l’arme lourde contre es Israéliens qui patrouillaient rue Mar Elias.
La situation militaire est en effet complexe : l’armée israélienne encercle massivement le périmètre compris entre la corniche Mazraa au sud, Basta à l’est, Zoqaq el-Blatt au nord et l’avenue de la télévision à l’ouest. A l’intérieur de ce périmètre, elle ne contrôle que l’axe nord-sud de la rue Mar Elias, et tente de se déployer dans les rues adjacentes après avoir ordonné à la population de rester à l’intérieur des maisons.
A partir de ce dispositif, les Israéliens ont commencé dans a nuit un travail de découpage, visant à isoler et liquider séparément les poches de résistance.
A proximité de la télévision, où de nombreux M113 interdisent toute circulation et empêchent les civils d’entrer ou de sortir de la zone, le Club sportif du quartier est le siège d’une grande animation. Des jeunes gens entassent dans un camion des roquettes, des mortiers et des caisses de munitions, qu’ils vont remettre aux Israéliens. Un milicien en civil se rase la barbe devant un miroir posé en équilibre sur le muret d’entrée.
D’autres encore, en treillis, tiennent leur Kalachnikov. “Nous avons accepté de leur rendre nos armes lourdes, s’ils nous laissent nos fusils – une quinzaine – et promettent de ne pas entrer dans ce quartier, ce qu’ils ont fait”, explique un responsable. Devant la permanence, un drapeau libanais en berne depuis l’assassinat du président-élu Béchir Gemayel, condamné par les Mourabitoune comme par toutes les autres organisations islamo-progressistes.
Mais à trois rues de là, dans la direction du quartier Mar Elias, de violentes explosions font vibrer les maisons : ce sont les miliciens chiites d’Amal, les communistes et les socialistes, qui refusent de désarmer.
“Il n’est pas question pour nous de rendre les armes”, affirme un responsable communiste qui souligne qu’il restera toujours une résistance populaire. “Aucun cessez-le-feu, ajoute-t-il, n’est envisageable avec ceux qui occupent notre ville”.
Même si l’armée israélienne poursuit ses opérations de ratissage, la population ne semble pas prête à désarmer. “La situation est difficile pour nous, face à l’énorme machine de guerre israélienne, mais la résistance continuera, quel qu’en soit le prix”, affirme encore ce dirigeant.
Un commandement militaire unifié a été créé il y a 48 heures, et pour la première fois le Mouvement national, Amal et les comités populaires ont une coordination militaire.
Embusqué dans un coin d’immeuble, un milicien tient serré son lance-roquettes RPG, dérisoire en apparence face aux canons automoteurs de 155 mm que les Israéliens ont acheminé dans la nuit jusqu’à la corniche Mazraa.
“Avec mon arme, je peux me cacher derrière chaque coin de trottoir, eux avec leurs chars ils sont vulnérables de partout dans nos ruelles”, affirme-t-il, l’air farouche.
Israël est-il prêt à un combat de rues, quartier par quartier, qui coûterait aussi cher à son armée qu’à la population civile ? La situation n’est pas encore claire : devant un tas d’ordures qui brûle, des jeunes rient doucement. Au milieu des ordures, ce sont leurs uniformes, leur bérets et leurs bottes de combat qui brûlent. Mais les fusils sont restés cachés.
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Samedi 18 septembre
Presque deux jours se sont passés depuis l’entrée des troupes israéliennes jeudi soir, qui se sont déployées depuis le bord de mer jusqu’à Manara, puis en ligne vers le sud jusqu’à Mazraa et, au-delà, la banlieue et les camps. Impossible de passer pendant toute la journée de vendredi, nous tentons à nouveau samedi matin tôt, cette fois ça passe. Nous décidons d’aller voir les camps palestiniens.
Avec Sélim, nous contournons les camps et entrons dans Chatila par le sud, il n’y a encore personne. Le camp est inhabituellement désert, il y a des cadavres sur la chaussée et à l’entrée des maisons, des cadavres d’hommes et de femmes, des cadavres d’enfants et d’animaux.
Un immense malaise nous prend en entendant des explosions, des bruits de moteur, de bulldozer : l’envie nous prend de nous enfuir en courant. Nous traversons sans nous attarder à compter les corps, il y en a sans doute des dizaines, mais nous allons vers la sortie du camp jouxtant la Cité sportive, où on distingue de l’animation.
Pour moi l’histoire se passe là, ce ne sont pas les morts pour lesquels on ne peut plus rien, ce sont ces files de Palestiniens qu’on ligote et qu’on fait monter sur des camions.
Résultat, bien sûr, un nouveau ratage : la série continue ! Mes concurrents des agences anglo-américaines, arrivés un peu plus tard que nous, n’ont pas vu le dispositif qui se refermait et se sont contentés de faire des gros titres sur les massacres de Chatila. C’est vrai, c’est l’information du jour.
Ma dépêche ci-dessous passe complètement à côté. On ne reparlera de ces prisonniers palestiniens que bien des mois plus tard, lorsque sera révélée l’existence d’un camp secret dans le sud du Liban. Entretemps, la grande affaire c’est en effet ce massacre organisé à une échelle sans précédent, avec la passivité sinon la complicité de l’armée israélienne qui entourait le dispositif.
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Liban-Offensive
La Grande rafle des Palestiniens
Beyrouth, 18 septembre (téléphoné – vers 10h) – Depuis l’aube de samedi, l’armée israélienne a bouclé toute la zone s’étendant des camps palestiniens à la corniche Mazraa et, quartier par quartier, rassemble la population pour arrêter les suspects : entre 1.000 et 1.500 personnes avaient déjà été arrêtées dans la matinée.
Les camps de Sabra et Chatila, essentiellement peuplés de réfugiés palestiniens, ont été pris d’assaut par les milices du commandant de la milice pro-israélienne du Sud-Liban Saad Haddad qui, selon des habitants, ont été jusque dans les abris pour emmener et parfois tuer sur place les hommes jeunes.
Dans les allées de Sabra, au milieu des maisons détruites à l’explosif, des dizaines de cadavres ont été laissés au milieu de la chaussée. Certains journalistes en ont compté plus de cent. Ici une femme, là deux vieillards dont l’un en pyjama, plus loin des enfants dont la mort remonte à quelques heures à peine, sont déjà recouverts d’un nuage de mouches.
Dans ce camp désert, des femmes errent en hurlant, des enfants pleurent sans rien dire. Pas d’hommes ou presque. On entend une explosion toutes les cinq minutes : une nouvelle maison qui saute. Au loin, le grondement d’un bulldozer qui aplanit les maisons détruites pour que, comme l’avaient promis les dirigeants israéliens, les camps palestiniens soient rasés.
Sur la colline qui domine le camp se trouve la Cité sportive. C’est dans le grand stade Camille Chamoun, comme au stade municipal de Fakhani, que les Israéliens ont regroupé les hommes.
A l’entrée de l’immense stade en ruines, des femmes se lamentent mais sont tenues à distance par un barrage de soldats israéliens appuyés par plusieurs blindés M113 et un Merkava . A l’intérieur, sous les tribunes où règne une relative fraîcheur, on aperçoit à travers les murs troués des groupes d’hommes assis sur le sol, silencieux.
Après avoir fait monter à pied la population des camps, hommes, femmes et enfants, les Israéliens ont renvoyé femmes et enfants, puis des hommes, par petits groupes. En milieu de matinée, ils avaient gardé de côté entre cent et deux cents suspects, mais le travail de tri n’était pas terminé : plus bas, dans le camp, des haut-parleurs appelaient en arabe les derniers habitants des camps à venir jusqu’à la Cité sportive, répétant sans cesse : “que tous les hommes se rendent pour sauver leur famille, et l’armée israélienne leur promet qu’elle préservera leurs vies”.
Sortant de maisons démolies, d’abris cachés, des civils montaient vers la colline avec angoisse. Plus encore que des Israéliens, ils ont peur des miliciens de Haddad qui ont averti en entrant dans les camps, selon une femme : “les Libanais, nous les laisserons tranquilles, mais les Palestiniens, nous allons les tuer”.
Lorsque les miliciens sont entrés ce matin, raconte un autre témoin, des femmes se sont jetées sur les officiers israéliens en leur baisant les mains pour les supplier de retenir les miliciens : “nous leur avons demandé de ne pas faire de massacre”. “Nous n’avons pas le droit d’intervenir dans les affaires intérieures libanaises”, a répondu l’un d’eux.
Un autre officier, interrogé sur l’appartenance des miliciens qui faisaient la fouille des camps palestiniens, a répondu à un journaliste : “vous pourrez écrire que ce sont les Kataeb (phalangistes)”. Mais les femmes relâchées qui revenaient de la Cité sportive étaient formelles : “ce sont bien les miliciens de l’armée du Liban libre, ceux de Haddad, qui sont venus égorger nos maris et nos fils”.
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Dimanche 19 septembre
L’ambiance est à l’horreur et au paradoxe. Horreur des images de cadavres éventrés, sauvagement mutilés, ces familles entassées pêle-mêle. Je me refuse à emporter mon appareil photo, je me réfugie dans la description factuelle et dans la comptabilité morbide, comme tous mes confrères. Paradoxe d’un travail d’enquête où il faut interroger les secouristes, la croix rouge libanaise et les autorités présentes sur place pour commencer à évaluer le nombre réel des personnes tuées.
Dans le camp de Chatila où des nuées de mouches ont commencé à apparaître, on rencontre des survivants hagards, épargnés par une absence providentielle et qui découvrent qu’ils n’ont plus ni maison ni famille. Scènes de pleurs hystériques, sauveteurs débordés, cameramen filmant les cadavres sous tous les angles, on marche dans le nauséabond.
Surtout, les Palestiniens présents, essentiellement des femmes et des vieillards car les hommes ont tous disparu, réclament une présence militaire, l’armée libanaise ou même l’armée israélienne ; tout plutôt que d’être à la merci de ces miliciens chrétiens du sud Liban dont on ne sait encore rien de plus et qui nourrissent terreurs et fantasmes.
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Liban-offensive
Urgent
L’armée israélienne dans les camps palestiniens
Beyrouth 19 septembre (11h15) – L’armée israélienne a commencé à se déployer dimanche matin dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, où elle ramasse les armes et invite la population à “rentrer dans leurs maisons”.
Une certaine panique s’est en effet emparée de la population des camps lorsque des bruits, non encore confirmés, ont fait état d’une nouvelle incursion des milices de Saad Haddad avant l’arrivée des premiers éléments de l’armée libanaise.
Cette dernière effectuait un lent déploiement en commençant par le pourtour des camps, et ne pouvait donc pas assurer la protection des survivants à l’intérieur. L’armée israélienne, présente en force dans le secteur de la Cité sportive, a envoyé plusieurs détachements renforcés de blindés pour, selon un officier, “rassurer les réfugiés”.
Dans les secteurs où les soldats israéliens étaient déjà présents, un grand nombre de réfugiés s’étaient effectivement regroupés, discutant librement avec les soldats. Ailleurs, les camps étaient beaucoup plus déserts.
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Liban-massacres
Le récit d’une survivante
Beyrouth, 19 septembre (12h30) – “Le massacre a duré presque trois jours, de jeudi après-midi à samedi matin, et seuls ont pu se sauver ceux qui savaient courir”, affirme une mère de famille du camp de Chatila, qui a pu sauver tous ses enfants.
“Jeudi, après de nouveaux bombardements d’artillerie sur les camps, nous avons vu s’avancer en milieu d’après-midi des soldats casqués au loin, raconte-t-elle, nous les avons pris pour des Israéliens”.
“Nous sommes restés cachés, car il y avait un franc-tireur qui tirait sur eux et eux répondaient de toutes leurs armes. Puis il y a des groupes de gens qui sont sortis avec des drapeaux blancs et ont marché vers les soldats. Ceux-ci les ont emmené plus loin”.
“En avançant, ils criaient avec un porte-voix : sortez et rendez-vous. Mais j’ai dit à ma famille : ce sont des Libanais, ils ont l’accent de la montagne, ils vont nous tuer”.
En fait, précise-t-elle, au milieu des tirs et de la confusion, beaucoup de gens n’osaient même pas sortir de chez eux. Alors elle a persuadé ses enfants et son beau-frère, et ils sont sortis par derrière en rampant. “Nous avons rampé jusqu’à Chatila, puis nous nous sommes enfuis en courant. Mon mari na pas pu venir avec nous, il avait été amputé des deux jambes. Je ne l’ai pas revu depuis, il n’était pas à la maison quand nous sommes revenus ce matin”.
“Ma voisine, qui habitait en face, est restée chez elle avec sa famille. Sans doute n’ont-ils pas compris ce qui se passait : cela fait si longtemps que nous vivons dans le bruit des combats et des bombardements”, poursuit-elle. “Nous l’avons retrouvée les pieds et les mains liés, égorgée au couteau. On lui avait arraché sa culotte. Je crois qu’elle a été violée. Le reste de la famille a disparu”.
Interrogée sur l’identité des assaillants, cette survivante donne des détails : “de jeudi à dimanche, nous n’avons pas vu un soldat israélien. Ceux qui sont venus avaient des uniformes vert moutarde, et soit ne portaient aucun insigne, soit portaient à la fois sur la poitrine celui des Forces libanaises et sur l’épaule gauche celui de l’Armée du Liban libre (de Saad Haddad)”. Plusieurs témoins de son récit confirment ce détail.
La question “pourquoi est-elle revenue” lui semble incongrue. “Je cherche mes parents, mes amis, ce qui reste de la maison”.
Dans la chaleur de la matinée, l’air est irrespirable. Partout des cadavres bâillonnés pourrissent au milieu de la chaussée : vieillards, femmes, enfants, et même trois chevaux éventrés – pourquoi ? – dans leur écurie.
