Refuge naturel dans le massif des Bornes en Haute-Savoie, le plateau des Glières offre une vaste étendue à peu près plate perchée à 1400 mètres à laquelle on ne peut accéder que par deux routes serpentant sur des versants abrupts au milieu des forêts de sapin : c’est dans ce refuge que se créa le maquis le plus symbolique de la résistance française dans la France occupée, sous l’impulsion de jeunes officiers dont le lieutenant Tom Morel. Un maquis encore très présent, par la nature du site autant que par les quelques monuments qui rappellent cette page d’Histoire.
Après l’armistice de juin 1940, nombre de militaires français refusant la défaite et l’occupation ont rejoint l’Armée secrète (AS), qui s’organise pour entraîner ses cadres et cacher des armes. En particulier dans les Alpes où les Chasseurs alpins, qui se sont vaillamment battus contre les troupes italiennes, organisent la résistance armée. Fin 1943, avec le retrait des troupes italiennes remplacées par l’armée allemande, la situation se tend pour les résistants.
Le capitaine Henri-Romans-Petit, qui vient de succéder au commandant Vallette d’Osia comme responsable de l’AS de Haute-Savoie, nomme le lieutenant Tom Morel chef des maquis du département et lui donne pour mission d'organiser la réception des parachutages alliés sur le plateau des Glières. Les Alliés veulent en effet, et le général De Gaulle en particulier, ouvrir un « front intérieur » en prévision de futures opérations de débarquement. Ce plateau offre un site et une situation parfaits pour un maquis.
Un plateau difficile d’accès où se trouvent une quarantaine de chalets dont une dizaine seulement occupés en permanence. Dans le parcours de « mémoire du maquis », on peut voir les ruines du chalet la famille de Marie Missilier, dite « Marie des Bossons », qui y habitait en 1944. Les autres n’étaient occupés que l’été et les maquisards s’y installèrent à partir du 1er février. Les familles aidèrent notamment à faire venir les vivres de la vallée. Plusieurs chalets furent détruits par les bombardements aériens et l’artillerie, tous furent incendiés et le bétail tué lorsque les Allemands occupèrent le plateau en mars, après que leurs habitants aient été renvoyés dans la vallée, mais une vingtaine mourront dans les combats ou en déportation.
Le 31 janvier 1944, Tom Morel s'installe donc sur le plateau avec 120 maquisards, venus d'horizons très divers : les militaires de l’AS sont rejoints par des Francs-tireurs et partisans (FTP), des républicains espagnols réfugiés et par des jeunes réfractaires au STO. Il les entraîne pour former trois compagnies de combat homogènes. Le maquis est vite accroché : l’infirmerie installée dans un chalet est bombardée et incendiée. Les blessés sont transférés dans la scierie du plateau. Le médecin Marc Bombiger, d’origine roumaine, avait fui les persécutions contre les Juifs dans son pays. Il était assisté d’un étudiant en médecine, Michel Fournier, qui sera arrêté le 1er mars en allant chercher des médicaments au Grand-Bornand, ainsi que de 2 ou 3 maquisards faisant fonction d’infirmiers.
Le 20 février, le bataillon compte 320 maquisards, le drapeau tricolore frappé de la croix de Lorraine est hissé au grand mât. Morel leur remet le fanion avec la devise « vivre libre ou mourir ». De nombreux accrochages se produisent avec les groupes mobiles de réserve (GMR) et avec la Milice du régime de Vichy qui encerclent le plateau : Vichy ne peut accepter une enclave gaulliste sur le territoire français. Les forces vichystes effectuent une reconnaissance en force sur le plateau des Glières le 12 février, mais tombent dans une embuscade qui fait deux morts et six blessés dans leurs rangs.
Le 2 mars, Tom Morel lance un raid pour libérer Fournier, détenu à Saint-Jean-de-Sixt où sont cantonnés des GMR. Trente d'entre eux sont faits prisonniers. Ils doivent servir de monnaie d'échange contre Michel Fournier. Les prisonniers sont libérés mais, malgré l'accord sur l'honneur de l'intendant de police d'Annecy, Michel Fournier reste détenu.