“Nous voulons rester quand même car c’est ici chez nous, conclut-elle. Mais à condition que l’armée libanaise vienne nous protéger”.
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Lundi 20 septembre
Paradoxe d’une situation où, par terreur de ces milices chrétiennes du sud Liban auxquelles on attribue pour l’instant les massacres, les réfugiés palestiniens voient ainsi comme un moindre mal l’armée israélienne pénétrer dans les camps pour rétablir la sécurité, en réalité pour terminer le nettoyage de tout élément armé commencé par les miliciens.
Une foule instable et inquiète entre et sort des camps : qui pour chercher un parent ou ce qui reste d’une maison détruite, qui pour s’enfuir le plus loin possible. Je me retrouve à la sortie de Chatila vers la Cité sportive lorsqu’une rumeur déclenche une course éperdue : “ils reviennent, les hommes de Saad Haddad !”.
Impossible de résister à une foule qui déferle. Impossible même de garder du recul et de la sérénité. Je suis pris de panique à mon tour, et prendrai du temps à remonter le flux et vérifier ce qui se passe. En fait, il s’agissait d’auxiliaires de l’armée ou de la gendarmerie libanaise, portant des uniformes bleus, ce qui a suscité cette confusion !
Liban-massacres
Panique dans les camps : “Haddad est revenu”
Beyrouth, 20 septembre (11h25) – Des milliers de gens ont commencé à déferler lundi en milieu de matinée, venant des camps palestiniens, en hurlant : “les hommes de Haddad sont revenus”.
Le mouvement a commencé depuis Sabra où, selon des témoins, des miliciens sont entrés par le sud en tirant des rafales, précédés par quelques soldats libanais qui fuyaient devant eux. Le correspondant de l’AFP, qui se trouvait dans la moitié nord du camp, n’a pas eu le temps de vérifier car des milliers de gens ont commencé à crier en même temps et à se précipiter à travers les ruelles étroites, forçant tous les barrages de l’armée.
L’armée libanaise, qui avait pris position dimanche tout autour du secteur Sabra-Chatila-Fakhani, avait en effet bouclé lundi matin tous les accès et était en train de quadriller le secteur, fouillant les maisons pour trouver des armes.
Dans le quartier de Fakhani, où se trouvaient certains locaux de l’OLP, l’armée était en train d’abattre les parois intérieures dans l’immeuble occupé à la fois par le porte-parole de l’OLP Mahmoud Labadi et le Parti communiste libanais, à la recherche de caches secrètes.
Un peu plus loin, un blindé avait pris position devant les bureaux du chef militaire du Fatah Abou Jihad.
Dans la partie des camps de Sabra et Chatila détruite par les miliciens appartenant probablement à Saad Haddad, l’armée empêchait également tous les accès aux lieux où travaillaient les secouristes dégageant les cadavres.
Dès le début du mouvement de panique, deux ambulances pleines de secouristes, le visage recouvert d’un masque de tissu à cause de l’odeur insoutenable, avaient remonté vers le nord, toutes sirènes hurlantes.
La foule grossissant à mesure qu’elle traversait ces quartiers, les soldats libanais déployés dans la partie nord ont été complètement débordés par une marée de femmes en pleurs, d’enfants criant, d’hommes de tous âges traînant à nouveau quelques baluchons qu’ils n’avaient même pas eu le temps de déballer.
Bousculant les barrages du service d’ordre, la foule est arrivée à la limite du secteur de l’armée israélienne, sur la corniche Mazraa. Les soldats Israéliens ont tenté d’empêcher leur passage, puis ont été à leur tour débordés.
Des blindés M113 sont aussitôt venus renforcer les barrages, mais sans intervenir. Un peu plus tôt, les soldats israéliens d’un autre barrage ont commencé à tirer en l’air pour arrêter le flot : mais déjà, la panique avait gagné les quartiers populaires au nord du boulevard.
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Liban-offensive
Mouvements de retrait israélien de Beyrouth-ouest
Beyrouth, 20 septembre (12h55) – Des mouvements de retrait des troupes israéliennes ont été remarqués lundi matin dans plusieurs secteurs de Beyrouth-ouest, depuis le centre vers la périphérie.
Une colonne de blindés M113 a été vue en milieu de matinée quittant le secteur sud de la corniche Mazraa en direction de la Cité sportive, déjà évacuée dimanche par tous les blindés s’y trouvant. Cette colonne, accompagnée de camions, camionnettes et jeeps récupérés et ayant appartenu aux organisations palestino-progressistes, a dépassé le carrefour de l’ambassade du Koweït en direction du sud de la banlieue.
D’autre part, sur la corniche Mazraa où depuis le veille s’effectue un regroupement des chars M60 et Merkava ainsi que de tout le matériel lourd, les équipages des chars étaient en train lundi matin de charger leur paquetage sur leurs tourelles.
Enfin dans le quartier de Hamra, centre de Beyrouth-ouest, les soldats israéliens ont abandonné certains carrefours où ils avaient installé des point de contrôle. Le secteur semble désormais contrôlé par l’armée libanaise, présente notamment tout autour du ministère de l’information.
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Mardi 21 septembre
Le temps s’est comme arrêté. Depuis le massacre des camps de Sabra et Chatila, il ne se passe plus rien d’important. La vie s’est figée, une odeur de mort de plus en plus pestilentielle, avec la chaleur et les produits désinfectants, suscite une nausée permanente.
Tout est sale : les cadavres, les camps, les ruines, les reportages, et même la réputation qu’on est en train de faire aux journalistes, accusés de tous les procès d’intention. Le même soupçon qui pèse sur les correspondants depuis le siège de Beyrouth, accusés d’être pro-palestiniens simplement parce qu’ils avaient choisi de rester pour faire leur travail et décrire les événements.
Il va se passer alors quelque chose dont je me souviendrai toujours. Remis en cause pour notre prétendu manque d’objectivité, nous allons être renforcés et même relayés par les correspondants accrédités auprès de l’armée israélienne, par ces journalistes fondamentalement indépendants malgré la censure militaire et qui n’auront aucun complexe à enquêter sur les responsabilités de ce massacre, à mettre en cause les responsables israéliens, jusqu’au niveau de Sharon lui-même. La presse israélienne est l’une des plus libres du monde, au-delà ou à cause de la censure…
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Liban-massacre
Situation dramatique dans les camps
Beyrouth, 21 septembre (12h53) – La situation sanitaire est devenue dramatique, mardi aux camps de réfugiés de Sabra et Chatila (banlieue sud de Beyrouth) où des centaines de réfugiés restent sur les lieux du massacre pour assister aux travaux de dégagement des corps.
Alors que les secouristes de la Croix-Rouge, qui fouillent les décombres, et les militaires libanais, qui patrouillent en jeeps, portent tous des masques en tissu ou même des masques à gaz, les réfugiés se promènent sans aucune protection personnelle, cherchant eux aussi dans les maisons en ruines ou parmi les cadavres alignés pour reconnaître les leurs.
Lundi, 266 corps avaient déjà été ramassés, identifiés quand c’était possible, puis enterrés dans des fosses communes et recouverts de chaux vive. Mardi, dans une puanteur devenue insoutenable, les secouristes étaient passés à la seconde phase : celle du dégagement des corps ensevelis sous les maisons dynamitées.
Un bulldozer soulève un pan de mur : une jambe d’enfant apparaît. Les secouristes se précipitent avec des pelles et dégagent le corps noirci d’une fillette de huit ans. En-dessous d’elle, dans les gravats, c’est quatre autres personnes qu’on va découvrir en un quart d’heure.
Dans une autre maison, dans la cour de laquelle on avait trouvé trois chevaux et un groupe d’hommes pêle-mêle, une famille entière a été dégagée mardi sous le mur d’entrée.
Leur travail est tellement pénible que les secouristes de la Croix-Rouge (libanaise et CICR) et de la Protection civile, masqués, casqués et gantés, travaillent avec des pulvérisateurs et se relaient très fréquemment.
Peu avant onze heures (09h00 GMT), les travaux avaient permis de dégager déjà 39 nouveaux corps qu’on tentait d’identifier. Mais des centaines de maisons restent encore à soulever et inspecter et les ambulances poursuivent leur va-et-vient entre les ruines et la fosse commune.
A côté des secouristes, les réfugiés sont plus nombreux encore que la veille. Ils sont assis sur la chaussée, font eux aussi la navette entre l’endroit où l’on regroupe les corps et les maisons qu’on dégage. Les mêmes scènes accompagnées de hurlements se répètent depuis trois jours, chaque fois que quelqu’un reconnaît un parent au milieu des cadavres.
Le problème le plus grave est désormais celui des rescapés, dont certains ont commencé à se réinstaller. Rien n’a encore été prévu pour eux et le risque d’épidémie est considérable.
Même en supposant que toutes les victimes puissent être dégagées dans les prochains jours, il reste partout des cadavres d’animaux, tués par les dynamitages de maisons, et la vie n’est plus possible dans toute la partie sud des deux camps.
Pourtant des gens s’accrochent. Alors qu’une équipe de secouristes emmène des corps sur une civière, une famille s’est installée dans sa maison en face, dans la salle de séjour dont le mur extérieur a disparu. Ils ont rassemblé une valise, deux baluchons, une télévision, et restent sans rien dire. Partir ? “Non, nous voulons retrouver les nôtres”, expliquent-ils.
Plus loin, une petite fille déplace des meubles pendant que son grand-père jette les gravats à l’extérieur : ils sont tout ce qui reste de la famille et rangent la seule chambre intacte de ce qui était leur maison, en attendant qu’on veuille bien s’occuper d’eux.
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Liban-offensive
Poursuite de l’allègement du dispositif israélien à Beyrouth
Beyrouth, 21 septembre (12h20) – Le mouvement de retrait des forces israéliennes de Beyrouth-ouest constaté lundi se poursuivait mardi dans tous les secteurs, notamment par un allègement des principaux centres de regroupement.
Dans le secteur du port, il n’y a plus aucune présence militaire israélienne, c’est l’armée libanaise qui contrôle cette zone. Le premier regroupement israélien est derrière le Saint-Georges, où une trentaine de blindés, dont quelques chars M60 et quelques automoteurs de 155 mm sont encore en position.
Sur la corniche du bord de mer, les Israéliens sont encore présents dans l’hôtel Riviera, devant l’immeuble en construction qui servait au Parti socialiste progressiste et où les Israéliens embarquent tout le matériel et les véhicules, et devant le Bain militaire où sont rangés une quarantaine de M113.
Sur la corniche Mazraa, qui part du bord de mer et va jusqu’au passage du Musée, l’armée israélienne a également retiré l’essentiel de son dispositif. Trois chars lourds Merkava contrôlent le carrefour Honda, près du quartier de l’UNESCO, mais aucun blindé ne contrôle plus le carrefour de la Télévision.
Il faut arriver jusqu’à l’immeuble de l’OLP pour trouver une nouvelle concentration de blindés : deux Merkava, cinq M113 et des soldats à toutes les fenêtres, hilares de se trouver au siège officiel de l’OLP. Là aussi, on embarque tout sur les camions.
Les Israéliens ont remis à l’armée libanaise un autre carrefour important, celui de la mosquée jouxtant la radio des Mourabitoun (Nassériens) d’où ils ont complètement disparu depuis lundi soir. En revanche une file de camions militaires israéliens était chargée de jeeps, canons de campagne et caisses d’obus et de munitions qu’on avait sortis d’un dépôt de cette organisation nassérienne.
Devant l’hôpital Barbir, un dernier groupe, presque symbolique, de trois chars Merkava est encore en place. Au-delà, c’est l’armée libanaise qui s’est déployée, devant la résidence de l’ambassadeur de France et jusqu’au point de passage du Musée.
A l’intérieur de Beyrouth-ouest, la présence israélienne est beaucoup plus discrète : essentiellement des patrouilles légères à une ou deux jeeps, et la plupart des blindés stationnés aux barrages de contrôle ont disparu. A la Tour Murr, qui contrôle l’entrée du Ring (vers Beyrouth-est), les chars israéliens sont partis et il n’y a plus que des camionnettes et des jeeps.
L’armée israélienne continuait cependant d’effectuer des fouilles et des perquisitions dans les permanences de certaines organisations, emportant des camions entier de matériel et même des véhicules civils transportés sur des porte-chars.
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Mercredi 22 septembre
Presque 400 corps retrouvés, des milliers de personnes déplacées
Beyrouth, 22 septembre (14h35) – Le pénible travail de dégagement des corps dans les camps de Chatila et Sabra avait abouti à un total de 387 corps dénombrés mardi soir, sans compter les quelques dizaines déjà alignés mercredi matin en quelques heures par les secouristes au bord des fosses communes.
Parallèlement à ce décompte macabre, les différents services libanais et internationaux continuent à dresser des listes de personnes “non retrouvées depuis vendredi”, dont le chiffre varie entre mille et quarante mille : en fait, les mouvements de population entre les camps et Beyrouth, ainsi que l’anarchie qui règne dans les camps, sont tels que beaucoup de ces disparus sont peut-être simplement déplacés dans d’autres zones, attendant le retour de la sécurité pour se manifester.
Le décompte des personnes massacrées est pour l’instant fluctuant : au comité international de la Croix-rouge (CICR), qui supervise les travaux de dégagement effectués par la Croix-rouge libanaise, la Protection civile et les scouts libanais, on précise que 205 corps ont déjà été enterrés dans les fosses communes creusées à la sortie des camps de réfugiés.
Mais on ajoute que ce travail n’est pas complet car de nombreuses familles emmènent les corps de leurs proches lorsqu’il sont identifiables, pour les enterrer religieusement. C’est le cas notamment des corps de victimes libanaises de ce massacre, évaluées à une centaine, dont les dépouilles ont été emmenées au sud d’où elles sont originaires
Pour la seule journée de mardi, 45 corps ont été emmenés par les familles aussitôt après avoir été dégagés des décombres par les équipes de secours. Mais dès samedi, les familles avaient déjà emmené les victimes retrouvées à même la chaussée, avant qu’aucun service ne s’occupe de les recenser. Leur nombre, selon le témoignage des journalistes qui ont compté les corps non ensevelis sous les maisons détruites, varie entre cent et deux cents.
Les responsables estiment que le dégagement des corps durera encore deux ou trois jours et que leur total dépassera 500 d’ici jeudi soir.
En ce qui concerne les personnes déplacées, l’incertitude est encore plus grande. D’une part parce qu’une partie de la population des camps, estimée à une centaine de milliers de personnes avant le début de l’invasion israélienne, vit dans la psychose des milices de Saad Haddad, auxquelles elle attribue le massacre, et reste cachée : les camps sont pleins dans la journée mais se vident à la nuit tombée, non seulement Sabra et Chatila, mais également Bourj al-Barajneh et le quartier de Haret Hraïk. Une partie de leur population vit au jour le jour dans différents quartiers de Beyrouth-ouest, dans des jardins et des écoles, et leur recensement est des plus difficiles car ils se déplacent en fonction des mouvements de panique, fréquents ces derniers jours.
Beaucoup de ces réfugiés sont venus aux bureaux de l’UNRWA (Office des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) à Beyrouth-ouest pour demander de nouveaux papiers, ayant perdu les leurs dans les camps.
La situation de ces personnes déplacées devient chaque jour plus dramatique. Dans les camps, sans eau ni électricité, le risque d’épidémie s’accroît avec la décomposition des corps. Au dispensaire de Haret Hraïk, au nord des camps, dernier centre où opèrent encore des médecins du Croissant rouge palestinien, on signalait mercredi trois cas de septicémie et l’on redoutait les cas de gangrène chez les blessés des camps qui restent cachés chez eux.
Les deux hôpitaux palestiniens de Gaza et Akka, dans les camps de Sabra et Chatila, sont toujours fermés, quoiqu’en état de fonctionner. Les médecins palestiniens attendent d’avoir des garanties pour leur sécurité avant d’y retourner, après les massacres qui ont été commis à celui de Gaza. L’hôpital de Haïfa, à Bourj al-Barajneh, a été sévèrement touché par les bombardements et n’a plus qu’une salle d’opérations.
Enfin, selon un médecin palestinien, toutes les ambulances sont mobilisées pour le dégagement des cadavres et le transfert des malades est devenu un problème considérable : mardi, une Libanaise de Haret Hraïk a dû être emmenée jusqu’à l’Hôpital américain à Beyrouth-ouest, à huit kilomètres de là, pour accoucher – presque deux heures de voiture dans la confusion actuelle, mais l’enfant est né sans problème.
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Travail fastidieux, insupportable, dévalorisant. Décompte infiniment las, lassitude des secouristes, lassitude des réfugiés laissés sans ressort.
Ce n’est pas le premier massacre au Liban, et sans doute pas le dernier. Tout le monde a massacré tout le monde, les civils ont pays pour les autres : civils de Damour, petite ville chrétienne au sud de Beyrouth, civils du camp palestinien de la Quarantaine, miliciens chrétiens des Tigres (PNL) massacrés par d’autres chrétiens, les Forces libanaises, tout le monde a encore des récits, des images, des témoignages à l’esprit.
Le Liban est une succession de guerres et de vengeances depuis des millénaires, sans rationalité et sans justification : Alexandre le grand avait ainsi massacré la population phénicienne de Tyr qui refusait de se rendre, les racines de la violence sont plurimillénaires.
Il n’empêche, quand on la voit de face à travers tous ces cadavres, la mort est laide et sent mauvais.
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Jeudi 23 septembre
Liban-massacres
A la recherche des disparus
Beyrouth, 23 septembre (13h29) – Jeudi matin, des réfugiés inquiets se pressaient autour des secouristes, dans le camp de Chatila, alors qu’on leur expliquait que toute identification était désormais impossible : “mais où sont passés tous ceux que l’on n’a pas retrouvés ?”, demandaient-ils tous.
Comme l’expliquait un responsable du Comité international de la Croix-rouge (CICR), une semaine après le massacre l’état de décomposition des corps est tel qu’on ne peut plus espérer retirer que des morceaux de cadavres au milieu des gravats, sans pouvoir les reconnaître.
Les travaux de dégagement vont donc se poursuivre, pour les secouristes de la Croix-rouge libanaise, de la protection civile et de scouts libanais. Mais le CICR ne sera plus là pour dresser des listes comme il l’a fait depuis vendredi, à mesure que l’on arrivait à identifier les victimes.
Un responsable libanais a précisé que bien entendu les travaux continuaient, ne serait-ce que pour soulever les maisons écroulées et faire disparaître tout danger pour les civils qui viennent fouiller dans leurs maisons. Mais pour les corps qui auraient pu être enterrés au bulldozer comme l’auraient fait les miliciens lors de l’attaque contre les camps, selon différents témoignages, on risque de ne plus trouver grand-chose.
Entre le chiffre des corps enterrés sous contrôle du CICR, qui est de 293 y compris ceux emmenés par les familles mais après enregistrement auprès des secouristes, et les estimations données par certains secouristes eux-mêmes, le nombre de corps retrouvés sur place – ou qui vont l’être dans les dernières heures de déblaiement – ne dépasserait pas 500 à 600 victimes. Mais cela ne résout pas le problème des disparus dont les chiffres, qui diminuent à mesure que les familles dispersées se signalent à la Croix-rouge ou à l’UNRWA, restent supérieurs à 2.000.
Pendant que des équipes arrosent le sol de désinfectant et que certains réfugiés fouillent chez eux pour récupérer ce qui peut l’être, l’entassant dans des voitures, d’autres réfugiés continuent à aller de groupe en groupe, posant des questions sur tel frère, père ou fils dont on n’a aucune nouvelle et dont les corps n’ont pas été retrouvés.
Sur place, de nombreux témoins affirment avoir vu les miliciens emmener dans des camions les gens qui s’étaient rendus à eux. Les journalistes ont vu partir avec les Israéliens des réfugiés – essentiellement des hommes – triés par l’armée israélienne et regroupés dans la Cité sportive. Enfin des gens ont vu passer, à Khalde et à Saïda, des convois de prisonniers ligotés. Mais sur leur nombre, leur destination ou leur sort actuel, aucune réponse n’a encore été obtenue par le CICR, aussi bien au Liban qu’en Israël.
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Vendredi 24 septembre
Liban-interposition
URGENT¤¤¤
Arrivée du premier détachement français
Beyrouth, 24 septembre (06h39) – Le premier détachement français de la Force multinationale d’interposition (FMI) est arrivé vendredi à 6h10 (4h10 GMT) au port de Beyrouth, où se trouvait encore l’armée israélienne.
Quelque 350 soldats français se trouvaient à bord du navire L’Argens avec leurs véhicules légers. L’ambassadeur de France Paul-Marc Henry s’est adressé à un commandant israélien pour éviter tout incident pour le débarquement qui reste normalement prévu.
L’ambassadeur a demandé au commandant de regrouper ses hommes à l’ouest du Quai 5, et les Français se déploieront à l’est.
Les Israéliens ont conservé une antenne médicale dans le port, avec deux blindés M113, deux half-tracks et plusieurs jeeps.
Un groupe d’une vingtaine de soldats israéliens, nu-tête mais en armes, est venu jusqu’à proximité du bateau pour assister au débarquement.
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Liban-interposition
Peu de chances de voir débarquer le premier contingent italien vendredi
Beyrouth, 24 septembre (14h00) – Alors qu’aucune décision officielle n’avait encore été annoncée sur le maintien ou le report du débarquement vendredi du premier contingent italien de la Force multinationale d’interposition, il restait peu d’espoir en début d’après-midi de voir arriver ce contingent avant le coucher de soleil.
Les quelque cent parachutistes embarqués sur le navire italien Pezzea n’auraient pas encore quitté Larnaca et il semble peu vraisemblable, estiment les observateurs, que le commandement italien décide une opération qui risquerait de se terminer après la nuit tombée.
Aucune explication officielle n’a été donnée pour ce retard, mais on croit savoir de bonne source que les difficultés apportées par les soldats israéliens au débarquement des paras français vendredi matin expliquent le report du débarquement italien.
L’ambassadeur d’Italie à Beyrouth, M. Franco Luccioli Ottieri, s’est rendu lui-même en fin de matinée, accompagné par le colonel Franco Angioni, chef du contingent italien de la FMI, déjà arrivé à Beyrouth, dans le port pour constater la présence de troupes israéliennes, ce qui n’était pas prévu dans le plan initial de déploiement de la FMI.
Les autorités italiennes voudraient éviter, indique-t-on de même source, aussi bien des incidents avec ces troupes que le risque politique que la présence simultanée des soldats italiens et israéliens soit interprétée comme une acceptation de la présence israélienne à Beyrouth. (à droite © Claude Salhani)
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Samedi 25 septembre
M00000
PARIS INTX GA 492419173+=
268 1716 /999/
AFP DS419173SY+
AFP BEY 20819LE
ALLO DS ?*****
QUELQU'UN ?************
MESSAGE POUR M NSEIR : BEYROUTH 25 SEPT – BSOIR M NSEIR ICI PIERRE. POURRIEZ VS SVP RESERVER UNE PLACE SUR LE VOL AF DS PARIS DU 2 OCTOBRE POUR MARIE HELENE, QUI A DEJA SON BILLET MAIS PAS LA RESERVATION , JE VIENDRAI L ACCOMPAGNER MOI-MEME. POUVEZ VS AUSSI LUI AVOIR UN VISA DE TRANSIT A MASNAA POUR LE 1 OU LE 2, JUSTE POUR PASSER ? MERCI D AVANCE ET FAITES MOI SAVOIR SI VS AVEZ BESOIN DE RENSEIGNEMENTS COMPLEMENTAIRES. MES AMITIES A ANTOINETTE ET A TTE VOTRE FAMILLE. A BIENTOT BIBI .
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DUREE COMMUNICATION 002.57
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La route de Beyrouth à Damas “passe”, selon les dernières infos. Il est temps de faire repartir M-H. La situation ici est inextricable et, après la première expérience, ce nouveau déploiement multinational n’est en rien un signe de stabilisation. Nous nous sommes “faits avoir” au premier déploiement, la leçon est suffisante…
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Dimanche 26 septembre
Liban
Les Israéliens toujours présents au port et à l’aéroport (11h14)
Beyrouth, 26 septembre (11h14) – L’armée israélienne était toujours présente dimanche en milieu de matinée dans le port de Beyrouth et au milieu de l’aéroport, malgré le retrait général des autres positions de Beyrouth-ouest et de sa banlieue.
Une compagnie occupe encore les bâtiments des sapeurs-pompiers de l’aéroport international, face à l’aérogare, entre les deux pistes principales.
Un transport militaire israélien s’est posé et a redécollé en début de matinée après avoir débarqué des soldats, selon des militaires libanais présents à l’aéroport. Un peu plus tard, le correspondant de l’AFP a pu voir décoller un hélicoptère de combat israélien. Un autre est garé derrière la caserne des pompiers.
En revanche, sur la route du bord de mer, les Israéliens ont évacué toutes leurs positions depuis Ramlet el-Baïda (sortie sud de Beyrouth) jusqu’au carrefour de Radio Orient à Khaldé (5 km au sud) où se trouve leur premier poste renforcé de blindés M113.
Enfin au port, l’armée israélienne est toujours présente dans la partie ouest où une unité sanitaire équipée de blindés et de half-tracks armés de mitrailleuses assiste à toutes les opérations de débarquement de la Force multinationale, en s’approchant chaque fois du quai pour observer de près ces opérations.
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Liban-massacres
Des soldats français participent aux recherches
Beyrouth, 26 septembre (11h50) – Une quarantaine de soldats français du 17e régiment de génie parachutiste, appartenant à la Force multinationale, ont commencé dimanche matin à participer aux travaux de déminage et de recherche d’éventuels charniers après les massacres de la semaine dernière dans les camps de Sabra et de Chatila.
Suivant les indications de la Protection civile libanaise et d’habitants des camps, les sapeurs sondent le sol uniquement à l’aide de baïonnettes, les appareils de détection magnétique étant rendus inutiles par la densité des éclats métalliques dans le sol.
Ces travaux sont d’autant plus importants que samedi, la protection civile a découvert un charnier creusé au bulldozer derrière la Cité sportive et recouvert de la même manière, par les assaillants des deux camps. Le fossé contenait douze corps et deux autres corps ont été dégagés à proximité.
La Protection civile travaille avec une pelleteuse, qui creuse la terre là où elle semble avoir été retournée récemment. Cette fosse était située juste derrière le stade où l’armée israélienne avait rassemblé les “suspects”.
L’armée israélienne était toujours présente dimanche en milieu de matinée dans le port de Beyrouth et au milieu de l’aéroport, malgré le retrait général des autres positions de Beyrouth-ouest et de sa banlieue. Une compagnie occupe encore les bâtiments des sapeurs-pompiers de l’aéroport international, face à l’aérogare, entre les deux pistes principales.
Un transport militaire israélien s’est posé et a redécollé en début de matinée après avoir débarqué des soldats, selon des militaires libanais présents à l’aéroport. Un peu plus tard, le correspondant de l’AFP a pu voir décoller un hélicoptère de combat israélien. Un autre est garé derrière la caserne des pompiers.
En revanche, sur la route du bord de mer, les Israéliens ont évacué toutes leurs positions depuis Ramlet el-Baïda (sortie sud de Beyrouth) jusqu’au carrefour de Radio-orient à Khaldé (5km au sud) où se trouve leur premier poste renforcé de blindés M-113.