Avec l’arrivée de nouveaux renforts, Tom Morel décide d’attaquer l'état-major du GMR Aquitaine à Entremont au pied du plateau des Glières. Plus d'une centaine d'hommes participent à l'opération dans la nuit du 9 au 10 mars 1944. Un des groupes, commandé directement par Tom Morel, réussit à prendre l'hôtel de France, siège de l'état-major. Les maquisards désarment leurs prisonniers, mais le commandant Lefèbvre, nouveau chef des GMR - qui avait gardé une arme - tire sur Tom Morel et le tue, avant d’être abattu à son tour.
Les corps du lieutenant Morel et de l’adjudant Georges Decour, tué lui aussi, sont remontés sur le plateau et le 13 mars, le lieutenant Louis Jourdan-Joubert qui assure le commandement par intérim leur rend les honneurs militaires et les fait inhumer au pied du mat (ci-dessous à gauche). Leurs corps seront transférés dès le mois de mai au cimetière de Morette, devenu Nécropole nationale des Glières (à droite).
Le 18 mars, le capitaine Maurice Anjot vient prendre le commandement des 465 hommes que compte désormais le bataillon. Il passe les hommes en revue et fait lever les couleurs. Huit jours plus tard ce sera l’attaque allemande avec 4.000 militaires allemands, secondés par leurs alliés de la Milice et des GMR. Le 26 mars, le maquis résiste à plusieurs tentatives de pénétration sur le plateau mais, à la nuit tombée, une de leurs positions ayant été contournée, le capitaine Anjot décide le repli de ses hommes. Les couleurs seront descendues du mât par Alphonse Métral, au moment du décrochage le 26 mars à 22 heures, et cachées dans la vallée.
Découvrant cette évacuation les Allemands lancent l’assaut le 27 à l’aube mais trop tard, en revanche beaucoup des combattants du maquis seront rattrapés ou dénoncés par les GMR et la Milice. Sur environ 450 maquisards présents le 25 mars les deux tiers sont faits prisonniers ; environ cent vingt maquisards et une vingtaine d’habitants du plateau mourront tués au combat, sous la torture, fusillés ou déportés et les 6 ou 7 blessés trouvés sur place sont abattus le 27.
L’histoire de ce maquis de quelques centaines de résistants tenant tête à l’armée allemande a pris une dimension d’épopée, notamment parce que la France libre avait besoin d’afficher des symboles. Des querelles ont opposé politiques et historiens sur la réalité des pertes côté allemand (sur les Glières même, les Allemands ont eu 3 tués et 7 blessés seulement) et côté maquis, mais ces querelles de bilans ont perdu de leur acuité et n’enlèvent rien à l’héroïsme de ceux qui ont tenté de défendre un morceau de territoire libéré.
Et surtout, émerge de l’Histoire la stature de ce jeune combattant de l’ombre qui se bat contre tous les renoncements, Tom Morel. Un ouvrage récent lui rend hommage, documenté et dépassionné, c’est la biographie écrite par Patrick de Gmeline, officier de réserve et historien militaire, sous le titre : “Tom Morel, Héros des Glières”
Saint-Cyrien de la promotion 1935-1937 Maréchal Lyautey, Tom Morel choisit le 27e Bataillon de Chasseurs alpins d'Annecy, devient chef de la section d'éclaireurs skieurs (SES) dont il fait un instrument de combat de premier ordre : placé à la garde de la frontière italienne, deux jours après l’entrée en guerre de l'Italie, le 12 juin 1940, il se distingue en faisant cinq prisonniers et en prenant un matériel important. Il est décoré de la croix de Guerre et obtient sa première citation. Blessé le 18 juin, il reste à la tête de sa section. Les 20 et 22 juin, il se bat près du col du Petit-Saint-Bernard où son action contraint les troupes italiennes à se replier. Il reçoit une seconde citation, puis est fait chevalier de la Légion d’honneur. Il n’a que de 24 ans. Dans l'armée d'armistice il participe au camouflage d'armes et de matériel. En 1941, il est nommé instructeur à l'ESM de Saint-Cyr, alors repliée en zone sud à Aix-en-Provence, où il encourage implicitement ses élèves à entrer dans la Résistance.