Enfin, au port, l’armée israélienne est toujours présente dans la partie ouest où une unité sanitaire équipée de blindés et de half-tracks armés de mitrailleuses assiste à toutes les opérations de débarquement de la Force multinationale, en s’approchant chaque fois du quai pour observer « de près » ces opérations.
Nouveau déminage… On recommence ce qui avait été fait par la première Force multinationale. Le chanter du centre ville est titanesque. Surtout, c’est la redécouverte d’un monde lunaire, où même les chiens errants ne se hasardaient plus quatre ans. Mélange cauchemardesque de murs troués ou éboulés, de tôles tordues et déchiquetées, de carcasses de voitures au milieu d’une végétation luxuriante, la guerre a créé un décor de science-fiction.
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Liban-massacres
Attn Redchef
Dix jours après : le point de l’enquête
(des envoyés spéciaux Sammy Ketz et Pierre Bayle)
Beyrouth, 26 septembre (18h41) – Dix jours après les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila et de Bir Hassan, le déroulement de l’assaut commence à se préciser dans les détails, même si l’incertitude persiste quant à l’identité des assaillants.
Le bilan des massacres
Plus d’une semaine après le début des opérations de dégagement des victimes, le bilan global des tués varie entre cinq cents et 1.500, selon les sources. Cette imprécision considérable vient du fait que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne compte que les cadavres dont il a constaté le dégagement ou l’exhumation.
Ce décompte ne tient pas compte des morts retrouvés à même la chaussée dès le samedi 18, identifiés et emportés par leurs familles. Certains ont été enterrés au sud-Liban. Des journalistes avaient compté jusqu’à deux cents corps à même le sol, le jour de la découverte du massacre. En second lieu, le CICR a cessé de superviser le dégagement vendredi dernier, l’état de décomposition des corps étant trop avancé pour permettre leur identification. Mais depuis, des dizaines de corps ont été retrouvés en deux jours, selon la Protection civile libanaise.
Enfin, le bilan officiel ne tient pas compte des fosses communes faites au bulldozer par les auteurs du massacres selon certains témoins et dont, l’une, avec douze cadavres, a été retrouvée samedi près de la Cité sportive.
Le chiffre de 1.500 victimes donné par certains responsables de la Protection civile s’appuie enfin sur le nombre important des disparus – plusieurs milliers – dont aucune trace n’a été retrouvée.
La chronologie de l’attaque
Mercredi 15 en fin d’après-midi, alors qu’Ouzaï, banlieue sud à la périphérie des camps de Sabra et Chatila, est sous contrôle de l’armée israélienne, trois Land-Rover aux couleurs de la Military Police des Forces libanaises (milices chrétiennes) pénètrent dans le quartier, affirme un habitant. Les hommes, avec une bombe de peinture noire, inscrivent sur les murs leur sigle et flèchent le parcours.
Une habitante de Chatila affirme de son côté que “des hommes de Haddad”, qu’elle a connus au sud-Liban, ont pénétré chez elle mercredi soir pour lui dire : “si tu es Libanaise, va-t-en, nous allons assassiner tous les Palestiniens”.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, les Israéliens qui encerclent le camp appellent avec des porte-voix la population à se rendre. Une délégation de femmes se rend jeudi matin chez les Israéliens pour leur dire que le camp est désarmé et qu’ils peuvent entrer pour le constater. Jeudi soir, selon tous les témoignages, des miliciens libanais font irruption dans le camp en tirant, à la suite d’un bombardement de l’artillerie israélienne située sur les hauteurs de l’ambassade du Koweït.
Dès leur entrée, ils demandent aux habitants de sortir de leurs maisons. Certains habitants sortent avec des drapeaux blancs et sont emmenés. Le camp est éclairé a giorno par des fusées éclairantes israéliennes. Les assaillants commencent à séparer les hommes, les femmes et les enfants, selon un témoin.
Il semble qu’au premier assaut, quelques Palestiniens aient commencé à riposter. De bonne source, on croit savoir que les miliciens ont eu cinq tués dès leur entrée, et douze au total. Le massacre commence.
Vendredi, selon plusieurs témoignages dont celui d’un officier libanais, une nouvelle équipe d’assaillants arrive en renfort. Ils seront plus de 400. Le “nettoyage” des camps se poursuit alors d’une façon systématique à quelque deux cents mètres du quartier général israélien.
Samedi matin, les journalistes entendent encore des explosions de maisons que l’on dynamite ainsi que le bruit de bulldozers qui rasent les maisons, alors que les Israéliens regroupent encore des prisonniers à la Cité sportive. En fin de matinée, un journaliste aperçoit des miliciens, entourés par des Israéliens, repartir en direction de l’aéroport.
Le parcours d’approche
Comme l’attestent les traces toujours visibles sur le terrain, les assaillants ont atteint les camps en traversant tout le dispositif israélien à partir de l’aéroport.
Deux itinéraires fléchés mènent en effet à l’entrée sud-ouest de Chatila, marqués par des panneaux plantés dans le sol ou des inscriptions peintes sur les murs dès le mercredi 15.
Un premier itinéraire part du carrefour de Khalde (8 km sud de Beyrouth). Peint en rouge, écrit en hébreu et en anglais, il porte les initiales “M.P.” et se dirige au nord-est vers Choueifat. Un second itinéraire rejoint le premier, venant de la route de Hadeth au nord-est, et les deux bifurquent ensemble vers l’aéroport à l’ouest.
Ce second itinéraire est peint en noir, et porte un triangle dans un cercle, à côté du sigle “M.P.”. L’itinéraire est ensuite balisé uniquement en noir. Sur environ 8 km de route et de piste en terre, il mène les assaillants jusqu’en-dessous de l’immeuble des Nations Unies qui fait face à l’ambassade du Koweït, derrière les lignes israéliennes et au-dessus de Chatila. Un médecin de l’hôpital palestinien de Gaza, à Sabra, affirme avoir été interrogé dans cet immeuble de l’ONU par les miliciens.
Cet itinéraire utilise notamment les pistes de l’aéroport, et les panneaux “M.P.” étaient encore visibles dimanche devant le bâtiment des pompiers de l’aéroport, occupés par l’armée israélienne.
L’identité des assaillants
L’identité des assaillants reste imprécise. Les rescapés des camps de Sabra et Chatila ont tous affirmé qu’il s’agissait des milices du commandant dissident Saad Haddad, alors que les Israéliens ont accusé les phalangistes.
Selon les témoignages, certains miliciens ne portaient pas d’insignes, d’autres avaient à la fois les insignes des Forces libanaises et ceux de l’Armée du Liban libre de Saad Haddad. Par ailleurs les slogans peints sur les murs des camps par les assaillants sont signés aussi bien des “Kataeb libanais” que des “milices de Haddad”. Enfin les deux itinéraires, provenant l’un du sud et l’autre du nord-est, laissent la porte ouverte à toutes les hypothèses.
De leur côté, tant les Forces libanaises que le commandant Haddad lui-même ont nié toute participation de leurs hommes aux massacres. Il n’est pas toutefois impossible que les Israéliens aient réuni les éléments qui leur sont le plus favorables où qu’ils se trouvent. Ces miliciens auraient ainsi agi à titre individuel ou à l’insu de leurs chefs.
Le point de l’enquête
Alors que les témoignages se multiplient, en particulier venant de la presse israélienne qui a u interroger les militaires israéliens postés autour des camps, une enquête officielle libanaise a été demandée par le nouveau président Amine Gemayel au Parquet militaire. Cette enquête a commencé vendredi et le procureur général a procédé sur place à l’audition de témoins.
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Mardi 28 septembre
Liban-Israël
Atmosphère de malaise à Beyrouth-est à l’égard des Israéliens
Beyrouth, 28 septembre (13h30) – Les Israéliens, qui avaient été considérés comme des “libérateurs” en juin par une partie de la population à Beyrouth-est et sa banlieue, sont aujourd’hui regardés avec une méfiance croissante, peut-on constater en interrogeant les gens dans la rue.
Depuis l’assassinat resté mystérieux du président Béchir Gemayel, une atmosphère de suspicion pèse sur les Israéliens. Certains commerçants continuent à pointer un doigt accusateur vers Israël, alors même que l’enquête n’a officiellement donné aucun élément nouveau confirmant ou infirmant une quelconque responsabilité des services israéliens dans cet assassinat.
Depuis, les massacres de Chatila ont accru ce malaise : ce n’est pas tant le massacre lui-même qui émeut la population d’Achrafieh, laquelle rappelle que les Chrétiens ont subi eux aussi d’autres massacres ces dernières années. Mais c’est surtout le fait que les dirigeants israéliens ont voulu dès le début, et systématiquement, rejeter la responsabilité de la tuerie sur les Forces libanaises (milices chrétiennes unifiées) malgré tous les démentis publiés par celles-ci.
Certains industriels se plaignent du poids d’Israël dans les affaires libanaises, qui est devenu “une excessive pesanteur”, selon l’un d’eux. Un dirigeant d’une compagnie aérienne explique ainsi l’insistance d’Israël à garder une présence à l’aéroport de Beyrouth, contre la volonté du gouvernement libanais aussi bien que des Américains. “C’est une affaire politique, dit-il. Israël, qui a tous les moyens techniques de contrôler effectivement le contrôle aérien de cet aéroport sans y être présent, notamment par ses radars installés dans le Chouf, veut en fait imposer sa présence pour que l’aéroport soit boycotté par les compagnies arabes, et pour isoler davantage le Liban”.
La présence israélienne, quoique plus discrète, est toujours réelle dans la zone de Beyrouth et de sa banlieue contrôlée par les Forces libanaises. Alors que l’armée libanaise se déploie partout dans Beyrouth-ouest et la banlieue sud, appuyée depuis deux jours par les contingents italien et français de la Force multinationale, l’armée israélienne ne bouge pas d’un pouce de ses positions hors de cette zone.
Quand on quitte Beyrouth-ouest par la banlieue de Chiah et la Galerie Semaan, où l’armée libanaise doit être rejointe dans les prochaines heures par les soldats italiens, deux blindés M113 israéliens sont postés un peu plus haut sur l’avenue, contrôlant la circulation, ce qu’ils ne faisaient pas auparavant. L’armée israélienne, qui patrouille encore dans Beyrouth-est, garde également les accès nord de la capitale : à Dora, dans la banlieue nord, un poste renforcé de blindés M113 surveille aussi la circulation.
Nombreux sont ceux, dans la zone chrétienne, qui souhaitent que l’armée libanaise puisse se déployer à Beyrouth-est comme elle finit de le faire à Beyrouth-ouest. Le problème ne viendra pas des miliciens des Forces libanaises, selon la plupart des gens interrogés : ces miliciens sont devenus en effet beaucoup plus discrets dans les rues et leur chef, le président-élu assassiné Béchir Gemayel, avait admis le principe que les miliciens laisseraient la place à l’armée en vertu du principe du monopole de la force armée à l’Etat.
Le problème pourrait alors venir de l’armée israélienne, dont la lenteur dans le retrait a déjà retardé de plusieurs jours l’arrivée à Beyrouth du contingent américain de la FMI. On redoute enfin, à Beyrouth-est, que les Israéliens jouent une fois de plus la division parmi les Libanais, utilisant comme ils l’ont déjà fait des éléments manipulés pour susciter des incidents et entraver ce processus de déploiement de la légalité dans toute la capitale, souhaité maintenant par tous les Libanais.
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Nouveau climat lourd, fait de psychose et d’analyses de café du commerce : les méchants sont devenus les Israéliens. Hier c’étaient les Syriens, dont les Beyrouthins ont salué le départ avec un immense soulagement. Aujourd’hui c’est au tour des Israéliens de partir, mais ils les regardent partir avec suspicion. Que croire, que comprendre ?
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Liban
Dernier obstacle israélien au déploiement de la force multinationale (situation)
Beyrouth, 28 septembre (19h08) – Cinq jours après l’arrivée des premiers éléments de la Force multinationale au Liban, l’armée israélienne empêchait encore mardi l’arrivée et le déploiement des Marines américains en maintenant ses blindés à l’aéroport international de Beyrouth.
Les Israéliens ont par contre retiré l’antenne médicale dont la présence sur le port avait gêné le débarquement des contingents français et italiens. Cette unité, forte de six blindés M-113, quatre camions et trois half-tracks, a évacué la zone du port en passant par la sortie est, contrôlée par les parachutistes italiens.
L’armée israélienne est toujours présente dans le secteur de l’aéroport, où une unité de blindés M-113 occupe les bâtiments des pompiers, face à l’aérogare, rendant ainsi impossible l’arrivée du contingent américain prévue en principe par avion. Les Américains, rappelle-t-on, ont posé comme condition à leur déploiement le retrait israélien de Beyrouth-ouest et de sa banlieue jusqu’au sud de l’aéroport.
Les Israéliens exigent leur maintien à l’aéroport y compris en ce qui concerne la réouverture au trafic civil. Les discussions à ce sujet entre Américains et Israéliens semblent difficiles, et le président de la République M. Amine Gemayel a affirmé mardi que certaines difficultés subsistaient au sujet de la réouverture de cet aéroport.
Le secrétaire d’Etat adjoint américain Morris Draper s’est rendu lui-même mardi matin à l’aéroport pour s’entretenir avec le général Amir Drori, commandant en chef des troupes israéliennes au Liban.
L’arrivée des Marines américains continue à faire l’objet de spéculations diverses, les Israéliens ayant promis d’avoir terminé leur retrait mercredi. Mais à l’ambassade des Etats-Unis on estime très improbable l’arrivée mercredi du contingent américain.
Pendant ce temps, les contingents français et italien poursuivent leur déploiement dans la banlieue sud et sud-est : les Français contrôlent les principaux carrefours dans la zone de Fakhani-Sabra-Chatila et Chyah, les Italiens et les Français contrôlent le port, la zone sud de Chatila et le rond-point de l’aéroport sont contrôlés par les Italiens.
L’armée libanaise effectue cependant de son côté des opérations de ratissage dans les zones où la Force multinationale n’est pas encore présente, aussi bien à l’intérieur de Beyrouth-ouest que dans la banlieue.
C’est ainsi qu’elle a procédé lundi, selon des témoignages recueillis mardi, à l’arrestation de plusieurs centaines de Palestiniens en bouclant le camp de réfugiés palestiniens et libanais de Bourj el-Barajneh. On ignore où les détenus ont été emmenés.
Ces arrestations contribuent à l’inquiétude de la population des camps qui ne sait pas quel statut sera réservé aux réfugiés palestiniens par les nouvelles autorités libanaise. Beaucoup d’habitants des camps qui avaient fui au moment des massacres la semaine dernière restent encore cachés à l’extérieur en attendant d’être rassurés sur leur sort.
Le problème des quelque 400.000 Palestiniens résidant au Liban sera évoqué par le secrétaire général de l’UNRWA (Office des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) M. Olof Rydbeck, attendu mercredi à Beyrouth et qui souhaite s’entretenir avec les dirigeants libanais.
Le problème le plus urgent est celui des non-immatriculés à l’UNRWA (presque la moitié du total) et celui des réfugiés du sud Liban actuellement regroupés dans la Bekaa dans des conditions précaires.
Le problème de la Bekaa est d’autant plus aigu que la situation est loin d’y être stabilisée : l’assassinat, lundi soir par un commando, du Brigadier Saad Sayel “Abou Walid”, responsable militaire palestinien, est venu rappeler que plusieurs milliers de combattants palestiniens en armes se trouvent actuellement dans la Bekaa et au nord Liban et ne sont pas concernés par les négociations entre la Syrie et le Liban sur le retrait des forces syriennes.
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Mercredi 29 septembre
Liban-FM
Le débarquement du premier contingent américain
Beyrouth, 29 septembre (13h08) – L’aéroport de Beyrouth “est en cours d’évacuation par les Israéliens et nous sommes en train d’en prendre le contrôle, au nom et en coordination avec les autorités libanaises”, a affirmé mercredi matin l’ambassadeur américain Robert Dillon en accueillant les Marines américains au port de Beyrouth.
Interrogé par les journalistes au pied du navire américain LST Manitowoc, M. Dillon a ajouté que “cela est important de point de vue politique aussi bien que militaire car c’est un symbole de la souveraineté libanaise. Notre principale mission, a-t-il encore souligné, est d’aider ce gouvernement à restaurer son autorité dans tout le Liban, à commencer par la capitale”.
L’ambassadeur des Etats-Unis venait d’accueillir le colonel James Meed, commandant du contingent américain de la Force multinationale, qui débarquait avec ses hommes. Le colonel Meed, en treillis camouflé et casque, a descendu la rampe de débarquement au milieu de ses hommes à pied, avant que les véhicules légers ne descendent à leur tour.
Les ambassadeurs de France et d’Italie, présents à 11 heures, heure prévue pour le débarquement américain, n’étaient plus là au moment de l’arrivée des Marines à midi (10 H GMT) en raison d’une réunion avec les autorités libanaises au sujet de la coordination de la Force multinationale.
Bien que la flotte américaine, autour du porte-hélicoptères USS Guam, fut arrivée à l’heure au large de Beyrouth, le port était encombré de navires marchands au moment où la première vedette américaine est entrée pour repérer les quais. Il a fallu près d’une heure pour déplacer les cargos et dégager le quai est du port, permettant ainsi au premier transporteur de péniches de débarquement (Landing Ship Tank) d’accoster.
Au total deux cents Marines ont été successivement débarqués et dirigés aussitôt vers l’aéroport où doit se dérouler la suite des opérations. C’est là qu’ils doivent prendre position, constater le retrait israélien et permettre l’héliportage de 400 marins depuis le porte-hélicoptères, ce qui fera un total de six cents soldats américains à Beyrouth pour mercredi.
Les Américains doivent se déployer dans la zone de l’aéroport et dans la banlieue sud, pendant que les Italiens et les Français terminent de se déployer dans la périphérie sud et sud-est de la capitale. Le contingent américain sera complété jeudi, après le débarquement du matériel lourd (chars M60 et blindés M113) qui pourra se faire soit par le port, soit sur la plage en bordure de l’aéroport où des opérations de déminage sont en cours depuis mercredi matin.
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Liban-Force
Les Français recousent la dernière cicatrice de Beyrouth
Beyrouth, 29 septembre (17h10) – Les parachutistes français ont effectué mercredi le déminage et le nettoyage de la dernière cicatrice séparant encore Beyrouth-ouest de Beyrouth-est, l’avenue Fouad Chehab plus connue sous le nom de Ring.
Pour la première fois depuis 1978, ce passage surélevé, qui enjambe le vieux centre-ville abandonné et en ruines, a été traversé dans toute sa longueur par des sapeurs du 17e régiment de génie parachutiste, armés d’un bulldozer et de simples baïonnettes.
Sur la grande cicatrice qui séparait les deux secteurs de Beyrouth, seul le passage du Ring était resté jusqu’à présent fermé. Tour à tour le passage du Musée au sud, celui de Sodeco juste au-dessus, et celui du port au nord, avaient été rouverts à la circulation.
Le Ring, symbole de la réunification de la capitale libanaise, sera totalement nettoyé d’ici jeudi matin et, selon certaines informations, c’est le président Amine Gemayel qui le traversera en fin de matinée, rejoignant ainsi Beyrouth-est à Beyrouth-ouest.
Mais avant même les autorités, un Libanais de treize ans a inauguré à sa façon mercredi soir, entouré par les parachutistes, le Ring interdit : en skate board (planche à roulettes), il a descendu en glissant la rampe d’accès au pont qui venait d’être dégagée de la terre et des mauvaises herbes par le bulldozer.
“Il n’y a plus rien à craindre”, expliquait le commandant accompagnant la section du génie. “Tout a été déblayé, il ne reste plus de mines ni d’obus”. les enfants du quartier, venus nombreux pour suivre l’opération et monter eux aussi sur l’avenue, ont contribué désigner aux soldats français les obus cachés dans le sable. “Ils ont l’air de bien connaître le terrain”, commentait un sapeur barbu, avançant lentement en ligne avec ses camarades, la baïonnette fouillant le sol à chaque pas.
Des soldats de l’armée libanaise, déployés le long de toute la ligne de démarcation séparant les deux anciennes moitiés de la capitale, assistaient eux aussi à l’opération. C’est eux qui doivent notamment déblayer les murs de terre et les containers accumulés aux deux entrées de l’avenue et marquant les lignes de front de la guerre.
Plusieurs femmes habitant juste au bord du Ring, qui avaient descendu pour l’occasion un plateau de tasses de café, avouaient leur stupéfaction : “nous avons vécu ici pendant toute la guerre et depuis des années nous ne pouvions entrer et sortir de la maison que par derrière, c’est à peine croyable”.
Le bulldozer arrachait aussi les arbres qui, même au milieu du pont, ont envahi la chaussée. Demain, après l’inauguration, le Ring retrouvera ses embouteillages.
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Jeudi 30 septembre
Liban
Urgent
Le président Gemayel annonce la réunification de Beyrouth
Beyrouth, 30 septembre (11h10) – le président de la république libanaise M. Amine Gemayel a annoncé officiellement jeudi matin que “Beyrouth est redevenue la capitale de tout le Liban, une même capitale, une même ville, une seule ville”.
Au cours d’une cérémonie organisée au passage du Musée, à la limite entre les deux anciens secteurs de Beyrouth, le président a parcouru à pied tout le passage dans les deux sens en passant en revue des détachements libanais et des trois contingents de la Force multinationale.
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Liban
La réunification de Beyrouth
Beyrouth, 30 septembre (12h45) – Avec l’inauguration par le président du Passage du Musée, celle, par le premier ministre, du Ring, et le déploiement des parachutistes français dans l’ancien secteur est, Beyrouth a été réunifiée jeudi après une division qui a duré huit années.
C’est à l’automne 1975, en pleine guerre civile, que les camps alors appelés palestino-progressistes et chrétiens-conservateurs avaient stabilisé leurs positions respectives le long d’une ligne qui partait du port et descendait vers l’hippodrome au sud, se prolongeant ensuite dans la banlieue.
Après la fin des combats en 1976, la ligne de démarcation était restée et un no man’s land s’était constitué autour de l’ancien centre ville en ruines. Au cours des sept années successives, le passage entre Beyrouth-est et Beyrouth-ouest se faisait exclusivement par quatre points, alternativement fermés puis rouverts selon la conjoncture : au nord le port, puis le Ring Fouad Chehab condamné depuis 1978, Sodeco fermé depuis un an et le Musée (national), qui a été le plus souvent ouvert même au cours du blocus israélien de Beyrouth-ouest.
A la faveur du déploiement de la Force multinationale, le nouveau chef de l’Etat, le président Amine Gemayel, a décidé que Beyrouth allait « tourner la page ».
L’opération, qui s’est déroulée en plusieurs phases jeudi matin, a d’abord exigé une longue préparation. L’armée libanaise, qui s’était déployée ces deux dernières semaines le long de la ligne de démarcation, sur les positions remises par les organisations du Mouvement national, a effectué un long travail de déminage dans ce dédale de ruelles aux murs éboulés, obstruées par des barrages en terre minés sur lesquels la terre avait poussé.
Lors de la première Force multinationale d’interposition, les soldats français du génie avaient effectué les premiers sondages, les premiers déminages, et avaient eu deux blessés dans cette zone.
Depuis leur retour la semaine dernière, les spécialistes du 17e régiment du génie parachutiste ont repris leur travail et mercredi ils ont notamment dégagé tout le passage du Ring et ses abords, suivis par quelques civils habitant autour qui n’en revenaient pas de pouvoir enfin pénétrer dans ce périmètre interdit.
De leur côté, les soldats libanais ont travaillé jusque dans la nuit de mercredi à jeudi pour terminer le ré asphaltage de l’avenue du Musée, dont la chaussée avait été arrachée cet été lorsque les milices présentes avaient miné le passage. Jeudi matin, alors que des ouvriers balayaient le terre-plein central, les soldats de la Force multinationale sont venus se mettre en place sur un macadam qui n’était même pas sec.
Pour annoncer la « réunification de Beyrouth, capitale unique de tout le Liban », le président Amine Gemayel avait choisi cet endroit symbolique, devant la façade du Musée national ravagée par les éclats et les tirs de toutes sortes.
Au moment même où il annonçait la réouverture de “toutes les artères principales” entre les deux anciens secteurs de Beyrouth, les parachutistes français faisaient disparaître la ligne de démarcation en se déployant à l’est. Ce déploiement devait se terminer à midi (10 H GMT), heure prévue pour le déploiement général de toutes les unités de la Force multinationale dans Beyrouth et sa banlieue.
A midi enfin, le premier ministre du gouvernement démissionnaire, M. Chafic Wazzan, inaugurait le passage du Ring d’ouest en est, après que le chef de l’Etat eut franchi le Musée d’est en ouest, consolidant ainsi la réunification.
Au milieu d’un service d’ordre cette fois principalement libanais, et dans un paysage lunaire car le pont de l’avenue Fouad Chehab passe au-dessus du centre ville, M. Wazzan a parcouru ce passage où, pour la première fois, des habitants de l’est ont rejoint, à pied, des habitants de l’ouest de ce quartier. Au-dessus, des avion survolaient la capitale, inaugurant la réouverture de l’aéroport.
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Liban-Force
Difficultés dans le déploiement à Beyrouth-est
Beyrouth, 30 septembre (17h14) – Malgré l’annonce jeudi matin de la réunification officielle des deux secteurs de Beyrouth, le contingent français de la Force multinationale et l’armée libanaise ont eu des difficultés dans le déploiement prévu à Beyrouth-est, jeudi après-midi.
Conviée à une opération de déploiement “spectaculaire” depuis le passage du Ring Fouad Chehab, déblayé mercredi et ouvert jeudi officiellement, vers le quartier de Tabaris à Achrafieh, la presse a pu constater que les Français ont eu des problèmes à commencer leur véritable déploiement et que l’armée libanaise, qui devait les suivre, est restée derrière le carrefour sortant du Ring pour finalement reculer de cet mètres en arrière vers Beyrouth-ouest.
Prévue pour le début de l’après-midi, avec la participation d’environ trois compagnies de parachutistes et de fusiliers-marins français, équipés de Véhicules de l’avant blindés et de jeeps, l’opération n’avait pas commencé à 16h30 (14h30 GMT). Les officiers français en étaient encore à discuter informellement avec le responsable du secteur, un capitaine des Forces libanaises (milices chrétiennes) venu en civil expliquer que son état-major ne souhaitait pas les mêmes contrôles qu’à l’ouest, ni même une trop large implantation des Français.
Ce responsable a expliqué aux officiers français qu’ils ne pouvaient pas entrer dans son secteur et se déployer comme ils le voulaient, mais sur certaines positions seulement. Les militaires français avaient déjà effectué des patrouilles, avec deux blindés, jusqu’au cœur d’Achrafieh mais n’avaient pas encore installé leurs positions.
Quant à l’armée libanaise, dont un blindé M113 et une jeep stationnaient à l’ouest du carrefour où se déroulaient ces discussions, elle n’a pas franchi ce carrefour, au milieu duquel stationnait une land-rover avec un milicien en uniforme des Forces libanaises, et elle a même retiré le poste de contrôle qu’elle venait d’installer.
Un compromis semblait en voie d’être atteint, lorsque le responsable de zone s’est engagé à déblayer un barrage de fûts remplis de sable dans une rue latérale, à la demande des Français. “Ce soir ce sera fait”, a-t-il répondu.
Le quartier d’Achrafieh est désormais le seul de toute la capitale où l’armée libanaise n’est pas déployée et n’assure pas de contrôles, à l’exception d’une zone étroite bordant l’ancienne ligne de démarcation.