Après l'invasion de la zone sud par les Allemands en novembre 1942, Tom Morel passe dans la clandestinité et entre dans la Résistance en Haute-Savoie où il retrouve le commandant Vallette d'Osia, organisateur et chef de l'Armée Secrète (AS) pour ce département. Il va alors s'attacher, avec le capitaine Maurice Anjot, ex-adjoint de Vallette d'Osia, à organiser l'AS dont le nombre de volontaires se multiplie après la mise en œuvre du service du travail obligatoire (STO) en Allemagne en février 1943. Son histoire se confond ensuite avec celle du maquis des Glières, et sa mort précède de deux semaines la disparition du maquis.
Pour illustrer l’esprit qui anime Morel et ses volontaires, le mieux est de lire le prologue du livre de Patrick de Gmeline :
Février 1944. La neige immaculée scintille presque violemment sous un ciel bleu vif. Entre les deux, le vert profond d'un alignement de sapins qui s'ouvre, au loin, sur un pic pierreux lui aussi couronné de neige. Sur le côté, un chalet, plutôt une grange, en bois à peine équarri, au toit à double et longue pente descendant jusqu'au sol.
Et puis, au milieu, un mât blanc, haut et mince, montant hardiment vers le ciel. Une dizaine de mètres, pas moins.
A son pied deux hommes en tenue foncée. Pas en uniforme, non, pas celui, du moins, d'une armée régulière. Mais avec, dans la forme et dans le style, une volonté de paraître soldat.
Les deux garçons tiennent dans leurs mains un tissu encore plié mais qui, lorsqu'ils l'accrochent à la corde, montre ses trois couleurs et, sur le blanc, le rouge d'une croix de Lorraine.
- Envoyez !
Alors, lentement, pour ainsi dire religieusement, ils font monter, solennellement, l'étamine bleu-blanc-rouge dans ce ciel qui fait presque mal aux yeux aux quelques dizaines d'hommes présents. Ceux-ci, formés en carré, à quelques mètres, présentent les armes, coude bien levé et doigts joints sur le canon du fusil. Ils ont, comme le veut la discipline, l’œil fixe, même si, inconsciemment, ils suivent la montée du drapeau français.
Devant, fermant le carré de cette prise d'armes en pleine montagne, quatre officiers saluent, main droite au bord de la «tarte», ce large béret des chasseurs alpins qu'ils portent incliné sur l'oreille gauche et dont l'insigne, un cor de chasse, brille sur le rude tissu bleu foncé.
Le troisième en partant de la gauche - ou le deuxième en partant de la droite, c'est selon - se distingue de ses camarades. D'abord, au contraire d'eux, habillés de bleu marine, il porte un blouson de toile claire. Et, surtout, le bord de son béret est incliné à droite !
Cet officier est le lieutenant Théodose Morel, du 27e BCA.
Mais pour ses hommes, pour la Résistance et bientôt pour l'histoire, il est «Tom».
Tom Morel.
Il lui reste moins de quinze jours à vivre.
La visite du plateau des Glières est aujourd’hui facile, été comme hiver : deux routes mènent aux deux extrémités du plateau, déneigées en hiver (mais prévoir des chaînes) et avec un parking à chaque bout.
Le plateau est aménagé (voir lien) en un vaste domaine skiable pour le ski de fond, avec des pistes pour les randonneurs en raquettes, des sentiers balisés pour l’été et plusieurs restaurants sont ouverts en toute saison. Seul le bâtiment mémorial est fermé en hiver, son entrée disparaissant sous l’épaisse couche de neige.
Tom Morel, Héros des Glières, Patrick de Gmeline, 336 p. Presses de la Cité 2008