Pour une fois je m’autocensure : je n’ai pas osé écrire que le peloton de blindés libanais qui devait se déployer à Achrafieh est arrivé… par l’est (ci-contre à gauche), par Achrafieh, avant de se mettre en position à l’ouest du carrefour.
Je l’ai fait non par crainte, mais parce qu’une telle situation est impossible à faire comprendre si on n’est pas sur place. Au mieux, la rédaction à Paris aurait remplacé « est » par « ouest », en pensant que j’avais fait un lapsus.
Les militaires français qui devaient couvrir l’opération n’y comprenaient pas grand-chose non plus. Le capitaine de la milice du quartier venu palabrer, un fort en gueule, était vraisemblablement chargé de délivrer un message. Toujours est-il qu’il a été désavoué un peu plus tard par le porte-parole des Forces libanaises, une fois le message passé. Les Français ont pu se déployer un peu plus tard, mais je doute qu’ils établissent des barrages avec contrôle au cœur d’Achrafieh…
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Liban
Beyrouth “presque” réunifiée
Beyrouth, 30 septembre (18h30) – Réunifiée officiellement jeudi matin par décision du président Amine Gemayel, Beyrouth n’avait pas encore résolu jeudi soir une de ses contradictions : la persistance d’une milice armée dans le quartier chrétien d’Achrafieh, l’ancien Beyrouth-est.
Alors que Beyrouth-ouest et sa banlieue, désormais totalement désarmés de toutes les milices et groupes armés qui foisonnaient il y an encore un mois, semblent aujourd’hui normalisés avec la seule présence de l’armée libanaise, soutenue par la Force multinationale, Achrafieh n’a toujours pas désarmé : l’armée n’y circule pas et les miliciens des Forces libanaises (milices chrétiennes unifiées) y circulaient encore jeudi soir, patrouillant en armes, en particulier sur la corniche du fleuve qui contourne Achrafieh par le nord-est.
Jeudi matin, en inaugurant lui-même le passage du Ring et celui du Musée, puis l’aéroport enfin rouvert, le chef de l’Etat avait solennellement déclaré qu’il n’y avait “plus de Beyrouth-est ni de Beyrouth-ouest”. Passant en revue les détachements de la Force multinationale et ceux de l’armée libanaise et des gendarmes (FSI), il avait rendu hommage à la seule force armée, celle de la légalité. Mais la réalité est encore un peu différente.
Pour l’opération de déploiement de la légalité libanaise à Beyrouth-est, le chef de l’Etat s’est adressé au contingent français de la Force multinationale, dont les Paras ont voulu se déployer en début d’après-midi dans le secteur de Tabaris, à l’entrée d’Achrafieh. Derrière eux devait venir l’armée libanaise, qui aurait ainsi pris contrôle progressivement de cette zone.
Sur place, les militaires français ont cependant trouvé un obstacle inattendu avec la présence de responsables des Forces libanaise venus examiner les modalités de ce déploiement et exprimer leurs points de désaccord. Contestant notamment le droit d’établir des postes de contrôle, ils ont ainsi – directement ou indirectement – obtenu que l’armée libanaise enlève le barrage qu’elle venait d’installer, les unités libanaises ont dû reculer de cent mètres vers l’ouest.
Un compromis semble avait été trouvé en fin d’après-midi ; les parachutistes français, suivis d’unités libanaises, avaient repris leur progression dans un axe de Tabaris parallèle à l’avenue Fouad Chehab où ils avaient été arrêtés.
Selon les responsables français, le déploiement pourra se faire à Achrafieh. Il sera sans doute beaucoup plus long que prévu, entrecoupé de négociations avec les milices.
A part cet incident de parcours, la normalisation de Beyrouth et de sa banlieue continue à se réaliser. Jeudi, les Marines américains ont terminé de débarquer et leurs effectifs s’élèvent à 1.200. ils ont effectué dans l’après-midi sur la plage de l’aéroport, préalablement déminée, le débarquement d’une importante quantité de matériel lourd, en particulier des blindés et des véhicules amphibies.
La force américaine, comme les contingents italien et français, ont donc officiellement, et à quelques positions près, terminé leur premier déploiement, celui-ci restant modifiable au gré des demandes du président libanais.
De leur côté les Libanais ont enfin retrouvé l’usage de leur aéroport où plusieurs avions ont pu atterrir après 115 jours de fermeture. Beaucoup de Beyrouthins enfin ont profité de la réouverture de tous les points de passage pour traverser la capitale ou, comme certains, faire du tourisme dans l’ancien centre ville en ruines, devenu un immense jardin.
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Liban-Force
Mise au point des Forces libanaises au sujet du déploiement de la Force multinationale
Beyrouth, 30 septembre (19h34) – Le bureau d’information militaire des Forces libanaises (milices chrétiennes unifiées) a publié jeudi soir une mise au point sur l’incident qui a entravé le déploiement dans l’après-midi des soldats français et libanais dans le quartier de Tabaris à Achrafieh, qualifiant cet incident “d’isolé”.
“Le contingent français de la Force multinationale ainsi que l’armée libanaise se sont déployés dans la région de Tabaris en exécution des ordres reçus par le gouvernement libanais”, affirme ce communiqué, qui ajoute : “l’incident qui a été cité par certaines agences de presse est un incident isolé, mineur, résultant d’une discussion entre des officiers de la Force multinationale et un individu en civil agissant sur sa propre initiative”.
“Les Forces libanaises tiennent à souligner à cette occasion que le déploiement de la Force multinationale et des unités de l’armée libanaise dépend des seuls ordres du gouvernement libanais”.
Jeudi après-midi, rappelle-t-on, un individu affirmant être un officier des Forces libanaises avait empêché pendant plusieurs heures, “au nom de son état-major”, le déploiement des parachutistes français et de l’armée libanaise dans ce quartier de l’ancien Beyrouth-est.
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Vendredi 1er octobre
Liban-massacre
Un quotidien libanais demande la destruction des camps de réfugiés
Beyrouth, 1er octobre (08h34) – Le quotidien libanais Le Réveil (phalangiste) demande vendredi dans son éditorial que “la conclusion à toutes les enquêtes” soit qu’il “faut détruire les camps palestiniens”.
Cela, ajoute le quotidien, est nécessaire “pour la dignité des réfugiés eux-mêmes et leur sécurité, pour la paix du Liban et la sécurité des Libanais, pour que l’enfer vécu en huit ans soit bien fini”.
Le journal, qui évoquait la veille l’enquête en cours sur ce massacre en parlant des “incidents survenus dans les camps de Sabra et Chatila”, estime vendredi que “les présumés ‘coupables’ quels qu’ils soient ne se dévoileront pas facilement après le tollé universel techniquement bien orchestré dans le monde occidental”, et que “les seuls témoins possiblement audibles risquent d’être les ‘survivants’ des camps avec ce qu’on peut leur supposer de haine réduisant à néant la valeur de leurs dires”.
“Rien ne dit d’ailleurs, poursuit ce quotidien, qu’il se soit agi de ‘massacres’ et non de batailles dans des camps que l’armée libanaise, empêchée par une persistante politique lâche et stupide, n’avait pas voulu nettoyer conformément aux accords conclus sous les auspices de M. Habib”.
Evoquant longuement tous les “crimes de guerre” commis par les Palestiniens au Liban, Le Réveil conclut, en se fondant sur “le danger de la réédification d’une force politique représentée par tant de réfugiés” : “c’est trop demander aux Libanais que de les inviter à tolérer la survivance ou la reconstruction de tels camps”.
Le problème de la reconstruction des camps est actuellement aigu dans la mesure où, d’une part, l’armée libanaise a rasé la partie sinistrée des camps dont les maisons avaient été plastiquées par les miliciens, et d’autre part Israël a “interdit” la reconstruction d’habitations en dur, exigeant que les réfugiés soient logés sous des tentes en toile.
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Je me sens de plus en plus mal. Cet édito du Réveil vient illustrer ce que pensent beaucoup de Libanais : les Palestiniens, c’est terminé. Arrêtons de parler d’eux, l’OLP est partie, maintenant il faut s’occuper des Libanais. Une amie, qui s’étonnait de me voir retourner plusieurs jours de suite enquêter à Chatila, me disait : “mais pourquoi t’intéresses-tu à ça ? C’est fini, et ce n’est pas le premier massacre qu’il y a eu au Liban. L’un des premiers était celui de Damour par les Palestiniens, alors, tu vois !”
Perte des valeurs, des repères moraux ? L’Histoire tourne, jour après jour. Les morts ne reviendront pas, la cicatrice restera profonde et douloureuse pour les survivants, mais la vie reprend son cours, même s’il est différent. Les camps sont nettoyés, d’autres réfugiés ont remplacé ceux qui ont disparu ou sont partis, des abris de fortune sont élevés à la hâte car l’automne arrive.
Les réfugiés palestiniens en tous cas se font discrets. C’est une nouvelle page de l’histoire du Liban qui commence, une page où les Palestiniens n’ont plus leur place : ils sont partis pour une nouvelle émigration, grossissant les rangs de leur diaspora. Fin de l’épisode. Il est temps pour moi de passer à autre chose, je suis certain que le Liban n’a rien réglé de ses problèmes et que d’autres surgiront, d’autres problèmes et d’autres milices, dans une sarabande infernale toujours recommencée… Inutile d’attendre la fin de l’histoire, il n’y en a pas !
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Liban
Beyrouth est entré dans l’après-guerre
Beyrouth, 1er octobre (15h24) – Vendredi matin, un motard de la police libanaise arrête sa Harley-Davidson, rue Hamra, béquille la moto et va poser une contravention sur le pare-brise d’une voiture : Beyrouth vient d’entrer dans l’après-guerre.
La principale rue commerçante de cette partie de la capitale autrefois appelée Beyrouth-ouest était, il y a deux semaines à peine, le théâtre d’une bataille de chars. Venant du bord de mer et de l’ambassade de France, les chars lords israéliens Merkava avaient pris la rue Hamra dans l’enfilade de leurs tirs, brisant les vitrines, arrachant les stores et abattant quelques arbres au milieu de la chaussée.
Jeudi, dans le concert enfin retrouvé des klaxons inaugurant les embouteillages, personne ne prêtait plus attention aux quatre parachutistes français qui, l’air farouche et le fusil d’assaut prêt à intervenir, surveillaient le carrefour du Wimpy où un soldat israélien a été abattu la semaine dernière à la terrasse d’un café.
Enfoncés dans un recoin d’immeuble, les soldats de la Force multinationale étaient devenus totalement invisibles pour la foule pressée, l’agitation fébrile du quartier d’affaires régnant partout. Soldes spectaculaires, liquidation de stocks, les commerces de vêtements et de chaussures casent les prix pour le redémarrage, un vent d’optimisme souffle sur les bureaux de change.
Devantures repeintes, décorations refaites, enseignes réparées à grands coups de marteau, on sent que pour tous il n’y a pas un instant à perdre : il faut rattraper le temps perdu. Par moments, un bruit familier longtemps oublié recouvre le fracas des embouteillages : les avions décollent et atterrissent sans désemparer, survolant la capitale à basse altitude comme au bon temps de la prospérité, “avant la guerre”.
Comme ils l’ont annoncé depuis quelques jours par des placards dans les journaux, les consulats et les ambassades qui aveint soit fermé, soit transféré leurs bureaux en dehors de Beyrouth-ouest, ont rouvert leurs portes. L’ambassade d’Italie, trouée par un obus de char lors de l’entrée des Israéliens, a été réparée et repeinte de neuf. Nombre de Libanais qui attendaient de partir en voyage recommencent à faire la file pour obtenir des visas, tandis que les bureaux des compagnies d’aviation sont littéralement pris d’assaut. La guerre est vraiment oubliée.
A Achrafieh, l’incertitude de jeudi a été dissipée et l’armée libanaise a pu entamer son lent déploiement derrière les parachutistes français. Désormais, les deux tours d’où l’on s’interpellait à coups de canons, la tour Murr à l’ouest et la tour Rizk à l’est, sont aux mains de la légalité.
Dans les camps enfin, rien n’est résolu pour les sans-abri et on dégage encore de nouveaux cadavres mutilés. Mais les camps sont loin et, avec les désinfectants, l’odeur de la mort ne dérange plus personne.
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Samedi 2 octobre
Liban
L’armée se déploie lentement mais sûrement
Beyrouth, 2 octobre (16h41) – Alors que les dernières tractations se poursuivent pour le choix du premier ministre qui sera annoncé en principe lundi, l’armée libanaise a poursuivi samedi son déploiement lent mais déterminé, avec le soutien actif de la Force multinationale.
Ce déploiement, et les problèmes de sécurité en général, sont prioritaires dans l’esprit du nouveau chef de l’Etat le président Amine Gemayel et le nouveau gouvernement, croit-on savoir de bonne source, pourrait n’être qu’un cabinet de transition pour six mois au plus. Un tel gouvernement serait chargé de régler les problèmes du retrait des forces armées étrangères du Liban, de la libanisation de la sécurité après le départ de la Force multinationale, puis de la sûreté du citoyen par l’imposition à tous du monopole de la force armée à l’Etat.
Ce n’est que dans un deuxième temps, après l’accomplissement de ces tâches préliminaires mais essentielles, qu’un véritable gouvernement d’union nationale sera formé et chargé de la reconstruction politique du pays.
Dans l’immédiat, l’armée libanaise poursuit son déploiement dans Beyrouth et sa banlieue en évitant tout incident, dans un terrain miné au propre comme au figuré. Après un retrait prudent jeudi soir, en raison d’un “malentendu” avec des milices du quartier de Tabaris, à l’entrée d’Achrafieh, l’armée libanaise a occupé sans problème vendredi un certain nombre de points dans ce quartier, accompagnée par les parachutistes français.
Samedi, aucun incident n’avait été signalé et des miliciens des Forces libanaises en armes circulaient dans les rues de l’ancien centre-ville avec des soldats libanais et des parachutistes français, occupés par le difficile travail du déminage.
Ce quartier, rouvert au public depuis 48 heures, est encore en partie dangereux et une mine a explosé samedi au cours des recherches. Les miliciens pourraient contribuer à ce travail en donnant notamment des indications sur l’emplacement des mines dans leur dispositif. La cohabitation de ces différents éléments armés semblait se faire sans problème.
Le déploiement de l’armée libanaise dans la totalité d’Achrafieh et le problème de cohabitation qui se posera alors avec les Forces libanaises sont pour l’instant différés. Dans la zone où elle était déjà présente à Achrafieh, l’armée libanaise n’effectue ni ramassage d’armes, ni contrôle des éléments armés : dans l’immédiat, et avec le contingent français, elle a réussi à faire accepter sa présence.
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Le déploiement de l’armée libanaise se fait lentement, mais méthodiquement. Démilitarisation, neutralisation, nettoyage.
En descendant avec Marie-Hélène la corniche vers le Bain militaire, avec la chaussée éventrée, nous voyons un groupe de militaires libanais qui avancent prudemment.
En les croisant nous nous rendons compte que ce sont des démineurs, qui sondent la chaussée pour voir s’il ne reste pas des mines : tout a été piégé partout pour retarder l’avancée des Israéliens. Heureusement nous avons joué à marcher en équilibre sur la pierre d’arrête du trottoir : il faut savoir rester jeune et jouer à bon escient !
Ailleurs le déminage est politique. Des camions stationnent et on y fait monter les suspects, que la police militaire va chercher chez eux. Ambiance lourde, cette armée restée absente pendant ces dernières semaines troublées apparaît pour faire son “marché” à Beyrouth-ouest, terminant avec les organisations et milices de la gauche libanaise le travail que les Israéliens ont effectué avec les milices palestiniennes.
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Dimanche 3 octobre
Liban-offensive
Urgent ¤ ¤ ¤ ¤
Les Israéliens installent une position au sud des pistes de l’aéroport
Beyrouth, 3 octobre (18h25) – L’armée israélienne a installé dimanche après-midi une position avec trois chars lourds Merkava dans l’alignement sud de la piste de l’aéroport international de Beyrouth au nord du carrefour de Khaldé.
Des journalistes qui étaient passés dans la matinée sur la route du littoral sans rencontrer aucune position israélienne jusqu’à 4 km au sud de Khaldé, ont constaté à leur retour que les Israéliens avaient remonté des chars au nord du carrefour de Khaldé, s’installant à deux cent mètres des premières positions du contingent américain de la Force multinationale.
Deux blindés M113 sont postés en-dessous des trois chars, sur le bord de la route, comme pour établir un check-point sur la route du littoral.
Simultanément, l’armée israélienne effectuait en fin d’après-midi un mouvement en direction du sud : des camions transportant du matériel descendaient de la route de Choueifate (banlieue sud-est de Beyrouth) et, plus bas sur le littoral, à la hauteur de Damour, des plates-formes étaient chargées de blindés M-113 et l’une d’elles partait en direction du sud.
Le déploiement de blindés au sud des pistes de l’aéroport, installés dans une tranchée creusée au bulldozer, pourrait servir à protéger le carrefour de Khaldé, permettant ainsi le passage de convois provenant de l’est et du nord de la capitale.
Les observateurs remarquent que c’est la première fois depuis leur retrait de l’aéroport le 29 septembre que les Israéliens s’en rapprochent autant. Leur évacuation de la zone de l’aéroport avait été l’une des conditions posées par les Américains pour débarquer à Beyrouth.
Les Israéliens avaient de leur côté accepté de se retirer tout en maintenant leur exigence de pouvoir utiliser une des pistes d’atterrissage en cas “d’urgence médicale”.
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Liban-Israël
Urgent ¤ ¤ ¤ ¤
Sept Israéliens tués et quinze blessés, selon la télévision libanaise
Beyrouth, 3 octobre (19h45) – Sept soldats israéliens ont été tués et quinze autres blessés dans l’attentat d’Aley (15 km à l’est de Beyrouth), annonce dimanche soir la télévision libanaise (officielle), citant des sources militaires israéliennes. Selon la télévision, un autobus et un char israélien ont été attaqués à la roquette dimanche en début d’après-midi.
Des témoins précisent par ailleurs que la route Damas-Beyrouth a été fermée à la hauteur de Sofar à la suite de cet attentat. Les soldats israéliens ont indiqué qu’ils procédaient à une fouille systématique de la région.
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Lundi 4 octobre
Liban-Force
Les soldats italiens, fiers de leur mission
Beyrouth, 4 octobre (09h15) – Paolo, dix-neuf ans, volontaire pour venir à Beyrouth, est fier de servir dans les Bersaglieri italiens de la Force multinationale au Liban.
“Quand le premier contingent de la Force multinationale est parti pour le Liban, je n’étais dans l’armée que depuis trois semaines et ne pouvais pas partir avec mes camarades”, explique-t-il.
Ce régiment de Bersaglieri a en effet participé au premier contingent italien du 21 août au 13 septembre, assurant notamment la protection des convois de combattants palestiniens et syriens évacués depuis Beyrouth jusqu’à la frontière syrienne.
“J’étais volontaire parce qu’il fallait faire quelque chose pour le Liban et la satisfaction des gens ici me prouve que notre présence est encore nécessaire”, ajoute Paolo, qui porte le fez en feutre mou orné d’un gland bleu, de l’uniforme des Bersaglieri.
Dans le camp de tentes autour de l’école Rawda où est installé le régiment, au sud de la zone des camps palestiniens, Paolo est assis avec plusieurs camarades, en train de se reposer ou de faire du courrier. L’un d’eux intervient : “moi, j’ai dit à ma famille que je partais au Liban pour aider ce pays et son peuple, ils ont trouvé ça très bien”.
Un troisième, également très jeune, lance en rougissant : “moi, je n’ai rien dit à ma famille, parce que je suis assez grand pour aller où je veux sans leur demander”. Eclat de rire général.
“Chez les Bersaglieri, le moral est très élevé ; c’est le cas aussi dans le bataillon parachutiste Folgore et chez les fusiliers-marins du San Marco, en tout mille soldats”, précise le colonel Franco Angioni, chef du contingent. “Les plus satisfaits, poursuit-il, sont ceux qui sont déployés à l’intérieur et autour des camps de réfugiés car ils constatent eux-mêmes le caractère humanitaire de leur mission. Ils reçoivent d’innombrables témoignages de sympathie des réfugiés palestiniens aussi bien que de la population libanaise”.
“Depuis une semaine que nous sommes là, raconte un parachutiste en faction à l’entrée du camp de Chatila, les gens ont appris quelques mots d’italien pour nous saluer : ciao, buongiorno, spaghetti et Paolo Rossi” (le nom d’un célèbre avant-centre de l’équipe italienne de football).
D’autres réfugiés parlent aux Italiens par gestes, par sourires, parfois avec quelques mots de français ou d’anglais. Le contact est quotidien : outre les problèmes de sécurité, les soldats italiens ont une mission de protection des populations qui fait venir à eux de nombreux civils.
Déployés d’abord à la périphérie des camps de Chatila et Bourj al-Barajneh avec leurs blindés M113, les soldats italiens ont ensuite mis en place des contrôles de véhicules, aux côtés de l’armée libanaise.
“C’est un travail très intensif, que nous avions appris lors de notre premier séjour ici”, dit un Bersagliere. Il était alors en position au passage de la Galerie Semaan, dans la banlieue sud-est, entre Beyrouth-ouest et les premières lignes israéliennes. Pour lui comme pour la plupart de ses camarades qui n’ont jamais eu ce genre d’expérience à l’étranger, le premier séjour à Beyrouth leur a beaucoup appris et a facilité la mise en place pour le second.
“En fait, remarque un sous-officier, nos bateaux étaient à peine arrivés en Italie que nous repartions déjà. Nous avions déchargé les blindés le dimanche, et le mardi suivant nous avons tout rembarqué”.
Cette fois, leur tâche est beaucoup plus diversifiée. Ils font de la protection, de la surveillance, du déminage et aident l’armée libanaise, prêts à intervenir si elle est menacée. “Nous pouvons répondre au feu soit pour nous défendre, soit pour soutenir des unités libanaises qui seraient attaquées”, explique le chef du contingent.
Enfin la mission dont ils sont le plus fiers est l’aide sanitaire qu’ils donnent à une population sinistrée : quelques ambulances italiennes fonctionnent comme dispensaires ambulants dans le camp de Sabra-Chatila, où les hôpitaux palestiniens n’ont pas encore repris leur activité normale. Une autre, placée au quartier général près de l’ancienne ambassade d’Italie au rond-point de l’aéroport, fait office de cabinet dentaire et les réfugiés ont vite appris le chemin pour s’y rendre.
Dans certains cas, enfin, les Italiens assurent une évacuation sanitaire vers les hôpitaux de Beyrouth : samedi, un médecin militaire italien a permis à une habitante de Bourj el-Barajneh, sur le point d’accoucher, d’être transportée jusqu’à un grand hôpital de Beyrouth. “Grâce à nous, son fils est né sans problème”, conclut le colonel Angioni avec un grand sourire.
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Liban-Israël
Mouvements israéliens vers le sud
Beyrouth, 4 octobre (..) – D’intenses mouvements de véhicules militaires israéliens ont été enregistrés dimanche de Beyrouth en direction du sud et lundi matin les Israéliens n’avaient plus aucune position fixe entre le carrefour de Khaldé (sud de Beyrouth) et la ville de Saida, indiquent des témoins.
Dans l’après-midi de dimanche, plusieurs voyageurs ont vu entre 25 et 30 transports de troupes blindés M113 chargés sur des porte-chars et acheminés vers le sud, en provenance de Beyrouth.
Dans la soirée, d’autres témoignages font état de déplacement de M113 en provenance de la route de Choueifate (est de l’aéroport), toujours vers le sud.
Ce mouvement important pourrait correspondre à un allégement ou un retrait du dispositif encore présent autour de la capitale, là où la Force multinationale n’est pas encore déployée. Les observateurs remarquent cependant que ce mouvement a commencé avant l’attentat qui a fait six morts et une vingtaine de blessés israéliens à Aley (montagne à 15 km à l’est de Beyrouth)n et qui pourrait le remettre en cause.
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Liban
Vers un second Plan Habib
Beyrouth, 4 octobre (16h28) – Malgré les démentis ou les silences embarrassés des différentes parties (Israël, Syrie, Palestiniens), le sentiment dominant à Beyrouth est que le Liban s’achemine vers un second plan Habib, arraché par l’infatigable négociateur américain qui bénéficie de tout le poids des Etats-Unis.
Alors qu’elle concerne l’évacuation des forces armées étrangères du Liban, donc les Libanais au premier chef, cette négociation est menée paradoxalement loin de B Beyrouth. Lundi, l’ambassadeur des Etats-Unis à Beyrouth M. Robert Dillon s’est rendu auprès du président Amine Gemayel en compagnie de M. Morris Draper, adjoint de Philip Habib, pour l’informer des discussions de ce dernier à Damas avec les dirigeants syriens.
M. Draper, qui se trouvait à Damas avec M. Habib, devait repartir dans l’après-midi pour Israël afin de reprendre la discussion sur ce problème avec les dirigeants israéliens. La semaine dernière, le premier ministre Menahem Begin avait expliqué à M. Habib que “le retrait des Fedayin” (palestiniens) était une condition préalable à tout accord sur un retrait simultané israélo-syrien. Au cours du week-end, les responsables syriens ont de leur côté affirmé à M. Habib qu’il n’était pas question de retirer les troupes syriennes du Liban avant le départ de tous les soldats israéliens de ce pays.
Dans la capitale libanaise, et malgré ces déclarations discordantes à Damas et à Jérusalem, l’ambiance est assez optimiste. Les responsables américains ont fait savoir aux dirigeants libanais que le principe était désormais acquis d’un retrait simultané des forces en présence, le problème étant d’en dégager les modalités.
Ni Israël, ni la Syrie ne peuvent en effet accepter de faire le premier pas en laissant l’autre en position de force au Liban. La Syrie a donné il y a presque un mois l’assurance qu’elle était prête à évacuer ses troupes dans les prochains mois si le gouvernement libanais lui en faisait la demande – ce qu’il n’a encore jamais fait – et si on lui donnait des assurances que les Israéliens s’en iraient eux aussi.
Côté israélien, les responsables ont longuement expliqué au négociateur américain qu’ils ne pouvaient envisager un retrait “simultané” israélo-syrien qui n’engloberait pas les combattants palestiniens, dont le nombre s’est accru depuis un mois dans la Bekaa et au nord-Liban. La réponse de Damas à cette question, transmise par M. Habib, est que les Syriens ne peuvent prendre d’engagement pour les Palestiniens car ils considèrent l’OLP comme souveraine.
Ce qui ressort de ce dialogue de sourds est que derrière une acceptation de principe du retrait, chacun veut gagner du temps. Pour l’évacuation de Beyrouth, l’accord avait été acquis début juillet, mais les modalités pratiques – le premier plan Habib – à la mi-août seulement.
Plusieurs hypothèses ont été avancées par la presse libanais sur ces modalités pratiques, dont un retrait “par étapes” qui sauverait la face de tous et permettrait à l’armée libanaise de se déployer progressivement, éventuellement avec le concours d’une force multinationale renforcée en effectifs.
Ainsi dans un premier temps les Israéliens pourraient se regrouper au sud de la rivière Aouali (à la hauteur de Saïda) et les Syriens de la Bekaa vers le nord de cete plaine, dans le Hermel, dégageant une zone-tampon intermédiaire.
Même dans cette perspective, cependant, on voit mal comment un nouveau plan Habib pourrait être assuré de succès en ignorant totalement l’OLP. Les combattants palestiniens – 6 à 7.000 selon les Israéliens pour la seule Bekaa – n’ont pas l’intention de partir en se laissant une nouvelle fois désarmer. Pour obtenir le retrait des combattants de l’OLP il faudra alors que M. Habib, par une partie libanaise interposée, négocie directement avec ses dirigeants : telle est peut-être m’ambition de ceux-ci, prêts à de nouveaux combats pour déboucher sur une nouvelle reconnaissance politique, même s’il doit leur en coûter sur le terrain.
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Liban
Un gouvernement d’action pour les problèmes de sécurité
Beyrouth, 4 octobre (15h14) – Le premier ministre nommé lundi par le président Amine Gemayel, et qui était chef du précédent gouvernement, M. Chafic Wazzan, a déclaré en annonçant son acceptation que ce serait un gouvernement “d’action pour le salut public”.
Comme l’avait laissé entendre la presse libanaise, ce cabinet – dont la composition sera annoncée mardi – est transitoire, le chef de l’Etat ayant choisi avant toute reconstruction politique de mener à bien les priorités en matière de sécurité avec celui-là même qui, depuis quatre mois, a le plus contribué à normaliser la situation à Beyrouth.
Chef du gouvernement depuis deux ans, M. Wazzan a, de l’avis général, donné la pleine mesure de ses capacités au cours des quatre derniers mois en contribuant, avec le président Sarkis, à préserver la légalité et à maintenir la cohésion d’une équipe gouvernementale physiquement divisée par l’invasion israélienne et le blocus de Beyrouth.
M. Wazzan avait en particulier au mois d’août, au moment le plus dur du blocus imposé par l’armée israélienne à Beyrouth-ouest, contribué à alléger cette pression en restant à Beyrouth-ouest par solidarité avec la population et en bloquant ainsi la poursuite des négociations entre les différentes parties en présence avec le négociateur américain Philip Habib.
Accepté et estimé par toutes les parties à ces négociations, il avait ensuite personnellement contribué au succès de ce qui fut appelé le « plan Habib » pour l’évacuation des combattants palestiniens et syriens. Jetant tout le poids de son gouvernement dans la mise en œuvre de ce plan, il avait cependant regretté le départ “prématuré” de la première Force multinationale, redoutant à juste titre que le vide laissé par ce départ serait déstabilisateur.
Condamnant l’entrée de l’armée israélienne à Beyrouth-ouest, il était cependant resté le trait d’union entre les deux secteurs de Beyrouth et entre toutes les parties libanaises, de même qu’il avait assuré pendant tous ces mois de guerre la liaison physique entre Beyrouth-ouest et le palais présidentiel de Baabda, dans la banlieue sud-est.
M. Wazzan, qui a donc participé à toutes les discussions pour le retour et le déploiement du deuxième contingent international, était le mieux à même de suivre les problèmes de la sécurité, autant par sa connaissance des problèmes internes en tant que ministre de l’intérieur, que par ses liens personnels avec les responsables étrangers, de M. Habib aux ambassadeurs des Etats-Unis, de France et d’Italie.
En inaugurant le 30 septembre dernier le passage du Musée où il a annoncé la réunification de Beyrouth, le nouveau chef de l’Etat, M. Amine Gemayel, avait rendu un hommage remarqué aux “efforts déployés par le président Sarkis et son premier ministre Chafic Wazzan” dans ce sens.
Par ailleurs, dans son discours d’investiture le 23 septembre, le président Gemayel avait exposé ses priorités : “unité nationale, intégrité territoriale, départ des armées étrangères, rétablissement d’une administration au service du peuple”. La tâche pour laquelle M. Wazzan a été invité à rester à son poste est donc de poursuivre les négociations pour un nouveau plan Habib, concernant cette fois le reste du Liban, en mettant à profit la présence de la Force multinationale.
C’est sans doute après la formation de sa nouvelle équipe, qui pourrait comprendre des militaires ou des techniciens de la sécurité, que M. Wazzan s’attaquera en premier lieu au problème du déploiement de la légalité dans toute la région de Beyrouth, ayant lui-même participé à l’élaboration, avec le président Gemayel, du plan de sécurité du Grand Beyrouth qui sera la test du rétablissement de la souveraineté par l’éloignement de toutes les forces armées, étrangères ou intérieures, qui ne sont pas celles de l’Etat.
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Mercredi 6 octobre
Liban
Avant l’expiration du mandat de la FINUL
Beyrouth, 6 octobre (11h13) – Alors que le mandat de la Force intérimaire des Nations Unies au sud Liban (FINUL) expire le 19 octobre prochain, les responsables libanais sont déterminés à demander un nouveau renouvellement, malgré toutes les critiques contre cette force et l’opposition d’Israël.
Créée en mars 1978, après l’invasion israélienne du sud-Liban, pour assurer le retrait des forces israéliennes et le rétablissement de la souveraineté libanaise jusqu’à la frontière internationale, la FINUL a en effet totalement échoué de ce point de vue-là. Non seulement elle n’a jamais puy raccompagner les Israéliens au-delà de la frontière, ceux-ci ayant constitué une bande frontalière qu’ils contrôlaient directement par les milices pro-israéliennes du commandant dissident Saad Haddad, mais elle a laissé passer la seconde invasion, en juin dernier, dans l’inertie la plus totale.
Si les responsables de la FINUL ont alors invoqué le fait que leur mission n’était pas de défendre le territoire libanais, n’en ayant pas les moyens matériels, mais d’assurer le maintien de la paix à l’intérieur de leur zone en évitant les incursions isolées, il leur a été reproché du côté libanais de ne même pas assurer un minimum d’informations sur les préparatifs, l’intervention et le déploiement de l’armée israélienne.
Selon certains informations recueillies de source occidentale, l’hypothèse d’une nouvelle invasion massive israélienne avait été envisagée au siège de l’ONU et les instructions données par New-York aux 7.000 casques bleus avaient été de ne pas tirer pour ne pas provoquer un inutile bain de sang, étant donné la disproportion des forces. Mais cette consigne secrète était connue des Israéliens et leur a permis de se déployer beaucoup plus commodément en traversant sans se gêner tout le dispositif de la FINUL, à part deux ou trois incidents isolés.
De leur côté, les Israéliens réclament aujourd’hui le départ de cette force en arguant du fait que son interposition n’est plus nécessaire, l’armée israélienne ayant à sa manière réglé pour longtemps le problème des infiltrations de combattants palestiniens.
Force-tampon sans raison d’être, la FINUL reste pourtant pour les autorités libanaises, et tant qu’il restera des forces étrangères sur leur sol, un élément essentiel dans leurs plans de rétablissement de la légalité sur tout le territoire. C’est cette même raison, explique-t-on dans les milieux informés à Beyrouth, qui a provoqué l’opposition d’Israël au maintien des casques bleus au sud-Liban.
C’est en effet dans la seule zone contrôlée par la FINUL que l’armée libanaise est présente au sud-Liban, au moment même où l’on parle en Israël de créer au ord de la frontière israélienne une zone de sécurité démilitarisée où seuls seraient admises les Force de sécurité intérieure (FSI – Gendarmerie libanaise).
Cette zone s’étendrait de la frontière jusqu’à Saida et l’armée israélienne y a déployé er renforcé depuis deux mois les milices de Saad Haddad. Précisément, selon les témoignages d’officiers de plusieurs contingents européens, la FINUL gêne à l’heure actuelle ce projet car elle continue, conformément à sa mission de police, à désarmer toutes les milices que les Israéliens essaient d’organiser et d’armer dans les villages de la zone FINUL. Grâce aux casques bleus, l’armée libanaise est restée la seule force armée libanaise dans leur secteur.
Le général irlandais William Callaghan, chef de la FINUL, est venu mardi à Beyrouth pour rencontrer le premier ministre Chafic Wazzan, le ministre sortant de la défense Joseph Skaff et le commandant en chef de l’armée libanaise le général Victor Khoury.
Aucune précision n’a été donnée sur ces entretiens, mais les observateurs estiment que les responsables libanais ont exprimé leur souhait d’un renouvellement et même d’un nouveau renforcement de la FINUL avant le départ mercredi du général Callaghan pour New-York, où il doit faire son rapport aux responsables de l’ONU avant le débat du Conseil de sécurité.
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La FINUL devrait s’écrire avec deux « i », pour « indéfiniment intérimaire ». Curieux destin que cette force tampon qui s’efface pour laisser passer l’armée israélienne lorsque celle-ci pénètre au Liban, comme elle en a la consigne. En attendant, la Force internationale est déjà prête à rembarquer, une nouvelle fois…
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Lundi 11 octobre
Liban-Palestiniens
Pas de retrait des combattants avant le départ des Israéliens et des garanties pour les étrangers, selon Nayef Hawatmeh
Damas, 11 octobre (AFP) – Les forces militaires palestiniennes “resteront dans la Bekaa et au nord-Liban jusqu’au départ des occupants (israéliens) et jusqu’à ce que soient garantis les intérêts des civils palestiniens par des engagements du gouvernement libanais, des pays arabes et des Nations Unies”, a affirmé lundi M. Nayef Hawatmeh.
Dans une interview donnée à Damas à l’envoyé spécial de l’AFP, le secrétaire général du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP – marxiste) a souligné la nécessité de telles garanties “pour qu’il n’y ait pas de nouveaux actes barbares et agressifs contre les camps de notre peuple, que ce soit de a part des soldats de l’ennemi, ou de l’armée libanaise sous la couverture de la force multinationale”.
Cette position palestinienne, a-t-il expliqué, repose sur “l’expérience amère que nous avons tirée des massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila”, à savoir “que les Israéliens entreront dans les camps du nord-Liban et de la Bekaa si nous les laissons sans protection armée, qu’il n’y a aucune garantie durable dans les engagements américains et israéliens concernant la sécurité et la non-pénétration dans les camps malgré les assurances écrites fournies à ce sujet par Philip Habib au nom de son gouvernement”.
“Notre expérience amère, a-t-il ajouté, nous indique que le gouvernement libanais lui non plus ne respecte pas ses engagements : il avait signé avec nous des accords sur la sécurité des camps et des institutions civiles (de l’OLP), puis après le départ de nos combattants de Beyrouth il a aidé les forces d’occupation et a rejeté la résolution des Nations Unies préconisant la création d’une commission internationale d’enquête sur les massacres. Enfin son armée est entrée dans les camps et a entrepris une affreuse campagne de fouilles et de perquisitions”.
Ces leçons, a affirmé le dirigeant du FDLP, sont établies par les faits eux-mêmes : “tant que les forces de la résistance palestinienne se sont battues elles ont obligé l’armée israélienne à piétiner devant Beyrouth pendant 75 jours (…) quand nos forces sont parties, la ville n’a pu tenir car les forces nationales (libanaises) étaient faibles et limitées, alors que les forces d’invasion sont entrées et se sont tout permis jusqu’à ces massacres”.
Interrogé sur l’attitude de a résistance palestinienne à l’égard des pays arabes “hôtes”, notamment ceux qui ont accueilli des combattants, M. Hawatmeh a dit qu’une des leçons de la bataille de Beyrouth est “que nous avons découvert quelle est la véritable position des régimes arabes, et nous n’avons aucune illusion là-dessus”.
Malgré cela, les palestiniens “luttent pour l’ouverture à leurs unités de toutes les frontières voisines ou limitrophes des territoires occupés, et nous nous y efforcerons quels que soient les obstacles dressés contre nous par les gouvernements arabes”.
“En ce qui nous concerne, a souligné le dirigeant du FDLP, nous demeurerons toujours opposés à toute action armée à l’extérieur des territoires palestiniens occupés, des territoires syriens occupés et des territoires libanais occupés”.
Interrogé enfin sur le fait que les principales manifestations populaires contre le blocus de Beyrouth et le massacre s’étaient produites en Israël et non pas dans les pays arabes, M. Hawatmeh a répondu que “dans les pays arabes, les libertés démocratiques sont confisquées et les peuples sont enchaînés et réprimés par une chaîne de lois et d’instruments policiers perfectionnés. Mais nous sommes sûrs que le séisme de la guerre au Liban aura des effets effroyables dans la région arabe”.
“En Israël en revanche, a-t-il reconnu, les manifestations indiquent que tout le sang versé ainsi que la protestation mondiale contre les massacres ont creusé un sillon dans la société israélienne, que nous considérons positif. Il faut seulement que les masses qui ont manifesté à Tel-Aviv passent de la protestation contre les massacres à une reconnaissance du droit de notre peuple à l’existence, à l’autodétermination et à l’indépendance”.
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Dernier reportage en passant par Damas, avant de quitter la région après trois ans à suivre ses soubresauts. Une dernière interview de Nayef Hawatmeh, l’un des seuls responsables palestiniens qui ne parle pas la langue de bois. L’un des seuls à affirmer le droit d’Israël à exister et à reconnaître les ressorts démocratiques de la société israélienne. Ses accents les pus durs sont pour les gouvernements arabes, qui ont toujours trahi les Palestiniens et continueront à le faire.
Révélateurs aussi, ces propos sur le maintien des Palestiniens au nord du Liban : le reste d’un mirage, auquel il ne croit sans doute pas lui-même. Arafat y succombera quelque mois plus tard, en retournant s’enfermer à Tripoli pour quelques semaines d’une aventure romantique et sans issue, sauvé in extremis d’un double blocus israélien et syrien par un nouveau sauvetage de l’armée française, avant de repartir pour un nouvel et lointain exil.
Mais pas un mot de reconnaissance pour le peuple libanais qui a partagé leurs épreuves. Preuve que Hawatmeh a compris que le Liban était fini pour eux. Une nouvelle page de l’histoire du Liban va s’ouvrir…
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